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dre, il refufa de fuivre des parricides. Ils entrerent alors dans une telle fureur, que lançant leurs dards contre lui, ils le laifferent tout couvert de bleffures. Après un parricide fi déteftable, ils fe féparerent, pour laiffer en divers lieux des veftiges de leur fuite, & tromper par ce moyen l'ennemi, s'il vouloit les fuivre, ou l'obliger du moins à divifer fes forces. Nabarzane tira vers l'Hyrcanie, & Beffus vers la Bactriane, fuivis tous deux de peu de gens de cheval. Les Barbares, deftitués de Chefs, fe difperferent çà & là, felon que ka peur ou l'efpérance les guidoit.

Après plufieurs recherches, on trouva Darius par hafard dans un lieu écarté, le corps tout percé de javelots, couché fur fon char, & touchant à fa fin. Cependant, avant que d'expirer, il eut encore la force de demander à boire. Un Macédonien nommé Polyftrate, lui en apporta. Il avoit avec lui un prifonnier Perfan, qui lui fervit de truchement. Darius, après avoir bu dit, en fe tournant vers le Macédonien, Que dans l'état déplorable de fa fortune, il avoit au moins la confolation de parler à une personne qui l'entendroit, & fes dernieres paroles ne feroient point perdues. Qu'il le chargeoit de dire à » Alexandre, que fans l'avoir jamais obligé, il mouroit fon redevable. Qu'il lui »rendoit mille graces de tant de bontés qu'il avoit eues pour fa mere, pour fa femme, & pour les enfans, ne s'étant pas

» que

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AN.M.3674.
Ay. J.C.330.

contenté de leur fauver la vie, mais leur » ayant laiffé tout l'éclat de leur premiere » grandeur. Qu'il prioit les Dieux de ren<dre fes armes victorieufes, & de le faire » Monarque de l'univers. Qu'il ne croyoit pas avoir befoin de lui demander qu'il » vengeât l'exécrable parricide commis fur fa perfonne, parce que c'étoit la cause » commune des Rois. »

Puis prenant la main de Polyftrafte : » Touche-lui pour moi dans la main, lui » dit-il, comme je touche dans la tienne; » & porte-lui de ma part ce feul gage que »je puis lui donner de mon affection & » de ma reconnoiffance. » En finiffant ces mots, il expira. Alexandre arriva auprès de lui dans ce moment, & voyant le corps de Darius, il pleure amérement, &, par les marques de la douleur la plus fenfible, fait voir combien il étoit touché de l'infortune de ce Prince, qui méritoit un meilleur fort. Il détacha d'abord fa cotte d'armes, la jetta fur le corps de Darius, & l'ayant fait embaumer, & orné fon cercueil avec une magnificence Royale, il l'envoya à Syfigambis, pour le faire enfévelir à la façon des Rois de Perfe, & le mettre au tombeau de fes ancêtres.

Ainfi mourut Darius, la troifieme année de l'Olympiade CXII. après avoir vécu près de cinquante ans, & en avoir régné fix: Prince d'un caractere doux & pacifique, dont le régne, fi on en excepte la mort de Caridéme, avoit été fans violence

& fans cruauté, ou par inclination naturelle, ou parce que la guerre continuelle qu'il eut à effuyer contre Alexandre depuis fon avénement à la couronne ne lui permit pas d'en ufer autrement. Avec lui finit l'Empire des Perfes, qui avoit duré deux cens fix ans depuis le commencement du régne du grand Cyrus fon fondateur, fous treize Rois, fçavoir: Cyrus, Cambyfe, Smerdis le Mage. Darius, fils d'Hyftafpe. Xerxès I. Artaxerxe Longue-main. Xerxès II. Sogdien. Darius Nothus. Artaxerxe Mnémon. Artaxerxe Ochus. Arsès. Darius. Codoman.

S. XI.

Vices qui ont caufé la décadence & enfin la ruine de l'Empire des Perfes.

LA mort de Darius Codoman peut bien être regardée comme l'époque, mais non comme la cause unique de la deftruction de la Monarchie Perfane. Quand on jette une vue générale fur l'hiftoire des Rois dont je viens de faire le dénombrement, & que l'on confidére avec quelque attention leurs différens caractéres, & leur maniére de gouverner, foit dans la guerre, foit dans la paix, il eft aifé de reconnoître que cette décadence étoit préparée de loin, & qu'elle fut conduite à fa fin par des degrés marqués, qui annonçoient une ruine totale.

On peut dire d'abord que l'affoibliffe

ment de l'Empire des Perfes, & fa derniere chûte, venoient de fon origine même & de fa premiere inftitution. Il avoit été formé par la réunion de deux peuples bien différens d'inclinations & de moeurs. Les Perfes étoient fobres, laborieux, modeftes: les Médes ne refpiroient que le fafte, le luxe, la molleffe, & la volupté. L'exemple de la frugalité & de la fimplicité de Cyrus, & la néceffité de vivre continuellement fous les armes pour faire tant de conquêtes, & pour fe maintenir au milieu de tant d'ennemis, fufpendirent pendant quelque-temps la contagion de ces vices. Mais, après que tout fut dompté & foumis, le penchant naturel des Médes pour la magnificence & les délices affoiblit bientôt la tempérance des Perles, & devint en peu de temps le goût dominant des deux na

tions.

Plufieurs autres caufes y concoururent. Babylone conquife enivra fes vainqueurs de fa coupe empoifonnée, & les enchanta par les charmes de la volupté. Elle leur fournit les miniftres & les inftrumens prcpres à favorifer le luxe, & à entretenir les délices avec art & délicateffe: & les richeffes des Provinces les plus opulentes de l'univers, expofées à la difcrétion des nouveaux maîtres, les mirent en état de fatisfaire tous leurs defirs.

Cyrus même, comme je l'ai déja obfervé ailleurs, y donna occafion fans en prévoir les fuites, & y tourna les efprits

par

par la fête fuperbe qu'il donna après avoir terminé fes conquêtes, & dans laquelle il fe montra au milieu de fes troupes, compagnes de fes victoires, avec la pompe la plus capable d'éblouir. Il commença à leur infpirer de l'admiration pour le fafte qu'elles avoient jufques-là méprifé. Il leur fit comprendre que la magnificence & les richeffes étoient dignes de couronner les plus glorieux exploits, & qu'elles en étoient le terme & le fruit: & en infpirant à fes fujets un violent defir pour des chofes qu'ils voyoient fi fort eftimées par un Prince fi accompli, il les autorifa par fon exemple à s'y livrer fans retenue.

Il étendit encore ce mal en obligeant les Juges, les Officiers, & les Gouverneurs des Provinces, de paroître avec éclat aux yeux des peuples, & d'y vivre dans la fplendeur, afin de mieux repréfenter la majefté du Prince. D'un côté, ces Magiftrats & ces Commandans prirent aifément cette décoration de leurs charges pour l'effentiel, ne fongeant à fe diftinguer que par ces déhors faftueux : & de l'autre, les plus riches dans les Provinces fe les propoferent pour modéles, & furent bientôt fuivis par les gens d'une fortune médiocre, que les petits s'efforcerent d'égaler.

Tant de caufes d'affoibliffemens réunies & autorifées publiquement, détruifirent en peu de temps l'ancienne vertu des Perfes. Ils ne fuccomberent pas, comme les Romains, par des déclins imperceptibles Tome VI. Q

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