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AN. M. 3668.

Cependant Démarate de Corinthe, qui étoit lié avec Philippe par les noeuds de l'hofpitalité, & qui étoit trés-familier & très-libre avec lui, arriva à fa Cour. Après les premieres civilités & les premieres careffes, Philippe lui demanda fi les Grecs étoient en bonne intelligence entr'eux. Vraiment, Seigneur, lui répondit Démarate, il vous fied bien de vous mettre tant en peine de la Grece, vous qui avez rempli votre propre maifon de tant de querelles & de diffenfions. Le Prince fentant jufqu'au vif ce reproche, revint à lui, reconnut fa faute, & rappella Alexandre en lui envoyant ce même Démarate pour lui perfuader de re

venir.

Philippe ne perdoit point de vue la conAv.J.C. 336. quête de l'Afie. Plein du grand projet qu'il rouloit dans fa tête, il confulte les Dieux pour fçavoir quel fuccès il auroit. La Pythie lui repond: Le taureau eft déja couronné, fa fin approche, & il va bientôt être immolé. Il n'hésite pas un moment, & interprête en fa faveur un oracle, dont l'ambiguité auroit dû au moins le tenir en fufpens. Pour fe mettre en état de ne plus penfer qu'à fon expédition contre les Perfes, & de fe livrer tout entier à la conquête de l'Afie, il fe hâte de finir fes affaires domeftiques. Il offre un facrifice folemnel aux Dieux, & fe prépare à célébrer à Eges, ville de Macédoine, avec une magnificence incroyable, les nôces de Cléopatre La fille, qu'il donnoit en mariage à Ale

#andre, Roi d'Epire, & frere d'Olympias fa femme. Il y avoit invité toutes les perfonnes les plus confidérables de la Grece, & il les combla de toutes fortes de mar ques d'amitié & d'honneur, pour leur té moigner fa reconnoiffance de la qualité de Généraliffime des Grecs qu'on lui avoit conférée. Les villes à l'envi s'emprefferent de lui faire leur cour en lui envoyant des couronnes d'or, & Athénes fe fignala parmi toutes les autres par fon zele. Le Poëte Néoptoléme représenta dans cette fête une * Tragédie intitulée Cinyras, où, fous des noms empruntés, il repréfentoit le Prince déja vainqueur de Darius, & maître de l'Afie. Philippe écoutoit avec joie ces heu reux préfages, & les comparant avec la réponse de l'oracle, il fe tenoit affuré de fa conquête. Le lendemain du repas on célebra des Jeux & des fpectacles. Comme ils faifoient partie de la religion, on y porta en pompe & en cérémonie douze images des Dieux travaillées avec un art inimitable. Une treizieme les furpaffoit toutes en magnificence: c'étoit celle de Philippe, où il étoit repréfenté comme un Dieu. L'heure venue, il fort de fon palais, revêtu d'une robe blanche, & s'avance majestueusement au milieu des cris de joie & des applaudiffemens vers le théâtre, où

*Suicone, entre les préfages de la mort de Caligula qui mourut à peu près comme Philippe, obferve que ce

jour-là le Pantomime Mnef ter joua la piéce qu'avoit rer préfenté Neoptoleme le jour que Philippe fut tué.

une multitude innombrable tant de Ma cédoniens que d'étrangers l'attendoit avec impatience. Il étoit précédé & fuivi de fes gardes qui, par fon ordre, laiffoient un affez grand intervalle entr'eux & lui, afin qu'on le pût confidérer plus facilement, & pour faire voir auffi qu'il regardoit l'amour des Grecs à fon égard comme la plus sûre garde qu'il pût avoir.

