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la Pologne, les restes déchirés de ce malheureux pays agitent encore l'Europe, ses débris se rallument sans cesse pour lui servir de brandons. Est-ce pour affermir le gouvernement actuel que cent cinquante mille soldats occupent notre territoire? Le gouvernement a des moyens plus efficaces de se maintenir; car, destiné pourtant un jour à ne s'appuyer que sur des François, les troupes étrangères qui restent en France, les contributions exorbitantes qu'elles exigent, excitent chaque jour un mécontentement vague dont on ne fait pas toujours le partage avec justice.

J'accorde cependant volontiers que l'Angleterre, ainsi que l'Europe, devoit désirer le retour des anciens souverains de la France; et que, surtout, la haute sagesse qu'avoit montrée le roi dans la première année de sa restauration, imposoit le devoir de réparer envers lui le cruel retour de Bonaparte. Mais les ministres anglois qui, mieux que tous les autres, connoissent, par l'histoire de leur pays, les effets d'une longue révolution sur les esprits, ne devoient-ils pas maintenir en France avec autant de soin les garanties constitutionnelles que l'ancienne dynastie ? Puisqu'ils ramenoient la famille royale, ne devoient-ils pas veiller à ce

que les droits de la nation fussent aussi-bien respectés que ceux de la légitimité ? N'y a-t-il qu'une famille en France, bien que royale ? Et les engagemens pris par cette famille envers vingt-cinq millions d'hommes, doivent-ils être rompus pour complaire à quelques ultra-royalistes (1)? Prononcera-t-on encore le nom de la charte, lorsqu'il n'y a plus l'ombre de liberté dela presse; lorsque les journaux anglois ne peuvent pénétrer en France; lorsque des milliers d'hommes sont emprisonnés sans examen ; lorsque la plupart des militaires que l'on soumet à des jugemens, sont condamnés à mort par des tribunaux extraordinaires, des cours prévôtales, des conseils de guerre, composés des hommes mêmes contre lesquels les accusés se sont battus vingt-cinq ans ; lorsque la plupart des formes sont violées dans ces procès, les avocats interrompus ou réprimandés; enfin, ́lorsque partout règne l'arbitraire, et nulle part la charte, que l'on devoit défendre à l'égal du trône, puisqu'elle étoit la sauvegarde de la na

(1) Tout ceci a été écrit pendant la session de 1815; et l'on sait que personne n'a été plus empressé que madame de Staël, à rendre hommage aux bienfaits de l'ordonnance du 5 septembre. (Note des éditeurs.)

tion? Prétendroit-on que l'élection des députés qui ont suspendu cette charte, étoit régulière ? Ne sait-on pas que vingt personnes nommées par les préfets ont été envoyées dans chaque collége électoral, pour y choisir les eunemis de toute institution libre, comme les prétendus représentans d'une nation, qui, depuis 1789, n'a été invariable que sur un seul point, la haine qu'elle a montrée pour leur pouvoir? Cent quatre-vingts protestans ont été massacrés dans le département du Gard, sans qu'un seul homme ait subi la mort en punition de ces crimes, sans que la terreur causée par les assassins ait permis aux tribunaux de les condamner. On s'est hâté de dire qui ont péri étoient des Bonapartistes; comme s'il ne falloit pas empêcher aussi que les Bonapartistes ne fussent massacrés. Mais cette imputation, d'ailleurs, étoit aussi fausse que toutes celles que l'on fait porter sur des victimes. Il est innocent l'homme qui n'a pas été jugé; encore plus l'homme qu'on assassine; encore plus les femmes qui ont péri dans ces sanglantes scènes. Les meurtriers, dans leurs chansons atroces, désignoient aux poignards ceux qui professent le même culte que les Anglois et la moitié de l'Europe la plus éclairée. Ce mi

que ceux

nistère anglois, qui a rétabli le trône papal, voit les protestans menacés en France, et loin de les secourir, il adopte contre eux ces prétextes politiques, dont les partis se sont servis les uns contre les autres, depuis le commencement de la révolution. Il en faudroit finir des argumens de la force, qui pourroient s'appliquer tour à tour aux factions opposées, en changeant seulement les noms propres. Le gouvernement anglois auroit-il maintenant pour le culte des réformés la même antipathie que pour les républiques? Bonaparte à beaucoup d'égards étoit aussi de cet avis. L'héritage de ses principes est échu à quelques diplomates, comme les conquêtes d'Alexandre à ses généraux; mais les conquêtes, quelque condamnables qu'elles șoient, valent mieux que la doctrine fondée sur l'avilissement de l'espèce humaine. Laissera-t-on dire encore au ministère anglois qu'il se fait un devoir de ne pas se mêler des affaires intérieures de la France? Une telle excuse ne doit-elle pas lui être interdite ? Je le demande au nom du peuple anglois, au nom de cette nation dont la sincérité est la première vertu, et que l'on fourvoie à son insu dans les perfidies politiques: peut-on se refuser au rire de l'amertume quand on entend des hommes qui ont

disposé deux fois du sort de la France, donner ce prétexte hypocrite, seulement pour ne pas lui faire du bien, pour ne pas rendre aux protestans la sécurité qui leur est due, pour ne pas réclamer l'exécution sincère de la charte constitutionnelle? Car les amis de la liberté sont aussi les frères en religion du peuple anglois. Quoi! lord Wellington est authentiquement chargé par les puissances de l'Europe, de surveiller la France, puisqu'il est chargé de répondre de sa tranquillité; la note qui l'investit de ce pouvoir est publiée; dans cette même note, les puissances alliées ont déclaré, ce qui les honore, qu'elles considéroient les principes de la charte constitutionnelle comme ceux qui devoient gouverner la France; cent cinquante mille hommes sont sous les ordres de celui à qui une telle dictature est accordée; et le ministère anglois viendra dire encore qu'il ne peut pas s'immiscer dans nos affaires? Le secrétaire d'état lord Castlereagh, qui avoit déclaré dans la chambre des communes, quinze jours avant la bataille de Waterloo (1), que l'Angleterre ne prétendoit en aucune manière imposer un gouvernement à la France, le même

(1) Séance du 25 mai 1815.

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