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Deux sûretés valent mieux qu'une,

Et le trop en cela ne fut jamais perdu.

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XVI. Le Loup, la Mère et l'Enfant (1).

Ce loup me remet en mémoire

Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris:
Il y périt. Voici l'histoire :

Un villageois avait à l'écart son logis.

Messer loup attendait chape-chute (2) à la porte;
Il avait vu sortir gibier de toute sorte,
Veaux de lait, agneaux et brebis,

Régiments de dindons, enfin bonne provende (3).
Le larron commençait pourtant à s'ennuyer.
Il entend un enfant crier :

La mère aussitôt le gourmande,
Le menace, s'il ne se tait,

De le donner au loup. L'animal se tient prêt,
Remerciant les dieux d'une telle aventure,
Quand la mère, apaisant sa chère géniture,
Lui dit: Ne criez point; s'il vient, nous le tuerons.
Qu'est ceci? s'écria le mangeur de moutons :

Philibert Hegemon, fable x111,

(1) Esop., 104 et 138, Lupus et Vetula. D'un Loup, d'une Femme, et de son Enfant, dans La Colombière, etc., 1558, Paris, in-12, p. 54.

(2) Chape-chute, ou chape (riche vêtement ecclésiastique) tombée; les voleurs ramassent lestement ce qui tombe à terre. Attendre chape-chule, veut dire attendre la rencontre d'un objet précieux pour s'en emparer. Madame de Sévigné n'entend pas ce mot, lorsqu'elle dit en parlant de son fils : «Il trouvera quelque chape-chute, et à force de s'exposer il aura son fait. » Madame de Sévigné, qui pensait sans doute à cette fable, a été trompée par la mésaventure du loup; mais La Fontaine n'en veut pas moins dire attend une bonne aubaine, et c'est dans ce sens qu'il emploie chape-chute. que son loup (GERUZEZ.)

Voir aussi à ce mot le Dictionnaire de Trévoux. (3) Provision de bouche.

prof. In diet. Littré, p.XXV, ali

Dire d'un, puis d'un autre ! Est-ce ainsi que l'on traite Les gens faits comme moi? me prend-on pour un sot? Que, quelque jour, ce beau marmot

• Vienne au bois cueillir la noisette...
Comme il disait ces mots, on sort de la maison:
Un chien de cour l'arrête; épieux et fourches-fières (1)
L'ajustent de toutes manières.

Que veniez-vous chercher en ce lieu? lui dit-on.
Aussitôt il conta l'affaire.

Merci de moi! lui dit la mère;

Tu mangeras mon fils! L'ai-je fait à dessein
Qu'il assouvisse un jour ta faim?

On assomma la pauvre bête.

Un manant lui coupa le pied droit et la tête :
Le seigneur du village à sa porte les mit;
Et ce dicton picard à l'entour fut écrit:

« Biaux chires leups (2), n'écoutez mie (3)

« Mère tenchent chen fieux (*) qui crie. »

(1) Ce mot signifie, selon Le Duchat, des fourches de fer attachées à de longues perches, pour renverser les échelles à un assaut ou à une escalade. (2) Beaux sires loups.

(3) Pas.

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Socrate un jour faisant bâtir,

Chacun censurait son ouvrage :

L'un trouvait les dedans, pour ne lui point mentir,
Indignes d'un tel personnage;

L'autre blâmait la face, et tous étaient d'avis
Que les appartements en étaient trop petits.

(1) Phædr., III, 9. Socrates ad amicos

Quelle maison pour lui! l'on y tournait à peine.
Plût au ciel que de vrais amis,

Telle qu'elle est, dit-il, elle pût être pleine!

Le bon Socrate avait raison

De trouver pour ceux-là trop grande sa maison.
Chacun se dit ami; mais fou qui s'y repose :
Rien n'est plus commun que ce nom,

Rien n'est plus rare que la chose.

XVIII. Le Vieillard et ses Enfants (').

Toute puissance est faible, à moins que d'être unie:
Écoutez là-dessus l'esclave de Phrygie.

Si j'ajoute du mien à son invention,

C'est pour peindre nos mœurs, et non point par envie :
Je suis trop au-dessous de cette ambition.