Tout l'appareil de cette fête, toute la célébrité de ces nôces, fe termina au meurtre du Roi, & ce fut un déni de juftice qui lui fit perdre la vie. Quelque temps auparavant, Attale, dans l'ardeur du vin & de la débauche, avoit fait une insulte fanglante à Paufanias, jeune Seigneur de Macédoine. Celui-ci pourfuivoit depuis longtemps la vengeance du cruel affront qu'il avoit reçu, & ne ceffoit d'implorer avec chaleur la puiffance royale. Mais Philippe, pour ne point mécontenter Attale, oncle de Cléopatre qu'il avoit époufée depuis la répudiation d'Olympias fa premiere femme, demeuroit toujours fourd aux plaintes de Paufanias. Seulement, pour le confoler, & lui donner des preuves de fon eftime & de fa confiance, il le mit parmi les premiers Officiers de fa garde. Ce n'étoit pas ce que demandoit le jeune Macédonien. Sa colere fe tourne donc en fureur : il s'en prend à fon Juge, & forme le deffein de laver fa honte en fe fouillant d'un déteftable parricide.

Un homme déterminé à mourir, ef

bien fort & bien redoutable. Paufanias pour l'exécution de fon deffein meurtrier, choifit le moment de cette pompeufe cérémonie où tous les yeux étoient attachés fur le Prince, fans doute pour rendre fa vengeance plus éclatante, & pour la proportionner en quelque forte à la grandeur de l'injure qu'il avoit reçue, dont il croyoit avoir droit de rendre le Roi responsable après toutes les pourfuites inutiles qu'il avoit faites auprès de lui pour en tirer la fatisfaction qui lui étoit due. Le voyant donc feul dans cet efpace vuide que fes gardes laiffoient autour de lui, il s'avance, le perce d'un coup de poignard, & le fait tomber mort à fes pieds. Diodore remarque qu'il fut affaffiné dans le moment même que fa ftatue entroit dans le Théâ tre. L'affaffin avoit fait tenir des chevaux tout prêts, & il fe feroit fauvé fans un accident qui l'arrêta, & laiffa le temps de l'atteindre. Il fut mis en pieces fur le champ. Ainfi mourut Philippe, âgé de 47 AN.M. 3668. ans, après en avoir régné 24. Artaxerxe Av.J. C. 336. Ochus, Roi de Perfe, mourut auffi la mê

me année.

Démofthene fut fecretement averti de Æfchin. cette mort de Philippe, & pour difpofer contr. Ctepar avance les Athéniens à reprendre cou-Siph. p. 449, rage, il alla au Confeil avec un visage où la joie étoit peinte, & dit que la nuit précédente il avoit eu un fonge qui promettoit quelque grand bonheur aux Athéniens. Peu de temps après on vit arriver les

couriers qui apportoient les nouvelles de la mort de Philippe. On fe livra à des transports de joie immodérés, fans garder aucune mefure ni aucune bienséance, & c'étoit Démofthene fur-tout qui infpiroit ces fentimens. Lui-même parut en public avec une couronne de fleurs fur la tête, & vêtu magnifiquement, quoique ce ne fût que le feptieme jour de la mort de fa fille. Il engagea les Athéniens à faire des facrifices pour remercier les Dieux d'une fr bonne nouvelle, & par un décret il fit décerner une couronne à Paufanias qui avoit commis le meurtre.

On ne reconnoît ici ni Démofthene ni les Athéniens; & l'on a peine à comprendre comment, dans un crime auffi déteftable qu'eft le meutre d'un Roi, un peu de politique au moins ne les porta pas à diffimuler des fentimens qui les deshonoroient gratuitement, & qui marquoient en eux une extinction de probité & d'honneur.

S. VIII

Faits & dits mémorables de Philippe. Carac tere de ce Prince en bien & en mal.

Il y a dans la vie des grands hommes certains faits & certaines paroles, plus propres fouvent à les faire connoître, que leurs actions les plus éclatantes; parce que dans celles-ci, pour l'ordinaire, ils s'étu dient, fe contrefont, & fe donnent en fpectacle; au lieu que dans les autres, par

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