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entre lui & le Caucafe pour mettre Alexandre, par la difette de vivres & de fourrages, hors d'état de le pourfuivre. En ef fet il eut beaucoup à fouffrir: mais rien n'étoit capable de le rebuter. Ayant fait repofer fon arinée à Drapfaque, il s'avança vers Aorne & Bactre, les deux plus puiffantes villes de la Bactriane, & s'en rendit maître. A l'approche d'Alexandre, les Bactriens, au nombre de sept ou huit mille, qui jufques-là avoient paru fort attachés à Beffus, l'abandonnerent tous, & fe retirerent chacun chez eux. Beffus, avec le petit nombre de troupes qui lui étoient demeurées fidèles, paffa le fleuve Oxus, brûla tous les bateaux dont il s'étoit fervi, dans la vue d'en rendre le paffage impraticable à Alexandre, & fe retira à Nautaque ville de la Sogdiane, réfolu d'y lever une nouvelle armée. Alexandre ne lui en laiffa pas le temps. N'ayant point trouvé d'arbres ni de bois pour conftruire des barques & des radeaux, il s'avifa de diftribuer aux foldats quantité de peaux pleines de paille & d'autres matieres féches & legéres, fur lefquelles s'étant couchés ils traverserent le fleuve, & ceux qui étoient paffés les premiers fe mettoient en bataille, pendant que les autres fuivoient. Il fit paffer de cette forte toute fon armée en fix jours.

Cependant Spitamene, qui étoit le grand confident de Beffus, forma contre lui une conspiration avec deux autres de fes principaux Officiers, S'étant faifis de fa person

ne,

ils le chargerent de chaînes, lui arrachent fa tiare de la tête, mettent en pieces la robe royale de Darius dont il étoit revêtu, & le font monter fur un cheval pour le livrer à Alexandre.

Ce Prince arriva à une petite ville où habitoient les Branchides. C'étoit une famille d'habitans de Milet, que Xerxès, à fon retour de Grece, avoit autrefois fait paffer dans la haute Afie, & qu'il y avoit richement établis, pour les récompenfer de ce qu'ils lui avoient livré les trésors du temple d'Apollon furnommé Didyméen, dont ils étoient les gardiens. Ils reçurent le Roi avec de grandes démonftrations de joie, & fe rendirent à lui, eux & leur ville. Alexandre fit venir les Miléfiens qui étoient de fon armée, lefquels confervoient contre les Branchides une haine héréditaire à cause de la perfidie de leurs ancêtres. Il laiffa à leur choix, ou de venger l'injure qu'ils en avoient autrefois reçue, ou de leur pardonner en confidération de leur commune origine. Etant partagés de fentiments entr'eux, & ne pouvant s'accorder, Alexandre prit fur lui la décifion. Le lendemain il donna ordre à fa phalange d'environner la place, &, dès qu'on en auroit donné le fignal, de faccager ce repaire de traîtres, & de les faire tous paffer au fil de l'épée. Cet ordre inhumain fut exécuté avec la même barbarie qu'il avoit été donné. Tous les citoyens, dans le temps même qu'ils alloient au devant d'Alexandre pour lui

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rendre leurs hommages, furent égorgés par les rues & dans leurs maifons, fans qu'on eût aucun égard à leurs cris & à leurs larmes, fans qu'on fit aucune diftinction ni de fexe, ni d'âge. On arracha même les fondemens des murs, pour n'y laiffer aucun veftige de ville. Quel étoit donc le cri-i ine de ces malheureux habitans? Etoient-ils refponfables de celui qu'avoient commis leurs peres il y avoit plus de cent cinquante ans? Je ne fçais fi l'hiftoire fournit quel qu'autre exemple d'une barbarie fi brutale & fi forcenée.

