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Ils sont trop verts, dit-il, et bon pour des goujats.

Fit-il pas mieux que de se plaindre?

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Dans une ménagerie

De volatiles remplie

Vivaient le cygne et l'oison:

Celui-là destiné pour les regards au maître;
Celui-ci, pour son goût : l'un qui se piquait d'être
Commensal du jardin ; l'autre, de la maison.
Des fossés du château faisant leurs galeries (2),
Tantôt on les eût vus côte à côte nager,
Tantôt courir sur l'onde, et tantôt se plonger,
Sans pouvoir satisfaire à leurs vaines envies.
Un jour le cuisinier, ayant trop bu d'un coup,
Prit pour oison le cygne; et, le tenant au cou,
Il allait l'égorger, puis le mettre en potage.
L'oiseau, prêt à (3) mourir, se plaint en son ramage (*).
Le cuisinier fut fort surpris,

Et vit bien qu'il s'était mépris.

Quoi! je mettrais, dit-il, un tel chanteur en soupe!
Non, non, ne plaise aux dieux que jamais ma main coupe
La gorge à qui s'en sert si bien !

Ainsi, dans les dangers qui nous suivent en croupe,
Le doux parler ne nuit de rien.

(1) Esop., 288, 74, Cycnus.

(2) Un commentateur prétend que galeries dans ce vers est un dérivé du vieux verbe galer qui signifie se réjouir, prendre ses ébats.

(3) Plusieurs éditions modernes portent près de. Nous donnons ici le texte des éditions surveillées par La Fontaine lui-même.

(4) « Ce n'est pas que tous les cygnes chantent en mourant. Bien que cette tradition soit fort ancienne, on en peut douter sans impiété, aussi bien que de plusieurs autres articles de la croyance des poëtes.

D

LA FONTAINE. Fragments du Songe de l'aux.

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Après mille ans et plus de guerre déclarée,
Les loups firent la paix avecque les brebis.
C'était apparemment le bien des deux partis:
Car si les loups mangaient mainte bête égarée,
Les bergers de leur peau se faisaient maints habits.
Jamais de liberté, ni pour les pâturages,

Ni d'autre part pour les carnages:

Ils ne pouvaient jouir, qu'en tremblant, de leurs biens. La paix se conclut donc: on donne des otages:

Les loups, leurs louveteaux ; et les brebis, leurs chiens. L'échange en étant fait aux formes ordinaires (2),

Et réglé par des commissaires,

Au bout de quelque temps que messieurs les louvats (3)
Se virent loups parfaits et friands de tuerie,

Ils vous prennent le temps que dans la bergerie
Messieurs les bergers n'étaient pas,

Étranglent la moitié des agneaux les plus gras,
Les emportent aux dents, dans les bois se retirent.
Ils avaient averti leurs gens secrètement.

Les chiens, qui, sur leur foi, reposaient sûrement,
Furent étranglés en dormant :

Cela fut sitôt fait qu'à peine ils le sentirent.
Tout fut mis en morceaux ; un seul n'en échappa.

Nous pouvons conclure de là

Qu'il faut faire aux méchants guerre continuelle.
La paix est fort bonne de soi;

J'en conviens: mais de quoi sert-elle
Avec des ennemis sans foi?

(1) Esop., 211, 241, Lupi et Oves.

(2) Dans les formes. Aux formes est pour ès formes, style de pratique.

(3) Louvat, lovel, louvel, loviau, louveteau, petit loup.

XIV. — Le Lion devenu vieux (1).

Le lion, terreur des forêts,

Chargé d'ans, et pleurant son antique prouesse,
Fut enfin attaqué par ses propres sujets,

Devenus forts par sa faiblesse,

Le cheval s'approchant lui donne un coup de pied;
Le loup, un coup de dent; le bœuf, un coup de corne.
Le malheureux lion, languissant, triste, et morne,
Peut à peine rugir, par l'âge estropié.

Il attend son destin, sans faire aucunes plaintes;
Quand voyant l'âne même à son antre accourir:
Ah! c'est trop, lui dit-il ; je voulais bien mourir;
Mais c'est mourir deux fois que souffrir tes atteintes.

(1) Phædr., I, 21, Leo senex, Aper, Taurus, et Asinus.

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(1) Esop., 260, 152, Luscinia et Hirundo.

