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qu'il n'eût recours à l'aristocratie militaire, la plus funeste de toutes pour la liberté.

Les guerres civiles doivent finir par des concessions mutuelles, et déjà l'on voyoit les grands seigneurs se plier à la liberté pour plaire au roi ; la nation devoit gagner du terrain chaque jour; les limiers de la force, qui sentent où elle est, et se précipitent sur ses traces, ne se rattachoient point alors aux royalistes exagérés. L'armée commençoit à prendre un air libéral : c'étoit, il est vrai, parce qu'elle regrettoit son ancienne influence dans l'état; mais enfin la raison profitoit de l'humeur; l'on entendoit des généraux de Bonaparte s'essayer à parler liberté de la presse, liberté individuelle, à prononcer ces mots dont ils avoient reçu la consigne, mais qu'ils auroient fini par comprendre à force de les répéter.

Les hommes les plus respectables parmi les militaires souffroient des défaites de l'armée, mais ils reconnoissoient lá nécessité d'arrêter les représailles continuelles qui détruiroient à la fin la civilisation. Car si les Russes devoient venger Moscou à Paris, et les François Paris à Pétersbourg, les promenades sanglantes des soldats à travers l'Europe anéantiroient les lumières et les jouissances de l'ordre social. D'ailleurs cette

première entrée des étrangers effaçoit-elle les nombreux triomphes des François ? N'étoientils pas encore présens à l'Europe entière? Ne parloit-elle pas de la bravoure des François avec respect? Et n'étoit-il pas juste alors, quoique cela fût douloureux, que les François à leur tour ressentissent les dangers attachés à leurs injustes guerres? Enfin l'irritation, qui portoit quelques individus à désirer de voir renverser un gouvernement proposé par les étrangers, étoit-elle un sentiment patriotique? Certainement les nations européennes n'avoient point pris les armes pour rétablir les Bourbons sur le trône; ainsi l'on ne devoit pas attribuer la coalition à l'ancienne dynastie: on ne pouvoit pas nier aux descendans de Henri IV qu'ils ne fussent françois, et Louis XVIII s'étoit conduit comme tel dans la négociation de la paix, lorsqu'après toutes les concessions faites avant son arrivée, il avoit su conserver intact l'ancien territoire de France. Il n'étoit donc pas vrai de dire que l'orgueil national exigeât de nouvelles guerres; la France avoit encore beaucoup de gloire, et si elle avoit su repousser Bonaparte, et devenir libre comme l'Angleterre, jamais elle n'auroit vu les étendards britanniques flotter une seconde fois sur ses remparts.

Aucune confiscation, aucun exil, aucune arrestation illégale n'a eu lieu pendant dix mois: quel progrès en sortant de quinze ans de tyrannie! A peine si l'Angleterre est arrivée à ce noble bonheur trente ans après la mort de Cromwell! Enfin il n'étoit pas douteux que dans la session suivante on n'eût, décrété la liberté de la presse. Or, l'on peut appliquer à cette loi, la première d'un état libre, les paroles de l'écriture «Que la lumière soit, et la lumière » fut. >>

La plus grande erreur de la charte, le mode d'élection et les conditions d'éligibilité, étoit déjà reconnue par tous les hommes éclairés, et des changemens à cet égard auroient été la conséquence naturelle de la liberté de la presse " puisqu'elle met toujours les grandes vérités en évidence: l'esprit, le talent d'écrire, l'exercice de la pensée, tout ce que le règne des baïonnettes avoit étouffé se remontroit par degrés; et, si l'on a parlé constitution à Bonaparte, c'est parce qu'on avoit respiré pendant dix mois sous Louis XVIII.

Quelques vanités se plaignoient, quelques imaginations étoient inquiètes, les écrivains stipendiés, en parlant chaque jour à la nation de son bonheur, l'en faisoient douter; mais quand

les champions de la pensée seroient entrés dans la lice, les François auroient reconnu la voix de leurs amis; ils auroient appris de quels dangers l'indépendance nationale étoit menacée; quels motifs ils avoient de rester en paix au-dehors comme au-dedans, et de regagner l'estime de l'Europe par l'exercice des vertus civiles. Les récits monotones des guerres se confondent dans la mémoire ou se perdent dans l'oubli; l'histoire politique des peuples libres de l'antiquité est encore présente à tous les esprits, et sert d'étude au monde depuis deux mille ans.

TOME III.

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NON jamais je n'oublierai le moment où j'appris par un de mes amis, le matin du 6 mars 1815, que Bonaparte étoit débarqué sur les côtes de France; j'eus le malheur de prévoir à l'instant les suites de cet événement, telles qu'elles ont eu lieu depuis, et je crus que la terre alloit s'entr'ouvrir sous mes pas. Pendant plusieurs jours, après le triomphe de cet homme, le secours de la prière m'a manqué complètement; et, dans mon trouble, il me sembloit que la divinité s'étoit retirée de la terre, et qu'elle ne vouloit plus communiquer avec les êtres qu'elle y a mis.

Je souffrois jusqu'au fond du cœur par mes circonstances personnelles; mais la situation de la France absorboit toute autre pensée. Je dis à M. de Lavalette, que je rencontrai presque à l'heure même où cette nouvelle retentissoit autour de nous : « C'en est fait de la liberté >> si Bonaparte triomphe, et de l'indépendance >> nationale s'il est battu. » L'événement n'a

que

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