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Y tiennent tous les premiers rangs:
Un mien cousin est juge-maire.
Le dauphin dit: Bien grand merci.
Et le Pirée a part aussi

A l'honneur de votre présence?
Vous le voyez souvent, je pense?
Tous les jours il est mon ami;
C'est une vieille connaissance.
Notre magot prit, pour ce coup,

Le nom d'un port pour un nom d'homme.

De telles gens il est beaucoup

Qui prendraient Vaugirard pour Rome,
Et qui, caquetant au plus dru,
Parlent de tout, et n'ont rien vu.

Le dauphin rit, tourne la tête,
Et, le magot considéré,
Il s'aperçoit qu'il n'a tiré

Du fond des eaux rien qu'une bête.
Il l'y replonge, et va trouver
Quelque homme, afin de le sauver.

VIII. - L'Homme et l'Idole de bois (1).

Certain païen chez lui gardait un dieu de bois,

De ces dieux qui sont sourds bien qu'ayant des oreilles: Le païen cependant s'en promettait merveilles.

Il lui coûtait autant que trois :

Ce n'était que vœux et qu'offrandes, Sacrifices de boeufs couronnés de guirlandes. Jamais idole, quel qu'il fût (2),

(1) Esop., 21, Homofractor simulacri; 128, Homo perfractor statuæ. (3) Corneille a aussi employé idole au masculin.

N'avait eu cuisine si grasse;

Sans que, pour tout ce culte, à son hôte il échût
Succession, trésor, gain au jeu, nulle grâce.

Bien plus, si pour un sou d'orage en quelque endroit
S'amassait d'une ou d'autre sorte,

L'homme en avait sa part; et sa bourse en souffrait :
La pitance du dieu n'en était pas moins forte.
A la fin, se fâchant de n'en obtenir rien,
Il vous prend un levier, met en pièces l'idole,
Le trouve rempli d'or. Quand je t'ai fait du bien,
'M'as-tu valu, dit-il, seulement une obole?
Va. sors de mon logis, cherche d'autres autels.
Tu ressembles aux naturels

Malheureux, grossiers et stupides :

On n'en peut rien tirer qu'avecque le bâton.
Plus je te remplissais, plus mes mains étaient vides:
J'ai bien fait de changer de ton.

141

IX. - Le Geai paré des plumes du Paon (1).

Un paon muait : un geai prit son plumage;
Puis après se l'accommoda;

Puis parmi d'autres paons tout fier se panada,
Croyant être un beau personnage.

Quelqu'un le reconnut: il se vit bafoué,
Berné, sifflé, moqué, joué,

Et par messieurs les paons plumé d'étrange sorte;
Même vers ses pareils s'étant réfugié,

Il fut par eux mis à la porte.

Il est assez de geais à deux pieds comme lui,
Qui se parent souvent des dépouilles d'autrui,

(1) Phædr., I, 3, Graculus superbus, et Pavo. dula et Corvi; 101, Monedula el Columbæ.

Esop., 285, 205, Mone

Et que l'on nomme plagiaires.

Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui :
Ce ne sont pas là mes affaires.

X. Le Chameau et les Bâtons flottants (1).

Le premier qui vit un chameau
S'enfuit à cet objet nouveau;

Le second approcha; le troisième osa faire
Un licou pour le dromadaire.

L'accoutumance ainsi nous rend tout familier
Ce qui nous paraissait terrible et singulier
S'apprivoise avec notre vue,
Quand ce vient à la continue.

Et puisque nous voici tombés sur ce sujet:
On avait mis des gens au guet,

Qui, voyant sur les eaux de loin certain objet,
Ne purent s'empêcher de dire

Que c'était un puissant navire.
Quelques moments après, l'objet devint brûlot,
Et puis nacelle, et puis ballot,
Enfin bâtons flottants sur l'onde (2).

J'en sais beaucoup de par le monde
A qui ceci conviendrait bien :

De loin, c'est quelque chose; et de près, ce n'est rien.

(1) Esop., 148, 118, Camelus; et Planud., Vita Esopi; dans Nevelet Fab. var. auct., p. 74.

(2) C'est tout le contraire de ce qui arrive réellement, la distance diminuant beaucoup les proportions des choses. Le sens moral est parfaitement vrai, le sens propre est absurde

(CH. NDDIER.)

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Tel, comme dit Merlin, cuide (2) engeigner (*) autrui,
Qui souvent s'engeigne soi-même (").

J'ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd'hui;
Il m'a toujours semblé d'une énergie extrême.
Mais afin d'en venir au dessein que j'ai pris.:

Un rat plein d'embonpoint, gras, et des mieux nourris.
Et qui ne connaissait l'avent ni le carême,
Sur le bord d'un marais égayait ses esprits.

Une grenouille approche, et lui dit en sa langue :
Venez me voir chez moi; je vous ferai festin.
Messire rat promit soudain :

1 n'était pas besoin de plus longue harangue.
Elle allégua pourtant les délices du bain,
La curiosité, le plaisir du voyage,

Cent raretés à voir le long du marécage:
Un jour il conterait à ses petits-enfants

Les beautés de ces lieux, les mœurs des habitants,
Et le gouvernement de la chose publique
Aquatique.

Un point sans plus tenait le galant empêché:
Il nageait quelque peu, mais il fallait de l'aide.
La grenouille à cela trouve un très-bon remède:
Le rat fut à son pied par la patte attaché;
Un brin de jonc en fit l'affaire.

Dans le marais entrés, notre bonne commère

(1) Esop., 307, 249, Mus et Rana.

(2) Croit, s'imagine.

(3) Tromper, séduire.

(4) Cette phrase se trouve dans le premier volume de Merlin, qui est le premier de la Table ronde, etc., petit in-40 gothique sans date, imprimé a Paris; elle est ainsi conçue: « Ainsi advient-il de plusieurs, car tels cuident

engigaer ung autre, qui s'engignent eulx mesmes.

(WALCK.)

S'efforce de tirer son hôte au fond de l'eau,
Contre le droit des gens, contre la foi jurée;
Prétend qu'elle en fera gorge chaude (1) et curee;
C'était, à son avis, un excellent morceau.
Déjà dans son esprit la galande le croque.
Il atteste les dieux; la perfide s'en moque:
Il résiste; elle tire. En ce combat nouveau,
Un milan, qui dans l'air planait, faisait la ronde,
Voit d'en haut le pauvret se débattant sur l'onde.
Il fond dessus, l'enlève, et, par même moyen,
La grenouille et le lien.

Tout en fut; tant et si bien,
Que de cette double proie

L'oiseau se donne au cœur joie,

Ayant de cette façon

A souper chair et poisson.

La ruse la mieux ourdie

Peut nuire à son inventeur;
Et souvent la perfidie

Retourne sur son auteur.

(1) Gorge chaude, en terme de fauconnerie, est la viande chaude qu'on donne aux oiseaux de proie, et qu'on prend du gibier qu'ils ont attrapé.

XII.

Tribut envoyé par les Animaux à Alexandre (1).

Une fable avait cours parmi l'antiquité (2);

Et la raison ne m'en est pas connue.

Que le lecteur en tire une moralité;

Voici la fable toute nue:

(1) Gilbertus Cognatus, Narrationes, p. 98, et dans Guillaume, Recherches, etc., p. 21, de Ranarum et Murium Certamine.

(2) Notre poëte se trompe. On ne trouve chez les anciens aucune trace de la donnée de cette fable.

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