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Oui, il faut qu'une fille obéisse à son père. Il ne faut point qu'elle regarde comme un mari est fait ; et lorsque la grande raison de sans dot s'y rencontre, elle doit être prête à prendre tout ce qu'on lui donne.

HARPAGON. Bon. Voilà bien parlé, cela.

VALÈRE. Monsieur, je vous demande pardon si je m'emporte un peu, et prends la hardiesse de lui parler comme je fais.

HARPAGON. Comment? j'en suis ravi, et je veux que tu 10 prennes sur elle un pouvoir absolu. Oui, tu as beau fuir. Je lui donne l'autorité que le Ciel me donne sur toi, et j'entends que tu fasses tout ce qu'il te dira.

VALÈRE. Après cela, résistez à mes

remontrances.

Monsieur, je vais la suivre, pour lui continuer les leçons. 15 que je lui faisois.

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HARPAGON. Oui, tu m'obligeras. Certes...

VALÈRE. Il est bon de lui tenir un peu la bride haute.

HARPAGON. Cela est vrai. Il faut...

VALÈRE.

Ne vous mettez pas en peine. Je crois que j'en viendrai à bout.

HARPAGON. Fais, fais. Je m'en vais faire un petit tour en ville, et reviens tout à l'heure.

VALÈRE. Oui, l'argent est plus précieux que toutes les 25 choses du monde, et vous devez rendre grâces au Ciel de l'honnête homme de père qu'il vous a donné. Il sait ce que

c'est que de vivre. Lorsqu'on s'offre de prendre une fille sans dot, on ne doit point regarder plus avant. Tout est renfermé là dedans, et sans dot tient lieu de beauté, 30 de jeunesse, de naissance, d'honneur, de sagesse et de probité.

2. comme. Molière uses indiscriminately comme and comment without any difference in their meaning.

Attendez. . . comme est-ce qu'il s'appelle?- Mis. IV. 4.
Vous ne sauriez croire comment l'erreur s'est répandue. - Méd. m. 1., III. 1.

HARPAGON. Ah! le brave garçon !

Voilà parlé comme un oracle. Heureux qui peut avoir un domestique de la

sorte !

[How amusing is the end of this first act! Harpagon considers it a rare piece of luck to have such an excellent and reliable servant, and invests Valère with the authority to make Elise obey everything he tells her. Meanwhile Valère is in love with Elise and lays his plans to elope with her, if it should become necessary. We surely cannot find any fault with Valère for seeking to deceive Harpagon.]

ACTE II.

SCÈNE PREMIÈRE.

CLEANTE, LA FLÈCHE.

CLEANTE. Ah! traître que tu es, où t'es tu donc allé fourrer? Ne t'avois-je donc pas donné ordre . . .

LA FLÈCHE. Oui, Monsieur, et je m'étois rendu ici pour vous attendre de pied ferme ; mais Monsieur votre père, le plus malgracieux des hommes, m'a chassé dehors malgré moi, et j'ai couru risque d'être battu.

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CLEANTE. Comment va notre affaire ? Les choses 10 pressent plus que jamais; et depuis que je ne t'ai vu, j'ai découvert que mon père est mon rival.

LA FLÈCHE. Votre père amoureux ?

CLÉANTE. Oui; et j'ai eu toutes les peines du monde à lui cacher le trouble où cette nouvelle m'a mis.

LA FLÈCHE. Lui se mêler d'aimer ! De quoi diable s'avise-t-il ? Se moque-t-il du monde ? Et l'amour a-t-il été fait pour des gens bâtis comme lui?

8. m'a chassé dehors. the naïveté of malgré moi!

Dehors after chassé is pleonastic. Observe But Molière puts popular expressions in the mouth of La Flèche, his birth and station in life calling for the

same,

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CLÉANTE.

Il a fallu, pour mes péchés, que cette passion

lui soit venue en tête.

LA FLÈCHE. Mais par quelle raison lui faire un mystère de votre amour?

5 CLEANTE. Pour lui donner moins de soupçon, et me conserver au besoin des ouvertures plus aisées pour détourner ce mariage. Quelle réponse t'a-t-on faite?

LA FLÈCHE.

Ma foi Monsieur, ceux qui empruntent sont bien malheureux ; et il faut essuyer d'étranges choses 10 lorsqu'on en est réduit à passer, comme vous, par les mains des fesse-mathieux.

CLEANTE. L'affaire ne se fera point?

LA FLÈCHE. Pardonnez-moi. Notre maître Simon, le courtier qu'on nous a donné, homme agissant et plein de 15 zèle, dit qu'il a fait rage pour vous; et il assure que votre seule physionomie lui a gagné le cœur.

CLEANTE. J'aurai les quinze mille demande ?

francs que je

LA FLÈCHE. Oui; mais à quelques petites conditions, 20 qu'il faudra que vous acceptiez, si vous avez dessein que les choses se fassent.

