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M. Gref

fet, dans le VertVert.

la Penfée auroit le caractere du vrai ; l'a-
mour & la jaloufie font deux paffions qui fe
comba tent, & préfentent deux idées réelle-
ment oppofées; mais il n'en eft pas de même
des idées de tendreffe & d'amour : la ten-
dreffe n'eft autre chofe que la fenfibilité, &
celle-ci eft le principe même de l'amour.

Les Mufes font des abeilles volages :
Leur goût voltige, il fuit les longs ouvrages;
Et, ne prenant que la fleur d'un fujet,
Volent bientôt fur un nouvel objet.

L'idée de Mufe eft oppofée à l'idée d'inconftance & de legéreté. Les Mufes qui ont dicté l'Iliade, l'Enéïde, la Henriade, celles qui ont fait revivre Cinna, Athalie, Rhadamifte, ne peuvent care foupçonnées d'avoir un goût ennemi des longs ouvrages. La Penfée de ces vers eft donc fauffe.

M. Mar- Du devoir il eft beau de ne jamais fortir,
Mais plus beau d'y rentrer avec le repentir.

montel,

dans A

riftomène, trag.

Le vrai manque dans le dernier vers. N'eft. il pas plus beau en effet à une femme, par exemple, d'être toujours fidele à fon mari, que de lui manquer de fidélité d'abord, & de s'en repentir enfuite; à un homme de ne jamais manquer de probité, que de fe repentir d'en avoir manqué?

Le défaut de vrai dans les pensées vient fouvent du défaut de jufteffe, & le défaut de jufteffe vient fouvent des métaphores ou

trées. On a repris justement celle-ci dans le
portrait de Midas.

Tel, en un mot, que la Nature & l'Art;
En maçonnant les remparts de fon ame,
Songerent plus au fourreau qu'à la lame.

On ne maçonne pas un fourreau. Ces deux
idées ne vont point enfemble.

Les vers fuivans renferment encore une métaphore plus vicieuse que la précédente.

Voyez ce portier inflexible,
Qui, payé pour être terrible,

Et muré d'un cœur de Huron....

On peut bien dire avec Horace que le cœur eft muré d'un triple airain, Iili robur & as triplex circà pectus erat; mais c'eft une abfurdité de dire qu'un homme eft muré d'un cœur ; c'eft comme fi on difoit que Paris eft muré du Château des Tuileries. Voyez l'article VRAI,

S. Du naturel dans les Penfées. Une Penfée naturelle eft néceffairement vraje, mais toute Penfée vraie ne paroît pas toujours naturelle, parce que le rapport réel qui peut fe trouver entre des idées, n'eft pas toujours fenfible. Nous ne jugeons une Penfée naturelle que lorfqu'elle fe préfente d'abord à l'efprit; fi elle lui échappe, ou qu'elle ne fe laiffe qu'entrevoir, nous ne manquons pas de nous en prendre à l'Auteur. Notre amour propre nous perfuade aifément que ce que nous ne concevons pas fans effort, n'a pu être produit fans beaucoup de travail.

Rou

feau

M. Gref fet, les Ombresa

M. de

» Ce que je trouve de cruel dans quelques Montef» Ecrivains modernes, dit élégament un quieu. » homme de génie, c'eft qu'ils ne veu» lent jamais être naturels. Un tour heu»reux leur paroît plat, parce qu'il n'a pas » l'air d'avoir coûté: une idée mife ga» lamment, mais en habit fimple, ne pa>> roît pas piquante à ces Meffieurs; ils » veulent lui donner des graces de leur » façon; ils la tournent, ils la ferrent, & » enfin après bien des foins, ils arrivent à » être entortillés, pour avoir voulu être délicats & obfcurs, pour avoir eu envie » d'être vifs. >>

