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ques petites circonstances, la fureur se ranime aussitôt contre eux. Les partisans de l'ancien régime considèrent ceux du gouvernement représentatif comme en état de révolte vis-à-vis du pouvoir légitime et absolu. Que signifient donc aux yeux de ces royalistes non-constitutionnels les services que les anciens amis de la révolution peuvent rendre à leur cause? un commencement d'expiation, rien de plus; et comment M. de Talleyrand n'a-t-il pas senti que, pour l'intérêt du roi comme pour celui de la France, il falloit qu'un pacte constitutionnel tranquillisât les esprits, affermît le trône, et présentât la nation françoise aux yeux de toute l'Europe, non comme des rebelles qui demandent grâce, mais comme des citoyens qui se lient à leur chef suprême par des devoirs réciproques?

Louis XVIII revint sans avoir reconnu la nécessité de ce pacte; mais étant personnellement un homme d'un esprit très-éclairé, et dont les idées s'étendoient au-delà du cercle

des cours, il y suppléa en quelque manière par sa déclaration du 2 mai, datée de SaintOuen il accordoit ce que l'on désiroit qu'il acceptât; mais enfin cette déclaration, supérieure à la charte constitutionnelle sous le rap

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port des intérêts de la liberté, étoit si bien conçue qu'elle satisfit momentanément les esprits. On put espérer alors l'heureuse réunion de la légitimité dans le souverain, et de la légalité dans les institutions. Le même roi pouvoit être Charles II par ses droits héréditaires, et Guillaume III par sa volonté éclairée. La paix sembloit conclue entre les partis; l'existence de courtisan étoit laissée à ceux qui sont faits pour elle; on plaçoit dans la chambre des pairs les noms illustrés par l'histoire, et les hommes de mérite du temps présent; enfin, la nation dut croire qu'elle répareroit ses malheurs, en tournant vers l'émulation de la liberté constitutionnelle, l'activité dévorante qui l'avoit consumée elle-même aussi-bien que l'Europe.

Deux seuls dangers pouvoient anéantir toutes ces espérances: l'un, si le système constitutionnel n'étoit pas suivi par l'administration avec force et sincérité; l'autre, si le congrès de Vienne laissoit Bonaparte à l'île d'Elbe, en présence de l'armée françoise. C'étoit un glaive suspendu sur le trône des Bourbons. Napoléon, en combattant jusqu'au dernier instant contre les étrangers, s'étoit mieux placé dans l'opinion des François, et peut-être alors avoit-il plus de partisans sincères que pendant sa prospérité

désordonnée. Il falloit donc, pour que la restauration se maintint, que les Bourbons, d'une part, pussent triompher des souvenirs de la victoire par les garanties de la liberté ; et que, de l'autre, Bonaparte ne fût pas établi à trente lieues de ses anciens soldats : jamais une plus grande faute ne pouvoit être commise relativement à la France.

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CHAPITRE VI.

De l'aspect de la France et de Paris pendant la première occupation.

ON auroit grand tort de s'étonner de la douleur que les François ont éprouvée, en voyant leur célèbre capitale envahie en 1814 par les armées étrangères. Les souverains qui s'en étoient rendus les maîtres se conduisirent alors avec l'équité la plus parfaite; mais c'est un cruel malheur pour une nation que d'avoir même à se louer des étrangers, puisque c'est une preuve que son sort dépend d'eux. Les armées françoises, il est vrai, étoient entrées plusieurs fois dans presque toutes les capitales de l'Europe, mais aucune de ces villes n'avoit une aussi

grande importance pour le pays dont elle faisoit partie, que Paris pour la France. Les mo

numens des beaux-arts, les souvenirs des hommes de génie, l'éclat de la société, tout contribuoit à faire de Paris le foyer de la civilisation continentale. Pour la première fois depuis que Paris occupoit un tel rang dans le monde, les drapeaux de l'étranger flottoient sur ses rem

parts. Naguère la voûte des Invalides étoit tapissée des étendards conquis dans quarante batailles, et maintenant les bannières de la France ne pouvoient se montrer que sous les ordres de ses conquérans. Je n'ai pas affoibli, je crois, dans cet ouvrage, le tableau des fautes qui ont amené les François à cet état déplorable : mais plus ils en souffroient, et plus ils étoient dignes d'estime.

La meilleure manière de juger des sentimens qui agitent les grandes masses, c'est de consulter ses propres impressions: on est sûr de deviner d'après ce qu'on éprouve soi-même, ce que la multitude ressentira; et c'est ainsi que les hommes d'une imagination forte peuvent prévoir les mouvemens populaires dont une nation est menacée.

Après dix ans d'exil, j'abordai à Calais, et je comptois sur un grand plaisir en re voyant ce beau pays de France que j'avois tant regretté : mes sensations furent tout autres que celles que j'attendois. Les premiers hommes que j'aperçus sur la rive, portoient l'uniforme prussien; ils étoient les maîtres de la ville, ils en avoient acquis le droit par la conquête : mais il me sembloit assister à l'établissement du règne féodal, tel que les anciens historiens le

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