Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

seroient tentés, je crois, de supprimer le mot de nation de la langue comme un terme révo→ lutionnaire. Ne vaudroit-il pas mieux, même comme calcul, se rapprocher franchement de tous les principes qui sont d'accord avec la dignité de l'homme? Quels prosélytes peuvent-ils gagner avec cette doctrine ab irato, sans autre base que l'intérêt personnel? Ils veulent un roi absolu, une religion exclusive et des prêtres intolérans, une noblesse de cour, fondée sur la généalogie, un tiers état affranchi de temps en temps par des lettres de noblesse, un peuple ignorant et sans aucun droit, une armée purement machine, des ministres sans responsabilité, point de liberté de la presse, point de jurés, point de liberté civile ; mais des espions de police et des journaux à gages, pour vanter cette œuvre de ténèbres. Ils veulent un roi dont l'autorité soit sans bornes, pour qu'il puisse leur rendre tous les priviléges qu'ils ont perdus, et que jamais les députés de la nation, quels qu'ils soient, ne consentiroient à leur restituer. Ils veulent que la religion catholique soit seule permise dans l'état : les uns, parce qu'ils se flattent de recouvrer ainsi les biens de l'église; les autres, parce qu'ils espèrent trouver dans certains ordres religieux des auxiliaires

TOME III.

2..

zélés du despotisme. Le clergé a lutté jadis contre les rois de France, pour soutenir l'autorité de Rome; mais maintenant tous les privilégiés font ligue entre eux. Il n'y a que la nation qui n'ait d'autre appui qu'elle-même. Ils veulent un tiers état qui ne puisse occuper aucun emploi élevé, pour que ces emplois soient tous réservés aux nobles. Ils veulent que le peuple ne reçoive point d'instruction, pour en faire un troupeau d'autant plus facile à conduire. Ils veulent une armée dont les officiers fusillent, arrêtent et dénoncent, et soient plus ennemis de leurs concitoyens que des étrangers. Car pour refaire l'ancien régime en France, moins la gloire d'une part, et ce qu'il y avoit de liberté de l'autre, moins l'habitude du passé qui est rompue, et en opposition avec l'attachement invincible au nouvel ordre de choses, il faut une force étrangère à la nation pour la comprimer sans cesse. Ils ne veulent point de jurés, parce qu'ils souhaitent le rétablissement des anciens parlemens du royaume. Mais outre que ces parlemens n'ont pu prévenir jadis, malgré leurs honorables efforts, ni les jugemens arbitraires, ni les lettres de cachet, ni les impôts établis en dépit de leurs remontrances; ils seroient dans le cas des autres privilégiés : ils n'auroient plus leur

ancien esprit de résistance aux empiétemens de ministres. Étant rétablis contre le vœu de la nation et seulement par la volonté du trône, comment s'opposeroient-ils aux rois qui pourroient leur dire : Si nous cessons de vous soutenir, la nation, qui ne veut plus de vous, vous renversera? Enfin, pour maintenir le système qui a le vœu public contre lui, il faut pouvoir arrêter qui l'on veut, et accorder aux ministres la faculté d'emprisonner sans jugement, et d'empêcher qu'on n'imprime une ligne pour se plaindre. L'ordre social ainsi conçu seroit le fléau du grand nombre, et la proie de quelques-uns. Henri IV en seroit aussi révolté que Franklin; et il n'est aucun temps de l'histoire de France assez reculé pour y trouver rien de semblable à cette barbarie. Faut-il qu'à une époque où toute l'Europe semble marcher vers une amélioration graduelle, on prétende se servir de la juste horreur qu'inspirent quelques années de la révolution, pour constituer l'oppression et l'avilissement chez une nation naguère invincible?

Tels sont les principes de gouvernement développés dans une foule d'écrits des émigrés et de leurs adhérens : ou plutôt telles sont les conséquences de cet égoïsme de corps; car on

ne peut pas donner le nom de principes à cette théorie qui interdit la réfutation, et ne soutient pas la lumière. La situation des émigrés leur dicte les opinions qu'ils proclament, et voilà pourquoi la France a toujours redouté que le pouvoir fût entre leurs mains. Ce n'est point l'ancienne dynastie qui lui inspire aucun éloignement, c'est le parti qui veut régner sous son nom. Quand les émigrés ont été rappelés par Bonaparte, il pouvoit les contenir, et l'on ne s'est point aperçu de leur influence. Mais comme ils se disent exclusivement les défenseurs des Bourbons, on a craint que la reconnoissance de cette famille envers eux ne pût l'entraîner à remettre l'autorité militaire et civile à ceux contre lesquels la nation avoit combattu pendant vingt-cinq ans, et qu'elle avoit toujours vus dans les rangs des armées ennemies. Ce ne sont point non plus les individus composant le parti des émigrés qui déplaisent aux François restés en France; ils se sont mêlés avec eux dans les camps et même dans la cour de Bonaparte. Mais comme la doctrine politique des émigrés est contraire au bien de la nation, aux droits pour lesquels deux millions d'hommes ont péri sur le champ de bataille, aux droits pour lesquels, ce qui est plus douloureux encore, des

forfaits commis au nom de la liberté sont retombés sur la France, la nation ne pliera jamais volontairement sous le joug des opinions émigrées; et c'est la crainte de s'y voir contrainte qui l'a empêchée de prendre part au rappel des anciens princes. La charte constitutionnelle, en garantissant les bons principes de la révolution, est le palladium du trône et de la patrie.

« PreviousContinue »