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cette contrée : c'est l'esclavage encores.bsistant dans les provinces du midi; mais, quand le congrès y aura trouvé remède, comment pourrat-on refuser le plus profond respect aux institutions des États-Unis? D'où vient donc que beaucoup d'Anglois se permettent de parler avec dédain d'un tel peuple? « Ce sont des marchands,» répètent-ils. Et comment les courtisans du temps de Louis XIV s'exprimoient-ils sur les Anglois eux-mêmes? Les gens de la cour de Bonaparte aussi, que disoient-ils? Les noblesses oisives ou uniquement occupées du service des princes, ne dédaignentelles pas cette magistrature héréditaire des Anglois, qui se fonde uniquement sur l'utilité dont elle est à la nation entière? Les Américains, il est vrai, ont déclaré la guerre à l'Angleterre dans un moment très-mal choisi par rapport à l'Europe; car l'Angleterre, seule alors, combattoit contre la puissance de Bonaparte. Mais l'Amérique n'a vu dans cette circonstance que ce qui concernoit ses propres intérêts; et on ne peut, certes, pas la soupçonner d'avoir voulu favoriser le système impérial. Les nations n'en sont pas encore à ce noble sentiment d'humanité qui s'étendroit d'une partie du monde à l'autre. On se hait entre voisins: se connoît-on

à distance? Mais cette ignorance des affaires de. l'Europe qui avoit entraîné les Américains à déclarer mal à propos la guerre à l'Angleterre, pouvoit-elle motiver l'incendie de Washington? Il ne s'agissoit pas là de détruire des établissemens guerriers, mais des édifices pacifiques consacrés à la représentation nationale, à l'instruction publique, à la transplantation des arts et des sciences dans un pays naguère couvert de forêts, et conquis seulement par les travaux des hommes sur une nature sauvage. Qu'y a-t-il de plus honorable pour l'espèce humaine, que ce nouveau monde qui s'établit sans les préjugés de l'ancien; ce nouveau monde où la religion est dans toute sa ferveur, sans qu'elle ait besoin de l'appui de l'état pour se maintenir; où la loi commande par le respect qu'elle inspire, bien qu'aucune force militaire ne la soutienne? Il se peut, hélas ! que l'Europe soit un jour destinée à présenter, comme l'Asie, le spectacle d'une civilisation stationnaire, qui, n'ayant pu se perfectionner, s'est dégradée. Mais s'ensuit-il que la vieille et libre Angleterre doive se refuser à l'admiration qu'inspirent les progrès de l'Amérique, parce que d'anciens ressentimens et quelques traits de ressemblance établissent entre les deux pays des haines de famille?

Enfin que dira la postérité de la conduite récente du ministère anglois envers la France? Je l'avouerai, je ne puis approcher de ce sujet sans qu'un tremblement intérieur me saisisse ; et cependant s'il falloit, je ne craindrai point de le dire, qu'une des deux nations, l'Angleterre ou la France, fût anéantie, il vaudroit mieux que celle qui a cent ans de liberté, cent ans de lumières, cent ans de vertus, conservât le dépôt que la Providence lui a confié. Mais cette alternative cruelle existoit-elle ? Et comment une rivalité de tant de siècles n'a-t-elle pas fait au gouvernement anglois un devoir de chevalerie autant que de justice, de ne pas opprimer cette France qui, luttant avec l'Angleterre pendant tout le cours de leur commune histoire animoit ses efforts par une jalousie généreuse? Le parti de l'opposition a été de tout temps plus libéral et plus instruit sur les affaires du continent que le parti ministériel. Il devoit donc naturellement être chargé de la paix. D'ailleurs, il étoit reçu en Angleterre que la paix ne doit pas être signée par les mêmes ministres qui ont dirigé la guerre. On avoit senti que l'irritation contre les ennemis, qui sert à conduire la guerre avec vigueur, fait abuser de la victoire ; et cette façon de voir est aussi juste que favorable à la

véritable paix, qui ne se signe pas, mais qui s'établit dans les esprits et dans les cœurs. Malheureusement le parti de l'opposition s'étoit mépris en soutenant Bonaparte. Il auroit été plus naturel que son système despotique fût défendu par les amis du pouvoir, et combattu par les amis de la liberté. Mais la question s'est embrouillée en Angleterre comme partout ailleurs. Les partisans des principes de la révolution ont cru devoir soutenir une tyrannie viagère, pour prévenir en divers lieux le retour de despotismes plus durables. Mais ils n'ont pas vu qu'un genre de pouvoir absolu fraie le chemin à tous les autres, et qu'en redonnant aux François les mœurs de la servitude, Bonaparte a détruit l'énergie de l'esprit public. Une particularité de la constitution angloise, dont nous avons déjà parlé, c'est la nécessité dans laquelle l'opposition se croit, de combattre. toujours le ministère, sur tous les terrains possibles. Mais il falloit renoncer à cet usage, applicable seulement aux circonstances ordinaires, dans un moment où le débat étoit tellement national que le salut du pays même dépendoit de son issue. L'opposition devoit se réunir franchement au gouvernement contre Bonaparte; car en le combattant, comme il l'a fait, avec

persévérance, ce gouvernement accomplissoit noblement son devoir. L'opposition s'appuyoit sur le désir de la paix, qui est en général trèsbien accueilli par les peuples; mais dans cette occasion, le bon sens et l'énergie des Anglois les portoient à la guerre. Ils sentoient qu'on në pouvoit traiter avec Bonaparte; et tout ce que le ministère et lord Wellington ont fait pour le renverser, a servi puissamment au repos et à la grandeur de l'Angleterre. Mais à cette époque, où elle avoit atteint le sommet de la prospérité, à cette époque où le ministère anglois méritoit un vote de reconnoissance pour la part qu'il avoit dans le triomphe de ses héros, la fatalité qui s'empare de tous les hommes parvenus au faîte de la puissance, a marqué le traité de Paris d'un sceau réprobateur.

Déjà le ministère anglois dans le congrès de Vienne, avoit eu le malheur d'être représenté par un homme dont les vertus privées sont très-dignes d'estime, mais qui a fait plus de mal à la cause des nations qu'aucun diplomate du continent. Un Anglois qui dénigre la liberté est un faux frère, plus dangereux que les étrangers, car il a l'air de parler de ce qu'il connoît, et de faire les honneurs de ce qu'il possède. Les discours de lord Castlereagh dans le

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