CLEANTE. T'a-t-il fait parler à celui qui doit prêter l'argent ?

LA FLÈCHE. Ah! vraiment, cela ne va pas de la sorte. Il 25 apporte encore plus de soin à se cacher que vous, et ce sont des mystères bien plus grands que vous ne pensez. On ne veut point du tout dire son nom, et l'on doit aujourd'hui l'aboucher avec vous, dans une maison empruntée, pour être instruit, par votre bouche, de votre bien et de votre famille ;

II.

fesse-mathieux. The etymology of this word is uncertain. The most plausible explanation as yet given is: The apostle Matthew was a clerk in the office of the tax-receiver of Capernium; but taxreceivers were considered as usurers; thence the euphemism fester to pay homage to St. Matthew for practicing usury; then fester Saint Mathieu became fesse-mathieu.

=

et je ne doute point que le seul nom de votre père ne rende les choses faciles.

CLEANTE. Et principalement notre mère étant morte, dont on ne peut m'ôter le bien.

LA FLÈCHE. Voici quelques articles qu'il a dictés luimême notre entremetteur, pour vous être montrés, avant que de rien faire :

Supposé que le prêteur voie toutes ses sûretés, et que l'emprunteur soit majeur, et d'une famille où le bien soit ample, solide, assuré, clair, et net de tout embarras, on fera une bonne et exacte obligation par-devant un notaire, le plus honnête homme qu'il se pourra, et qui, pour cet effet, sera choisi par le prêteur, auquel il importe le plus que l'acte soit dûment dressé. CLEANTE. Il n'y a rien à dire à cela.

LA FLÈCHE. Le prêteur, pour ne charger sa conscience d'aucun scrupule, prétend ne donner son argent qu'au denier dix-huit. CLEANTE. Au denier dix-huit? Parbleu! voilà qui est honnête. Il n'y a pas lieu de se plaindre.

LA FLÈCHE. Cela est vrai.

Mais comme ledit prêteur n'a pas chez lui la somme dont il est question, et que pour faire plaisir à l'emprunteur, il est contraint lui-même de l'emprunter d'un autre, sur le pied du denier cinq, il conviendra que ledit premier emprunteur paye cet intérêt, sans préjudice du reste, attendu que ce n'est que pour l'obliger que ledit prêteur s'engage à cet emprunt.

CLEANTE. Comment diable! quel Juif, quel Arabe estce-là? C'est plus qu'au denier quatre.

IO. net de tout embarras, free from all encumbrance.

16. au denier dix-huit at the rate of one denier interest for 18 borrowed, or about 55 per cent.

22. sur le pied du denier cinq = one denier interest for 5 borrowed or 20 per cent.

26. Arabe, usurer.

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Injuste, violent, sans foi, double, faussaire. - BOILEAU.

Proverb: Traiter ses débiteurs comme un arabe.

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IO

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20

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5

LA FLÈCHE.

Il est vrai; c'est ce que j'ai dit. Vous

avez à voir là-dessus.

CLEANTE. Que veux-tu que je voie? J'ai besoin d'argent; et il faut bien que je consente à tout.

LA FLÈCHE. C'est la réponse que j'ai faite.
CLÉANTE. Il y a encore quelque chose?

LA FLÈCHE. Ce n'est plus qu'un petit article.

Des quinze mille francs qu'on demande, le prêteur ne pourra compter en argent que douze mille livres, et pour les mille écus 10 restants, il faudra que l'emprunteur prenne les hardes, nippes, et bijoux dont s'ensuit le mémoire, et que ledit prêteur a mis, de bonne foi, au plus modique prix qu'il lui a été possible. CLEANTE. Que veut dire cela?

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LA FLÈCHE. Écoutez le mémoire.

Premièrement, un lit de quatre pieds, à bandes de points de Hongrie, appliquées fort proprement sur un drap de couleur d'olive, avec six chaises et la courte-pointe de même; le tout bien conditionné, et doublé d'un petit taffetas changeant rouge et bleu. Plus, un pavillon à queue, d'une bonne serge d'Aumale 20 rose-sèche, avec le mollet et les franges de soie.

CLEANTE. Que veut-il que je fasse de cela?

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Plus, une tenture de tapisserie des amours de Gombaut et de Macée.

I. Vous avez à voir là-dessus, it is for you to see to that.

II. dont s'ensuit le mémoire, of which the following is the memorandum. Legal phrase.

23. une tenture de tapisserie des amours de Gombaut et de Macée, tapestry hangings, representing the loves of Gombaut and Macée. The 'loves of Gombaut and Macée' formed a sort of comic pastoral, very popular in former times. Very recently, Mr. Jules Guiffrey published a monograph on this subject; and, according to the very latest researches, we are informed that the 'loves of Gombaut and Macée' formed eight separate panels representing each one some particular feature of rustic life. The different games and the various pleasures of the peasant class form the subject-matter of the first five tableaux; the last three

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