Phèdre enchérit souvent par un motif de gloire;
Pour moi, de tels pensers me seraient malséants.
Mais venons à la fable, ou plutôt à l'histoire
De celui qui tâcha d'unir tous ses enfants.

Un vieillard près d'aller où la mort l'appelait :
Mes chers enfants, dit-il (à ses fils il parlait),
Voyez si vous romprez ces dards liés ensemble;
Je vous expliquerai le nœud qui les assemble.
L'aîné les ayant pris, et fait tous ses efforts,
Les rendit, en disant : Je le donne aux plus forts.
Un second lui succède, et se met en posture,
Mais en vain. Un cadet tente aussi l'aventure.
Tous perdirent leur temps; le faisceau résista:

(1 Esop., 33, Agricola et Filii; 174, Rustici Filii. Plutarque, dans son Traité de la démangeaison de parler, attribue ce trait à Salure, roi des Scythes.

De ces dards joints ensemble un seul ne s'éclata.
Faibles gens, dit le père, il faut que je vous montre
Ce que ma force peut en semblable rencontre.

On crut qu'il se moquait; on sourit, mais à tort:
Il sépare les dards, et les rompt sans effort.

Vous voyez, reprit-il, l'effet de la concorde:

Soyez joints, mes enfants; que l'amour vous accorde!
Tant que dura son mal, il n'eut autre discours.
Enfin, se sentant près de terminer ses jours,
Mes chers enfants, dit-il, je vais où sont nos pères;
Adieu: promettez-moi de vivre comme frères ;
Que j'obtienne de vous cette grâce en mourant.
Chacun de ses trois fils l'en assure en pleurant.

Il prend à tous les mains; il meurt. Et les trois frères
Trouvent un bien fort grand, mais fort mêlé d'affaires.
Un créancier saisit, un voisin fait procès:

D'abord notre trio s'en tire avec succès.

Leur amitié fut courte autant qu'elle était rare.
Le sang les avait joints, l'intérêt les sépare :
L'ambition, l'envie, avec les consultants, (1)
Dans la succession entrent en même temps.
On en vient au partage, on conteste, on chicane:
Le juge sur cent points tour à tour les condamne.
Créanciers et voisins reviennent aussitôt,

Ceux-là sur une erreur, ceux-ci sur un défaut.
Les frères désunis sont tous d'avis contraire :
L'un veut s'accommoder, l'autre n'en veut rien faire.
Tous perdirent leur bien, et voulurent trop tard
Profiter de ces dards unis et pris à part.

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Vouloir tromper le ciel, c'est folie à la terre.

(1) Esop., 32, Vir malignus; 16, Malignus.

(1) celui qui donne

une consultation (Littré).

Le dédale des cœurs en ses détours n'enserre
Rien qui ne soit d'abord éclairé par les dieux :
Tout ce que l'homme fait, il le fait à leurs yeux,
Même les actions que dans l'ombre il croit faire.
Un païen, qui sentait quelque peu le fagot (1),
Et qui croyait en Dieu, pour user de ce mot,
Par bénéfice d'inventaire,

Alla consulter Apollon.

Dès qu'il fut en son sanctuaire :
Ce que je tiens, dit-il, est-il en vie ou non?
Il tenait un moineau, dit-on,
Près d'étouffer la pauvre bête
Ou de la lâcher aussitôt,

Pour mettre Apollon en défau
Apollon reconnut ce qu'il avait en tête :
Mort ou vif, lui dit-il, montre-nous ton moineau,
Et ne me tends plus de panneau :

Tu te trouverais mal d'un pareil stratagème.

Je vois de loin; j'atteins de même (”).

(1) Sentir le fagot, c'est être coupable ou accusé d'impiété. Cette expression, restée proverbiale, nous vient du moyen âge, où les hérétiques et les prétendus sorciers étaient punis du supplice du feu.

(2) On sait qu'entre autres attributs Apollon avait celui de lancer des flèches à de grandes distances: de là le surnom d'ExnCóλoç, qui tire loin, comme traduit Ronsard.

XX. — L'Avare qui a perdu son trésor (1).

L'usage seulement fait la possession.
Je demande à ces gens de qui la passion

Est d'entasser toujours mettre somme sur somme,

(1) Esop., 188, 59, Avarus.

Louys Gu.charain, traduit par Belleforest.

Les Heures de Récréations, 1605, in-18, p. 145.

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