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DE L'ESSAI SUR LA CHRONOLOGIE D'HÉRODOTE et du canon cHRONOLOGIQUE DE LARCHER.

AVEC UNE CARTE DES EXPÉDITIONS D'ALEXANDRE,
SERVANT A L'ÉCLAIRCIssement de la géograPHIE DE L'ASIE,

PARIS.

A. DESREZ, LIBRAIRE-ÉDITEUR,

RUE SAINT-GEORGES, No 44.

1857.

AU

BARON CHARLES DUPIN,

MEMBRE DE L'INSTITUT ET DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS,

EX-MINISTRE DE LA MARINE.

MON CHER AMI,

Dans vos jours de jeunesse et d'enthousiasme, dans ces jours où l'âme s'élance avec bonheur vers les idées les plus illimitées d'amélioration sociale, où tout nous paraît possible et facile sur la voie du bien, parce que nous sentons en nous-mêmes la force de nous sacrifier à nos semblables, à cette époque de rêves généreux qui n'ont pas encore leur rével, il vous fut donné de pouvoir déjà vous mêler à la vie réelle et de consacrer vos jeunes lumières à ranimer et à féconder les lumières endormies des autres. Détaché avec quelques officiers de notre armée sur le sol grec des îles ioniennes, au moment de la première vigueur de l'Empire, vous vous inspiriez à la fois des antiques souvenirs de la liberté grecque et des hauts faits récents de notre nation, et vous appeliez la Grèce à de nouvelles destinées. « Après vingt siècles, disiez-vous dans la séance d'inauguration de l'Académie ionienne, le 17 juillet 1808, après vingt siècles de sommeil, le génie de la Grèce sortira de sa léthargie, et secouera la poussière qui l'ensevelissait; il reprendra la vie au milieu des ruines et des débris relevés par une main restauratrice. Par l'illusion de son réveil, il croira reconnaître ses premiers favoris dans la génération de leurs arrière-neveux; il leur prodiguera les mêmes faveurs. >>

Et ce n'était point par des emprunts factices, dérobés à nos propres conquêtes politi– ques, ni par des rêves de jeune homme, que vous provoquiez la régénération des peuples de la Grèce. La science fut toujours pour vous un culte, et c'était à la lueur de la science que vous leur demandiez de se guider.

« Nous aimons les sciences, leur disiez-vous, parce que leur étude fait le charme de l'existence; parce qu'elles agrandissent nos pensées et les purgent de leurs erreurs : nous les cultivons surtout parce qu'elles sont nécessaires à la société. »

Vous vouliez donc que la science fût assise à la base de cette nouvelle civilisation. L'éducation publique, qui fait de nous des hommes et des citoyens; l'industrie, qui donne un emploi fructueux à nos forces; l'agriculture, qui nous assure un honorable repos après une vie agitée : telles étaient les premières sciences et les premiers travaux auxquels vous leur conseilliez de se livrer sans cesse et sans découragement. Vous-même, vous les encouragiez par votre propre exemple à l'étude de leurs grands modèles antiques. C'est sur le sol même de la Grèce que vous cherchiez à faire passer dans notre langue les mâles et sévères beautés du grand orateur grec. Votre traduction de Démosthènes, qui a mérité les suffrages d'un de nos plus habiles critiques, Paul-Louis Cour

rier, était un service rendu aux deux pays. Quelques années de cette existence régénérée par l'étude des sciences, des lettres et des arts, telle que vous la présentiez aux Grecs,` et l'exemple du bonheur dont auraient joui les îles ioniennes ne pouvait manquer de réagir sur les peuplades voisines dans toute l'étendue de l'ancienne Grèce. Alors, par la force d'impulsion dont était doué notre empire, il est aisé de prévoir la destinée à laquelle se serait promptement élevé ce beau pays. Son affranchissement, que vous aviez déjà prévu, ne devait cependant être retardé que de peu d'années, pour leur coûter plus de sang et pour être amoindri.

Les Français partirent, et il ne fut plus question d'améliorations intérieures, prélude d'améliorations plus vastes. L'Académie ionienne, fondée surtout par votre activité pour guider les travaux et les récompenser, les cours publics de mathématiques, de physique, de médecine, de jurisprudence, de littérature grecque, les prix olympiadiques, conçus et proposés par vous, tout disparut à l'aspect des premières bandes russes.

De retour dans vos foyers, après le tumulte des guerres, vous avez consacré au service de votre patrie, à l'intérieur, cette activité éclairée que vous employiez hors de son sein pour son utilité comme pour celle des provinces soumises. Là où surgissait une découverte scientifique ou une meilleure application de la science, vous vous empressiez d'aller l'étudier, pour offrir ensuite le résultat de vos recherches à la méditation de vos compatriotes. C'est ainsi que je vous ai vu visiter avec une infatigable persévérance les ports, les arsenaux, les canaux, et tous les établissements industriels de l'Écosse, de l'Irlande et de l'Angleterre; étudier les grands ouvrages d'art, les administrations et les institutions des trois royaumes; et montrer partout le mal à fuir, le bien à imiter. Je vous accompaguais de tout mon intérêt dans ces savantes explorations. J'aimais cette ténacité de caractère qui vous faisait poursuivre une vérité, sans reculer devant les préjugés de vos amis ou l'opposition de vos ennemis; j'estimais ce dévouement de tous les instants à la science, et mon amitié vous applaudissait lorsque, sans faiblir vous-même dans les mauvais temps de la restauration, vous arrachiez au plus indolent et au plus rétrograde de tous nos ministres la concession de ces écoles populaires libres qui, en apprenant au peuple à se rendre un compte exact de sa force, lui enseignaient en même temps à la régler et à la moraliser. Toutes les villes de France se couvrirent à votre voix d'écoles industrielles ; ces services sont trop récents pour être oubliés de vos compatriotes. J'ai été étonné moimême, en parcourant la France sous un ministère ami des idées généreuses, sous le ministère Martignac, de trouver à quelle profondeur le champ avait été ensemencé par yous ce fut une satisfaction réelle pour moi de confondre mes efforts avec ceux d'un ami tel que vous. En tout temps, dans toute occasion, je vous ai connu dévoué avant tout à la science et à votre patrie. Même dans les courts instants de votre ministère, où mon amitié vous engageait à faire front avec fermeté contre tous les obstacles, les intérêts permanents de la science obtinrent du moins une conquête sur les préoccupations journalières de la politique, et vous laissâtes pour souvenir de votre passage la création de deux prix importants, conçus et fondés pendant votre courte administration. C'est au nom de ces premiers efforts en faveur de la Grèce, au nom de votre traduction du plus grand des orateurs anciens, au nom des services rendus pendant toute votre vie à la science et aux lettres, au nom de notre amitié commune qui vivra autant que nous deux, que je vous prie d'accepter l'hommage de ce volume, le premier de la collection des grands historiens de la Grèce.

Paris, 20 mars 1857.

Votre ami,

J.-A.-C. BUCHON.

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