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J'ai mérité, dit-il, ce juste châtiment :
Profitez-en, ingrats. Il tombe en ce moment.
La meute en fait curée: il lui fut inutile
De pleurer aux veneurs à sa mort arrivés.

Vraie image de ceux qui profanent l'asile
Qui les a conservés.

XVI.

Le Serpent et la Lime (1).

On conte qu'un serpent, voisin d'un horloger
(C'était pour l'horloger un mauvais voisinage),
Entra dans sa boutique, et, cherchant à manger,
N'y rencontra pour tout potage

Qu'une lime d'acier, qu'il se mit à ronger.
Cette lime lui dit, sans se mettre en colère (2):
Pauvre ignorant! et que prétends-tu faire?
Tu te prends à plus dur que toi,
Petit serpent à tête folle :
Plutôt que d'emporter de moi
Seulement le quart d'une obole,
Tu te romprais toutes les dents.
Je ne crains que celles du temps.

Ceci s'adresse à vous, esprits du dernier ordre,

Qui, n'étant bons à rien, cherchez sur tout à mordre.

(1) Esop., 271, 187, Vipera et Lima. Phædr., V, 8 sive 7, Vipera et

Lima.

(2) Tout parle en mon ouvrage, et même les poissons,

a dit La Fontaine dans sa dédicace au Dauphin. Passe encore de faire parler les poissons tout muets qu'ils soient, et même les plantes, car au moins ce sont des êtres animés; mais une lime, et surtout une lime qui parle sans se mellre en colère! Aussi cette donnée a-t-elle été souvent critiquée. Les mêmes critiques ont été faites à propos du Pot de terre et du Pol de fer, et des autres fables où notre poëte a forcé toute vraisemblance en faisant agir, raisonner et parler, des objets matériels et inanimés. Il est à remarquer, du reste, que dans presque toutes ces fables il est resté inférieur à lui-même.

Vous vous tourmentez vainement.

Croyez-vous que vos dents impriment leurs outrages
Sur tant de beaux ouvrages?

Ils sont pour vous d'airain, d'acier, de diamant.

XVII.

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- Le Lièvre et la Perdrix (1).

Il ne se faut jamais moquer des misérables:
Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux (?)?
Le sage Ésope dans ses fables

Nous en donne un exemple ou deux.
Celui qu'en ces vers je propose,

Et les siens, ce sont même chose.

Le lièvre et la perdrix, concitoyens d'un champ,
Vivaient dans un état, ce semble, assez tranquille,
Quand une meute s'approchant

Oblige le premier à chercher un asile :

Il s'enfuit dans son fort, met les chiens en défaut,
Sans même en excepter Brifaut (3).

Enfin il se trahit lui-même

Par les esprits sortants de son corps échauffé.
Miraut, sur leur odeur ayant philosophé,

Conclut que c'est son lièvre, et d'une ardeur extrême
Il le pousse; et Rustaut (*), qui n'a jamais menti,

(1) Phædr., I, 9, Passer et Lepus.

(2) La morale contenue dans ces deux vers a été durement censurée. On a surtout reproché au second de ces vers de n'enseigner la commisération qu'au nom de l'égoïsme. Le reproche est juste; mais le tort de La Fontaine, en imitant Ésope ou Phèdre, c'est d'avoir oublié, ici comme en quelques autres passages, qu'entre lui et les fabulistes de l'antiquité, il y avait le christianisme; de telle sorte qu'en imitant, il a assumé sur lui-même la responsabilité d'un sentiment qui pouvait être louable eu égard à la dureté du monde païen, mais qui est très-insuffisant depuis que l'Évangile a révélé la pitié au monde.

(3) Du verbe briffer, manger avec voracité.

(4) VAR. Il y a Tayaut dans les deux premières éditions. Depuis, La Fontaine a substitué Rustaut.

Dit que le lièvre est reparti.

Le pauvre malheureux vient mourir à son gîle.
La perdrix le raille, et lui dit :

Tu te vantais d'être si vite !

Qu'as-tu fait de tes pieds? Au moment qu'elle rit,
Son tour vient; on la trouve. Elle croit que ses ailes
La sauront garantir à toute extrémité;

Mais la pauvrette avait compté
Sans l'autour aux serres cruelles.

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L'aigle et le chat-huant leurs querelles cessèrent,
Et firent tant qu'ils s'embrassèrent.

