Page images
PDF
EPUB
[ocr errors][merged small]

Du système qu'il falloit suivre en 1814 pour maintenir la maison de Bourbon sur le trône de France.

BEAUCOUP de personnes croient que, si Napoléon ne fût point revenu, les Bourbons n'avoient rien à redouter. Je ne le pense pas; mais, il faut en convenir du moins, c'étoit un terrible prétendant qu'un tel homme; et, si la maison d'Hanovre a pu craindre le prince Édouard, il étoit insensé de laisser Bonaparte dans une situation qui l'invitoit, pour ainsi dire, à former des projets audacieux.

M. de Talleyrand, en reprenant, dans le congrès de Vienne, presque autant d'ascendant sur les affaires de l'Europe que la diplomatie françoise en avoit exercé sous Bonaparte, a certainement donné une très-grande preuve de son adresse personnelle; mais le gouvernement de France ayant changé de nature, devoit-il se mêler des affaires d'Allemagne ? Les justes ressentimens de la nation allemande n'étoient-ils pas encore trop récens pour être effacés? Le

premier devoir des ministres du roi étoit donc de demander au congrès de Vienne l'éloignement de Bonaparte. Comme Caton dans le sénat de Rome, lorsqu'il répétoit sans cesse : il faut détruire Carthage, les ministres de France devoient mettre à part tout autre intérêt, jusqu'à ce que Napoléon ne fût plus en regard de la France et de l'Italie.

C'étoit sur la côte de Provence que les hommes zélés pour la cause royale pouvoient être utiles à leur pays, en le préservant de Bonaparte. Le simple bon sens des paysans suisses m'en souviens, les portoit à prédire, pendant la première année de la restauration, que Bonaparte reviendroit. Chaque jour, dans la société, l'on essayoit d'en convaincre ceux qui pouvoient se faire écouter à la cour; mais com* me l'étiquette, qui ne règne qu'en France, ne permet pas d'approcher le monarque, et que la gravité ministérielle, autre inconséquence pour les temps actuels, éloignoit des chefs de l'état ceux qui auroient pu leur apprendre ce qui se passoit, une imprévoyance sans exemple a perdu la patrie. Toutefois, quand Bonaparte ne seroit pas débarqué à Cannes, le système suivi par les ministres, ainsi que nous avons tâché de le démontrer, avoit déjà com

promis la restauration, et laissoit le roi sans force réelle au milieu de la France. Examinons d'abord la conduite que le gouvernement devoit tenir envers chaque parti; et concluons en rappelant les principes, d'après lesquels il falloit diriger les affaires et choisir les hommes.

L'armée étoit, dit-on, difficile à ramener. Sans doute, si l'on vouloit garder encore une armée propre à conquérir l'Europe et à établir le despotisme dans l'intérieur, cette armée devoit préférer Bonaparte comme chef militaire aux princes de la maison de Bourbon; rien ne pouvoit changer cette disposition. Mais si, tout en payant exactement les appointemens et les pensions des guerriers qui ont donné tant d'éclat au nom françois, on eût fait connoître à l'armée qu'on n'avoit ni peur, ni besoin d'elle, puisqu'on étoit décidé à prendre pour guide une politique purement libérale et pacifique; si, loin d'insinuer tout bas aux officiers, qu'on leur sauroit bien bon gré d'appuyer les empiétemens de l'autorité, on leur avoit dit que le gouvernement constitutionnel, ayant le peuple pour lui, vouloit tendre à diminuer les troupes de ligne, à transformer les soldats en citoyens, et à changer l'activité guerrière en émulation civile : les officiers pen

dant quelque temps encore auroient regretté leur importance passée; mais la nation dont ils font partie plus que dans aucune autre armée, puisqu'ils sont pris dans toutes les classes, cette nation, satisfaite de sa constitution et rassurée sur ce qu'elle craint le plus au monde, le retour des priviléges des nobles et du clergé, auroit calmé les militaires, au lieu de les irriter par ses inquiétudes. Il ne falloit pas viser à imiter Bonaparte pour plaire à l'armée; on ne sauroit dans cet inutile effort se donner que du ridicule; mais, en adoptant un genre à soi tout différent, même tout opposé, on pouvoit obtenir le respect qui naît de la justice et de l'obéissance à la loi ; cette route-là du moins n'étoit pas usée par les traces de Bonaparte.

Quant aux émigrés, dont les biens sont confisqués, on auroit pu, ainsi qu'on l'a fait en 1814, demander quelquefois encore une somme extraordinaire au corps législatif, pour acquitter les dettes personnelles du roi ; et comme, sans le retour de Bonaparte, on n'auroit point eu de tributs à payer aux étrangers, les députés se seroient prêtés aux désirs du monarque, en respectant l'usage qu'il vouloit faire d'un supplément accidentel à sa liste ci

vile (1). Qu'on se le demande avec sincérité, si en Angleterre, lorsque la cause des royalistes sembloit désespérée, on avoit dit aux émigrés : Louis XVIII remontera sur le trône de France, mais à condition de s'en tenir au pouvoir du roi d'Angleterre ; et vous qui rentrerez avec lui, vous obtiendrez tous les dédommagemens et toutes les faveurs qu'un monarque selon vos vœux pourra vous accorder; mais si vous retrouvez de la fortune, ce sera par ses dons et non à titre de droits; et si vous acquérez du pouvoir, ce sera par vos talens personnels, et non par des priviléges de classe ; n'auroient-ils pas souscrit à ce traité? Pourquoi donc se laisser enivrer par un moment de prospérité? et si, je me plais à le répéter, Henri IV qui avoit été protestant, et Sully qui l'étoit resté, savoient

(1) Le roi donna l'ordre, en 1815, que sur ce supplément les deux millions, déposés par mon père au trésor royal, fussent restitués à sa famille, et cet ordre devoit être exécuté à l'époque même du débarquement de Bonaparte. La justice de notre réclamation ne sauroit être contestée; mais je n'en admire pas moins la conduite du roi, qui, portant l'économie dans plusieurs de ses dépenses personnelles, ne vou→ loit point retrancher celles que l'équité recommandoit. Depuis le retour de Sa Majesté, le capital de deux millions nous a été payé en une inscription de cent mille livres de rente sur le grand livre. (Note de l'auteur.)

« PreviousContinue »