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encore notre misère aux yeux de l'Europe; mais l'instruction du peuple est négligée à un degré qui menace toute espèce de gouvernement. S'ensuit-il qu'on doive remettre l'éducation publique aux prêtres exclusivement? Le pays le plus religieux de l'Europe, l'Angleterre, n'a jamais admis une telle idée. On n'y songe ni dans l'Allemagne catholique ni dans l'Allemagne protestante. L'éducation publique est un devoir des gouvernemens envers les peuples, sur lequel ils ne peuvent prélever la taxe de telle ou telle opinion religieuse.

Ce que veut le clergé en France, ce qu'il a toujours voulu, c'est du pouvoir; en général les réclamations qu'on entend, au nom de l'intérêt public, se réduisent à des ambitions de corps ou d'individus. Se publie-t-il un livre sur la politique, avez-vous de la peine à le comprendre, vous paroît-il ambigu, contradictoire, confus, traduisez-le par ces paroles : Je veux être ministre ; et toutes les obscurités vous seront expliquées. En effet, le parti dominant en France, c'est celui qui demande des places; le reste n'est qu'une nuance accidentelle à côté de cette uniforme couleur; la nation cependant n'est et ne peut être de rien dans ce parti..

En Angleterre, quand le ministère change,

tous ceux qui remplissent des emplois donnés par les ministres n'imaginent pas qu'ils puissent en recevoir de leurs successeurs; et cependant il ne s'agit entre les divers partis anglois que d'une très- légère différence : les Torys et les Whigs veulent tous les deux la monarchie et la liberté, quoiqu'ils diffèrent dans le degré de leur attachement pour l'une et pour l'autre. Mais en France, on se croyoit le droit d'être nommé par Louis XVIII, parce qu'on avoit occupé des places sous Bonaparte ; et beaucoup de gens, qui s'appeloient patriotes, trouvoient extraordinaire le roi ne composåt pas son conseil de ceux qui avoient jugé son frère à mort. Incroyable démence de l'amour du pouvoir! Le premier article des droits de l'homme en France, c'est la nécessité pour tout François d'occuper un emploi public.

que

La caste des solliciteurs ne sait vivre que de l'argent de l'état; aucune industrie, aucun commerce, rien de ce qui vient de soi, ne leur semble une existence convenable. Bonaparte avoit accoutumé de certains hommes, qui se disoient la nation, à être pensionnés par le gou vernement; et le désordre qu'il avoit mis dans la fortune de tout le monde, autant par ses dons que par ses injustices, ce désordre étoit tel, qu'à

son abdication un nombre incalculable de personnes, sans aucune ressource indépendante, se présentoient pour toutes les places, à la marine, ou dans la magistrature, au civil ou dans le militaire, n'importe. La dignité du caractère, la conséquence dans les opinions, l'inflexibilité dans les principes, toutes les qualités d'un citoyen, d'un chevalier, d'un ami de la liberté n'existent plus dans les actifs candidats formés par Bonaparte. Ils sont intelligens, hardis, décidés, habiles chiens de chasse, ardens oiseaux de proie; mais cette intime conscience qui rend incapable de tromper, d'être ingrat, de se montrer servile envers le pouvoir et dur pour le malheur; toutes ces vertus, qui sont dans le sang aussi-bien que dans la volonté raisonnée, étoient traitées de chimères, ou d'exaltation romanesque par les jeunes gens même de cette école. Hélas! les malheurs de la France lui rendront de l'enthousiasme; mais, à l'époque de la restauration, il n'y avoit presque point de vœux décidément formés pour rien; et la nation se réveilloit à peine du despotisme qui avoit fait marcher les hommes mécaniquement, sans que la vivacité même de leurs actions pût exercer leur volonté.

C'étoit donc, répéteront encore les royalis

tes, une belle occasion pour régner par la force. Mais, encore une fois, la nation ne consentoit à servir sous Bonaparte que pour en obtenir l'éclat des victoires; la dynastie des Bourbons ne pouvoit ni ne devoit faire la guerre à ceux qui l'avoient rétablie. Existoit-il un moyen d'asservir les esprits dans l'intérieur, quand l'armée n'étoit point rattachée au trône, et que la population, étant presque toute renouvelée depuis que les princes de la maison de Bourbon avoient quitté la France, il falloit avoir plus de quarante ans pour les connoître?

Tels étoient les élémens principaux de la restauration. Nous examinerons en particulier l'esprit de la société à cette époque, et nous finirons par le tableau des moyens qui, selon nous, pouvoient seuls triompher de ces divers obstacles.

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CHAPITRE X.

De l'influence de la société sur les affaires politiques en France.

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PARMI les difficultés que le ministère avoit à vaincre en 1814, il faut mettre au premier rang l'influence que les salons exerçoient sur le sort de la France. Bonaparte avoit ressuscité les vieilles habitudes des cours, en y joignant de plus tous les défauts des classes moins raffinées. Il en étoit résulté que le goût du pouvoir et la vanité qu'il inspire avoient pris des caractères plus forts et plus violens encore dans les Bonapartistes que dans les émigrés. Tant qu'il n'y a pas de liberté dans un pays, chacun recherche le crédit, parce que l'espoir d'obtenir des places est l'unique principe de vie qui anime la société. Les variations continuelles dans la façon de s'exprimer, le style embrouillé des écrits politiques dont les restrictions mentales et les explications flexibles se prêtent à tout; les révérences, et les refus de révérences, les emportemens et les condescendances, ont pour unique but le crédit, et puis le crédit, et tou

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