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Patale, fut de neuf mois au moins. L'Inde fe fépare ici en deux larges bras, & forme une ifle femblable au Delta du Nil, mais beaucoup plus grande; & c'est ce qui a fait ainfi appeller la ville que je viens de Arrian. in nommer. Car felon Arrien, Patale fiIndic. pag.gnifie dans la langue Indienne la même chofe que Delta dans la grecque. Alexandre fit bâtir à Patale une citadelle, avec un port & un arfenal pour les navires. Pour lui, il s'embarqua fur le bras droit du fleuve, pour aller jufqu'à l'Océan, exposant. tant de braves hommes à la merci d'un fleuve inconnu. Leur feule confolation

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dans une entreprise fi téméraire, étoit le continuel bonheur du Roi. Il avoit déja 400. fades, fait vingt lieues, quand les Pilotes lui dirent qu'ils commençoient à fentir l'air de la mer, & qu'il leur fembloit que l'Océan n'étoit pas loin. A cette nouvelle, treffaillant de joie, il encourage les matelots à ramer de toute leur force, & représente aux foldats «qu'ils étoient à la fin de » leurs travaux fi ardemment defirée ; » qu'on ne pouvoit plus rien opposer à » leur valeur, ni ajouter à leur gloire ;

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que fans plus combattre, ni répandre » de fang, ils étoient maîtres de l'univers : » que leurs exploits alloient auffi loin que » la nature; & que bientôt ils verroient des chofes qui n'étoient connues qu'aux » Dieux immortels.

Quand ils furent près de la mer, un événement inopiné & nouveau pour eux

les jetta dans un grand trouble, & expofa la flotte à de grands dangers : c'étoit le flux & le reflux de l'Océan. Jugeant de cette vafte mer par celle de la Méditerranée, qui leur étoit feule connue, & qui n'a que des flux imperceptibles, ils furent fort étonnés lorfqu'ils la virent s'enfler confidérablement, & inonder les campagnes; & ils croyoient que c'étoit un figne de la colere des Dieux, qui vouloient punir leur témérité. Ils ne furent pas moins furpris ni effrayés quelques heures après, quand ils virent le reflux de la mer qui fe retiroit. comme elle étoit venue, laiffant à découvert les terres qu'elle venoit de fubmerger. La flotte eut beaucoup à fouffrir, & les vaiffeaux étant demeurés à fec, les champs étoient femés de hardes, de rames brifées, & d'ais fracaffés, comme après un grand

orage.

Enfin Alexandre, après avoir employé neuf mois entiers à defcendre par les rivieres, arriva à l'Océan, & contemplant avec des yeux avides cette vafte étendue de mer, il crut que ce fpectacle, digne d'un grand Conquérant comme lui, le. dédommageoit avantageufement de toutes. les fatigues qu'il avoit effuyées, & de tant de milliers d'hommes qu'il avoit perdus: pour y parvenir. Il fit des facrifices aux Dieux, & en particulier à Neptune; jetta dans la mer les taureaux qu'il avoit immolés, & grand nombre de coupes d'or; &pria les Dieux qu'après lui, jamais

Arrian. in

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homme mortel ne paffât les bornes de for expédition. Voyant qu'il avoit porté fes conquêtes jufques aux bornes les plus reculées de la terre de ce côté-là, il crut avoir fait tout ce qu'il s'étoit proposé, & bien content de lui-même, il alla retrou ver le reste de fa flotte & de fon armée: qui étoient reftées à Patale, ou dans les environs.

§. XVII.

Alexandre, en paffant dans des lieux dé Jerts, fouffre beaucoup de la famine. Il ar rive à Pafargade, où étoit le tombeau de Cyrus. Orfine, puiffant Satrape, eft mis à mort par l'intrigue fecrete de l'Eunuque Bagoas. Calanus Indien meurt volontairement fur un bûcher. Alexandre épouse Statira, fille de Darius. Arrivée d'Harpalus à Athénes; exil de Démofthéne. Révolu des foldats Macédoniens: Alexandre i ap paife. Il rappelle Antipater de Macédoine, & fubftitue Cratére à fa place. Douleur de ce Prince à la mort d'Epheftion.

ALEXANDRE, de retour à Patale, fit Indic. pag. tout préparer pour le départ de la flotte. Il nomma pour Amiral Néarque, qui de tous les Officiers fut le feul qui ofa fe charger de cette commiffion, extrêmement dangereufe, parce qu'il s'agiffoit de faire voile fur une mer abfolument inconnue. Le Roi lui fut bon gré d'avoir bien vou lu l'accepter, & après lui en avoir mar

qué fa reconnoiffance d'une maniere toutà-fait obligeante, il le chargea de recon noître avec fa flotte, qui étoit l'élite de fes meilleurs vaiffeaux, la côte maritime depuis l'Inde. jufqu'au fond du golfe Perfi que: & après avoir donné ces ordres, il prit fa route par terre vers Babylone.

Néarque ne partit pas de l'Indus en mê- Ibid. p. 335. me temps qu'Alexandre. La faifon n'étoit. pas alors propre à la navigation: c'étoit en été, où regnent les vents de mer qui viennent du côté du Sud, & la faifon des vents du Nord qui foufflent en hiver n'étoit pas encore venue. Il ne mit donc à la voile que vers la fin de Septembre; & c'étoit encore trop tôt. Auffi fut-il traverfé par les vents quelques jours après fon départ, & obligé de chercher un abri pendant vingt-quatre jours.

C'eft Arrien qui nous apprend tout ce détail dans le journal exact qu'il fait de cette navigation fur les mémoires de Néarque même.

Alexandre, ayant quitté Patale, marcha par terre au travers du pays des Orites, dont la capitale s'appelloit Ora ou Rhambacis. Il s'y trouva dans une fi extrêine difette de vivres, qu'il perdit beaucoup de monde, & qu'il ramena à peine de ces Indes la quatrieme partie de fon armée, qui étoit de fix-vingt mille hommes de pied, & de quinze mille chevaux. Les maladies, la méchante nourriture, les exceffives chaleurs en emporterent une infi

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nité mais la famine fit encore un plus grand ravage parmi les troupes dans ce pays ftérile, qui n'étoit ni cultivé ni femé, & dont les habitans étoient des fauvages, qui menoient une vie dure &-malheureufe. Quand on eut confumé toutes les racines de palmiers qui fe trouvoient dans le pays, il fallut manger les bêtes de fomme, puis les chevaux de fervice: & quand il n'y eut plus de quoi porter le bagage, on fut contraint de brûler ces riches dépouilles pour lefquelles les Macédoniens avoient couru jufqu'aux extrêmités de la terre. La pefte, fuite ordinaire de la famine, mit le comble à la mifere des for dats, & en fit périr un grand nombre.

Après une marche de foixante jours, Alexandre arriva fur les confins de la Gédrofie, où il fe trouva dans l'abondance de toutes chofes. Car, outre que le pays eft gras par lui-même, les Rois & les Satrapes les plus voifins de cette contrée lui envoyerent toutes fortes de provifions. I fit là quelque féjour, pour rafraîchir fon armée. Les Gouverneurs des Indes lui ayant envoyé par fon ordre quantité de chevaux, & de toutes fortes de bêtes de charge, de tous les lieux de fon obéiffance, il remonta fa cavalerie, remit en équipage ceux. qui en avoient befoin, & leur donna à tous bientôt après des armes auffi belles que les premieres, ce qui ne lui fut pas difficile,, fe trouvant proche de la Perfe, qui étoit alors paifible & dans une grande abondance.

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