L'un jura foi de roi, l'autre foi de hibou,

Qu'ils ne se goberaient leurs petits peu ni prou ().
Connaissez-vous les miens? dit l'oiseau de Minerve.
Non, dit l'aigle. Tant pis, reprit le triste oiseau :
Je crains en ce cas pour leur peau;

C'est hasard si je les conserve.

Comme vous êtes roi, vous ne considérez

Qui ni quoi rois et dieux mettent, quoi qu'on leur die,

Tout en même catégorie.

Adieu mes nourrissons, si vous les rencontrez.
Peignez-les-moi, dit l'aigle, ou bien me les montrez;
Je n'y toucherai de ma vie.

Le hibou repartit: Mes petits sont mignons,

Beaux, bien faits, et jolis sur tous leurs compagnons : Vous les reconnaîtrez sans peine à cette marque.

N'allez

pas l'oublier; retenez-la si bien,

Que chez moi la maudite Parque

(1) Verdizotti, fable v, l' Aquila e'l Guffo. (2) Ni beaucoup.

N'entre point par votre moyen.

Il advint qu'au hibou Dieu donna géniture;
De façon qu'un beau soir qu'il était en pâture,
Notre aigle aperçut, d'aventure,

Dans les coins d'une roche dure,
Ou dans les trous d'une masure
(Je ne sais pas lequel des deux),
De petits monstres fort hideux,

Rechignés, un air triste, une voix de Mégère.
Ces enfants ne sont pas, dit l'aigle, à notre ami.
Croquons-les. Le galant n'en fit pas à demi :
Ses repas ne sont point repas à la légère.
Le hibou, de retour, ne trouve que les pieds
De ses chers nourrissons, hélas ! pour toute chose.
Il se plaint; et les dieux sont par lui suppliés
De punir le brigand qui de son deuil est cause.
Quelqu'un lui dit alors : N'en accuse que toi,
Ou plutôt la commune loi

Qui veut qu'on trouve son semblable
Beau, bien fait, et sur tous aimable.
Tu fis de tes enfants à l'aigle ce portrait :
En avaient-ils le moindre trait?

XIX. Le Lion s'en allant en guerre (').

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Le lion dans sa tête avait une entreprise :
Il tint conseil de guerre, envoya ses prévôts;
Fit avertir les animaux.

Tous furent du dessein, chacun selon sa guise:
L'éléphant devait, sur son dos,

Porter l'attirail nécessaire,
Et combattre à son ordinaire;

(1) Abstemius, 95, De Asino tubicine et Lepore tabellario.

L'ours, s'apprêter pour les assauts;
Le renard, ménager de secrètes pratiques;
Et le singe, amuser l'ennemi par ses tours.
Renvoyez, dit quelqu'un, les ânes, qui sont lourds,
Et les lièvres, sujets à des terreurs paniques.
Point du tout, dit le roi ; je les veux employer:
Notre troupe sans eux ne serait pas complète.
L'âne effraiera les gens, nous servant de trompette;
Et le lièvre pourra nous servir de courrier.

Le monarque prudent et sage

De ses moindres sujets sait tirer quelque usage,
Et connaît les divers talents.

Il n'est rien d'inutile aux personnes de sens.

XX.

- L'Ours et les deux Compagnons (1).

Deux compagnons, pressés d'argent,
A leur voisin fourreur vendirent

La peau d'un ours encor vivant,

Mais qu'ils tueraient bientôt, du moins à ce qu'ils dirent.
C'était le roi des ours, au compte de ces gens.

Le marchand à sa peau devait faire fortune ;

Elle garantirait des froids les plus cuisants;

On en pourrait fourrer plutôt deux robes qu'une.

Dindenaut (2) prisait moins ses moutons qu'eux leur ours: Leur, à leur compte, et non à celui de la bête.

S'offrant de la livrer au plus tard dans deux jours,

(1) Esop., 57, Viatores et Ursa; 253, Viatores et Ursus. Abstemius, 49. de Coriario emente pellem Ursi a venatore nondum capti. Philippe de Comines, dans ses Mémoires (liv. IV, chap. 11), met cette fable dans la bouche de l'empereur Frédéric pour répondre aux ambassadeurs du roi de France, qui, au nom de leur souverain, l'engageaient a se saisir des terres que le uc de Bourgogne tenait de l'Empire.

(2) Marchand de moutons, dans Rabelais, Pantagruel, liv. IV, chap. vIII.

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