Une Pensée peut n'être pas naturelle, ou parce que le rapport des idées n'eft pas fenfible, ou parce que l'expreffion manque d'une certaine convenance avec les idées. Le défaut de naturel dans une Penfée vient auffi quelquefois du tour qu'on lui donne. Vous voulez faire naître une idée, & pour la présenter vous l'envisagez fous un rapport vrai, mais un peu éloigné de la mainere la plus ordinaire de la concevoir; vous avez deffein d'exprimer un fentiment, & pour le rendre, vous vous fervez d'une image étrangere; vous le faites deviner plutôt que vous ne le développez; cette maniere de peindre vos idées & d'expofer vos fentimens, eft fort différente de celle qui représenteroit les unes fous leur afpect le plus familier, & les autres d'une façon moins détournée. Or ces différentes manieres de faire envifager une idée, d'exprimer un fentiment, c'eft ce qu'on appelle quelquefois le tour d'une Penfée, ce qui

fait dire qu'elle eft bien ou mal tournée. Si les idées de votre Penfée fe préfentent fous un jour extrêmement commun: votre tour eft fimple. Si vous les offrez fous un afpect vrai & fenfible, mais que l'efprit ne faifit pas d'abord: votre tour eft fin. Si le rapport fous lequel vous les exposez est extrêmement fubtil, fi on ne fait que l'entrevoir, s'il échappe à la réflexion, ou s'il paroît moins vrai que faux: alors votre tour eft forcé, contraint, & votre Pensée eft peu naturelle. Voyez TOURS.

S. Des Penfees fublimes. Une Pensée fublime eft une Penfée qui frape, faifit étonne & qui fait en même tems éprouver à l'ame un fentiment qui lui inspire une noble fierté. Or une Penfée peut produire fur nous ces effets de deux manieres, ou par la grandeur des objets qu'elle nous préfente, ou par la maniere dont ils y font représentés.

Une Penfée fublime du côté des idées doit néceffairement avoir l'empreinte du vrai, & ce vrai doit être fenfible au premier coup d'œil, pour que l'ame en foit d'abord faifie. Ce n'eft pas encore affez, il faut que les idées que la Pensée réunit, offrent quelque image extraordinaire, fans quoi l'ame n'en feroit pas étonnée. Il eft encore néceffaire que cette image extraordinaire représente quelque chofe de grand, de relevé, qui paroiffe au deffus de l'intelligence humaine, & qui étende les connoiffances de l'ame de maniere à lui infpirer une idée plus noble d'elle-même. Telle

Ode fur

eft l'image que nous préfente l'Ecriture quand elle nous peint la puiffance d'un conquérant par cette idée: la terre fe tut en fa préfence; telle eft celle qu'Homere nous donne de Jupiter, qui d'un clin d'œil ébranle l'univers; telle eft celle qu'on trouve dans la ftrophe fuivante :

Dans ce tas de pouffiere humaine,

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la Mort. Dans ce chaos de boue & d'offemens épars Je cherche, confterné de cette affreuse scène १ Les Alexandres, les Céfars:

Cette foule de Rois, fiers rivaux du tonnerre;
Ces Nations, la gloire & l'effroi de la Terre;
Ce Peuple, Roi de l'Univers;

Ces Sages, dont l'esprit brilla d'un feu céleste ;
De tant d'hommes fameux voilà donc ce qui refte:
Des tombeaux, des cendres, des vers.

On trouve dans la mauvaise tragédie Par Mile Barbier. d'Arrie & Patus un morceau bien fublime. L'amour de ces deux époux eft affez connu. L'empereur Claude après avoir tenté de rendre Arrie favorable à fa paffion, pouffa fon reffentiment contre Patus, jufqu'à vouloir lui ôter la vie. Arrie s'efforça envain de dérober fon époux à la mort, parce qu'elle ne vouloit pas devoir fon falut à la perte de fon honneur. Défefpérant de filéchir l'empereur, elle lui adreffe ces paroles:

Ton cœur ne connoît plus ni vertus ni remords.
Pour fauver mon époux j'ai fait de vains efforts;
Je ne le vois que trop; il eft tems qu'il périsse.
Ne diffère donc plus cet affreux facrifice:

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