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Babrius, dans les Fabula Æsopica, édit. Lipsie, 1810, in-8°, p. CLXXXIX, Andóv xai XeλSÓV. Voici la fable de Babrius, traduite par M. Géruzez:

« L'hirondelle s'envola loin des champs, et trouva au fond des forêts désertes le rossignol harmonieux qui ne cessait de déplorer la mort de son cher Itys, ravi avant le temps. Salut! sœur bien-aimée, dit l'hirondelle; je te vois aujourd'hui pour la première fois depuis la Thrace. Viens donc aux champs, près de la demeure des hommes; tu auras ta part de nos tentes et de notre amitié; tes chants se feront entendre aux laboureurs et non plus aux animaux sauvages. - Laisse-moi, répondit le rossignol, demeurer parmi ces roches inhabitées; tout séjour, tout commerce avec les hommes rallumerait le souenir de mes anciens malheurs. »

Dans un bois où chantait la pauvre Philomèle.
Ma sœur, lui dit Progné, comment vous portez-vous?
Voici tantôt mille ans que l'on ne vous a vue:
Je ne me souviens point que vous soyez venue,
Depuis le temps de Thrace (1), habiter parmi nous.
Dites-moi, que pensez-vous faire?

Ne quitterez-vous point ce séjour solitaire?
Ah! reprit Philomèle, en est-il de plus doux?
Progné lui repartit: Eh quoi! cette musique,
Pour ne chanter qu'aux animaux,

Tout au plus à quelque rustique !

Le désert est-il fait pour des talents si beaux?
Venez faire aux cités éclater leurs merveilles.
Aussi bien, en voyant les bois,

Sans cesse il vous souvient que Térée autrefois,
Parmi des demeures pareilles,

Exerça sa fureur sur vos divins appas.

Et c'est le souvenir d'un si cruel outrage
Qui fait, reprit sa sœur, que je ne vous suis pas
En voyant les hommes, hélas !

Il m'en souvient bien davantage (2).

(1) Depuis le temps que vous étiez en Thrace, traduction de l'expression Opáxny de l'auteur grec.

(2) Dans une promenade, un jour, Bernardin de Saint-Pierre avait récité à Rousseau les beaux vers de La Fontaine sur Philomèle et Progné; Rousseau fond tout à coup en larmes il apercevait une sorte de ressemblance entre sa propre destinée, glorieuse et infortunée, et celle de cet oiseau qui enchante les bois, où il se cache et fuit les hommes, dont la vue lui rappelle

ses maux. D

VILLEMAIN. Cours de Littérature française, 3e partie. Tableau du 18. siècle. Paris, 1829, in-8°, page 265.

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Je ne suis pas de ceux qui disent: Ce n'est rien,
C'est une femme qui se noie.

Je dis que c'est beaucoup; et ce sexe vaut bien
Que nous le regrettions, puisqu'il fait notre joie.
Ce que j'avance ici n'est point hors de propos,
Puisqu'il s'agit, en cette fable,

D'une femme qui dans les flots

Avait fini ses jours par un sort déplorable.
Son époux en cherchait le corps,
Pour lui rendre, en cette aventure,
Les honneurs de la sépulture.

Il arriva que sur les bords

Du fleuve auteur de sa disgrâce,
Des gens se promenaient ignorant l'accident.
Ce mari donc leur demandant

S'ils n'avaient de sa femme aperçu nulle trace:
Nulle, reprit l'un d'eux; mais cherchez-la plus bas;

Suivez le fil de la rivière.

Un autre repartit: Non, ne le suivez pas ;

Rebroussez plutôt en arrière.

Quelle que soit la pente et l'inclination
Dont l'eau par sa course l'emporte,

L'esprit de contradiction

L'aura fait flotter d'autre sorte.

Cet homme se raillait assez hors de saison.

Quant à l'humeur contredisante,

(1) Verdizotti, 54, p. 135, édit. 1661, d'un Marito che cercava al contrario del fiume la Moglie affogata. Faern., I, 13, Uxor submersa et Vir. Pogge, Facetia, 1797, t. I, p. 69, et t. II, p. 54-60. La pièce ci-dessus est plutôt une épigramme qu'une fable. Le sujet en a été, du reste, généralement jugé comme assez mal choisi. Cette plaisanterie à propos d'un cadavre pouvait plaire tout au plus au goût grossier du moyen âge.

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