Peu de temps après on amena à Alexandre Beffus, non-feulement lié & garroté nais tout nud. Spitamene le tenoit attaché avec une chaîne qu'on lui avoit paffée au cou, & l'on n'eût fçu dire à qui cet objet étoit plus agréable, aux Barbares, ou aux Macédoniens. En le préfentant au Roi, il lui dit : « Enfin je vous ai vengés, vous & » Darius, mes Rois & mes Maîtres. Je vous » amene ce fcélérat, qui a affaffiné fon Sei»gneur, & qui eft traité maintenant felon » l'exemple qu'il en a lui-même donné. » Hélas, que Darius ne peut-il être témoin » d'un tel fpectacle! » Alexandre, après avoir fort loué Spitamene, fe tournant vers Beffus, lui dit : « Quelle rage de tigre s'eft ≫ emparée de ton cœur, pour avoir ofé » charger de chaînes, puis égorger ton Roi ≫ & ton bienfaiteur ? Retire-toi de devant » mes yeux, monftre de perfidie & de

cruauté. » Il n'en dit pas davantage &

ayant fait venir Oxatre frere de Darius, il lui remit Beffus entre les mains, pour lui faire effuyer toute l'ignominie qu'il méritoit, différant néanmoins fon fupplice dans la vue de le faire juger dans l'affemblée générale des perses.

S. XIII.

Alexandre, après avoir pris beaucoup de villes dans la Bactriane, en bâtit une près de l'laxarte, à laquelle il donne fon nom. Les Scythes, alarmés de la conftruction de cette ville qui les bridoit, lui députent des Ambaffadeurs, qui lui parlent avec une liberté extraordinaire. Après les avoir renvoyés, il paffe l'laxarte, remporte une victoire contre les Scythes, & traite favorablement les vaincus. Il punit & appaife la révolte des Sogdiens. Il envoie Beffus à Ecbatane pour y être puni. Il fe rend maître de la ville de Pétra, qui paroiffoir imprenable.

& l. 4. P.

150-160.

ALEXANDRE, infatiable de victoires & Arrian 1. 3. de conquêtes, alloit toujours en avant, P. 148. 149. cherchant de nouveaux peuples qu'il pût dompter. Après avoir recruté fa cavalerie Q. Curt. 1. qui avoit beaucoup fouffert dans les lon- 7.. 6-11. gues & périlleufes marches qu'il avoit faites, il s'avança jufqu'à * l'Iaxarte.

* Quinte - Curce & Arrien l'appellent le Tanaïs dans le Pont Euxin, & c'est

mais ils fe trompent. Le Ta

dans la mer Cafpienne, mais

ce que nous appellons au

mais eft bien plus à l'Occi-jourd'hui le Don. dent,& fe décharge, non pas

Près de-là, des Barbares defcendant toutà-coup de leurs montagnes, vinrent attaquer bufquement les troupes d'Alexandre & ayant emmené avec eux un grand nombre de prifonniers, ils regagnerent leurs retraites, où ils étoient vingt mille hommes qui combattoient avec des arcs & des frondes. Le Roi alla en perfonne les affiéger, & étant des premiers à l'attaque, il fut bleffé d'une fléche à l'os de la jambe, & le fer demeura dans la plaie. Les Macédoniens, également affligés & alarmés, l'emporterent auffi-tôt, mais non pas fi fecretement qu'ils en puffent dérober la connoiffance aux Barbares, qui du haut de la - montagne voyoient tout ce qui fe paffoit en bas. Ils envoyerent donc le lendemain des Ambaffadeurs au Roi, qui les fit entrer fur le champ, & ôtant le bandage & l'appareil de fa plaie, leur fit voir fa jambe fans leur témoigner la grandeur de fon mal. Ils l'affurerent, qu'ayant appris fa bleffure, ils n'en avoient pas reçu moins de déplaifir que les Macédoniens mêmes; & que s'ils euffent pû découvrir celui qui avoit fait le coup, ils le lui auroient mis entre les mains Qu'il n'appartenoit qu'à des impies de faire la guerre aux Dieux : Qu'au refte, vaincus par fon incomparable valeur, ils fe rendoient à lui, eux & tous les peuples qui les fuivoient. Le Roi leur ayant donné fa foi, & retiré fes prifonniers, les reçut en fon obéifiance.

Après, il leva le camp, & s'étant fait

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