Ils conviennent de prix, et se mettent en quête; Se couche sur le nez, fait le mort, tient son vent, Que l'ours s'acharne peu souvent Sur un corps qui ne vit, ne meut, ni ne respire. Et, de peur de supercherie, Le tourne, le retourne, approche son museau, C'est, dit-il, un cadavre; ôtons-nous, car il sent (1). Mais que t'a-t-il dit à l'oreille? Vendre la peau de l'ours qu'on ne l'ait mis par terre (2). (1) L'effet de la prévention est ici très-bien critiqué. C'est ainsi que, dans Molière, M. de Sottenville repousse son gendre à jeun, en lui disant: Retirezvous, vous puez le vin. (2) « Quand ils furent joincts, celuy qui estoit dessus l'arbre demanda à son compagnon par serment ce que l'ours luy avoit dit en conseil, que si longtemps lui avoit tenu le museau contre l'oreille; à quoy son compagnon lui respondit: Il me disoit que jamais je ne marchandasse de la peau de l'ours jusqu'à ce que la beste fust morte. (COMINES.) XXI. L'Ane vêtu de la peau du Lion (1). De la peau du lion l'âne s'étant vêtu, Ceux qui ne savaient pas la ruse et la malice Chassât les lions au moulin. Force gens font du bruit en France (*) Par qui cet apologue est rendu familier (3). Un équipage cavalier Fait les trois quarts de leur vaillance. (1) Esop., 141, Asinus pellem Leonis gestans; 262, Asinus et leonina pellis. (2) Sans courage, du mot virtus. (3) Martin-bâton, dont il a déjà été fait mention dans la fable v du livre IV. La Fontaine insiste sur ce défaut, qu'on appellerait aujourd'hui un dễ faut national, et dont nous ne sommes nullement corrigés. Notre poëte dit encore, liv. VIII, fab. xv: Se croire un personnage est fort commun en France. C'est proprement le mal français, La sotte vanité nous est particulière. C'est-à-dire reçoit une fréquente application, LIVRE SIXIÈME. I. Le Pâtre et le Lion (1). Les fables ne sont pas ce qu'elles semblent être; Le conte fait passer le précepte avec lui (2). En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire (3); (1) Esop., 41, 131, Bubulcus. (2) Florian a repris en sous-œuvre, dans la première de ses fables. l'idée exprimée dans ces vers par La Fontaine. La fable dit à la vérité : Venez sous mon manteau, nous marcherons ensemble; Je ne serai point rebutée; A cause de moi, chez les fous, Vous ne serez point maltraitée. Servant, par ce moyen, chacun selon son goût, Vous verrez, ma sœur, que partout (3) Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci. (HORACE.) (4) C'est ce que Phèdre nous apprend lui-même dans ces vers, livre [[I (able x, v. 60: Hæc exsecutus sum propterea pluribus, Brevitate quoniam nimia quosdam offendimus. Mais sur tous certain Grec (1) renchérit, et se pique Il renferme toujours son conte en quatre vers: Y cousant en chemin quelque trait seulement. Il s'en va près d'un antre, et tend à l'environ Si tu fais, disait-il, ô monarque des dieux, Que le drôle à ces lacs se prenne en ma présence, Parmi vingt veaux je veux choisir Le plus gras, et t'en faire offrande! A ces mots, sort de l'antre un lion grand et fort; Que l'homme ne sait guère, hélas! ce qu'il demande! C'est ainsi que l'a dit le principal auteur: (1) Gabrias (Note de La Fontaine). — Gabrias, Babrias, Babrius : ces trois noms sont ceux d'un seul et même personnage. Les fables de Babrius jouissaient, dans l'antiquité, d'une grande réputation. Julius Titianus, qui vivait sous Caracalla, en avait fait une traduction en prose latine. Au moyen âge, un moine nommé Ignatius Magister, les arrangea en quatrains, probable ment d'après la traduction de Titianus. La Fontaine, à son tour, s'inspira des quatrains d'Ignatius, en regrettant de ne pouvoir recourir au texte du fabuliste grec; car au XVIIe siècle on ne connaissait qu'une seule fable de cet auteur. Postérieurement à La Fontaine on en retrouva encore une ou deux, et cette découverte ne fit que rendre la perte des autres plus sensible. Le célèbre philosophe Herder, admirateur enthousiaste de la poésie grecque, a dit à ce propos : « Celui qui aurait le bonheur de retrouver le véritable Babrius ferait à la littérature un précieux cadeau. Les deux ou trois fables complètes que nous possédons de cet auteur respirent, sous le rhythme le plus harmonieux, une simplicité si charmante, que Phèdre, avec son élégance recherchée, peut à peine lui être comparé. » Ce qu'Herder souhaitait s'est réalisé. Le véritable Babrius a été retrouvé, vers 1842, dans le couvent de Sainte-Laure, au mont Athos, par M. Minoïde Minas, chargé d'une mission par le ministre de l'instruction publique. La réputation de Babrius a été pleinement justifiée par cette découverte. Voir : BABRII Fabulæ I ambicæ CXXIII, nunc primum editæ. Jo. Fr. Boissonade recensuit, latine convertit, annotavit. Paris, Didot, 1844, in-8°. Un fanfaron, amateur de la chasse, (1) Gabria3, 56, de Venatore timido et Pastore. - Æsop., 267, 178, Venator meticulosus et Lignator |