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la voix de la bergère qui criait toujours. Cyprien, sa vieille mère boiteuse, le père et la gardeuse de vaches, entrèrent à la fois dans l'étable. Je restai comme frappée du tonnerre, à genoux, la tête inclinée et tenant encore des deux mains le bas de la robe de la femme de Cyprien. Un grand rayon de soleil du matin donnait malheureusement en plein sur ma tête, comme si le bon Dieu eût voulu me faire rougir jusque devant le feu du ciel.

« C'est Geneviève, la marchande tailleuse de Voiron, dit la jeune femme à ceux qui entraient. Auriez-vous jamais cru voir une demoiselle si riche et si estimée comme vous la voyez là? ajouta-t-elle en leur montrant du geste ma robe en pièces, mes épaules découvertes, mes cheveux remplis d'herbe sèche et mes pieds nus. Ce que c'est que de nous ! »

A ce nom de Geneviève, tous les visages prirent une expression sévère et rude; personne ne dit rien ni ne fit un mouvement, excepté Cyprien, qui se retourna comme si on l'avait tiré par son habit, et qui se mit le visage contre le mur, les deux mains sur ses joues, pour cacher la douleur qu'il ressentait en me voyant ainsi.

« Ah! s'écria Cyprien en laissant tomber ses bras de son visage, et en se retournant les yeux tout rouges et tout mouillės, ne lui faites pas de reproches. Elle m'a trahi, c'est vrai, ajouta-t-il en sanglotant; mais je suis si heureux avec la Catherine que voilà, et elle est si malheureuse, qu'il ne faut pas l'injurier.

-Oh! oui, monsieur Cyprien, dis-je en me retournant,

toujours à genoux, du côté de sa voix, mais sans oser lever les yeux; oh! oui, j'ai été bien traîtresse vis-à-vis de vous vous devriez bien m'en vouloir, mais vous êtes toujours bon, je vois bien; et puisque vous êtes bien heureux avec cette autre femme qui est bien meilleure et plus belle que moi, pardonnez-moi le passé et laissez-moi aller chercher mon pain ailleurs. Je ne savais pas être chez vous, allez! Je serais plutôt entrée dans la porte du purgatoire! Mais la nuit et le bon Dieu m'ont jetée dans la seule grange où je où je ne voulais jamais aller!

Geneviève! s'écria une voix qui me tinta dans les oreilles comme si ç'avait été celle de mon baptême ou de ma première communion; Geneviève! Quoi! cette fille nue et mendiante qui grelotte à vos genoux, c'est Geneviève?... Ah! vous devriez être aux siens ! »

En disant cela, elle fendit précipitamment le groupe des trois femmes, du vieillard et de Cyprien, pour me prendre dans ses bras. « Ah bien! je n'en rougis pas d'elle, moi!» qu'elle ajouta.

Je levai la tête, j'ouvris les yeux à cette voix et à ce mouvement, et à travers mes larmes, qui m'aveuglaient presque, je reconnus, qui?... Vous ne le diriez pas en cent mille!

La mère Bélan, de Voiron! celle que j'avais retirée de prison en y entrant à sa place!

La mère Bélan me releva et m'embrassa au moins vingt fois devant tout ce monde étonné, comme si j'avais été

quelque chose. Je lui fis signe de se taire et de me laisser passer pour ce que je n'étais pas.

«Eh bien! c'est trop fort! qu'elle s'écria en frappant du pied sur le plancher des vaches et en mettant ses deux mains sur ses hanches pour regarder la mère et le père, qui faisaient avec les lèvres des airs de dégoût. Non, c'est plus fort que moi! j'aime mieux manquer à ma parole pour sauver une bonne fille que de la tenir pour laisser condamner et avilir un innocent! Je dirai tout, une fois dans ma vie, qu'elle fit comme en s'impatientant. Eh bien! vous autres, leur dit-elle, savez-vous qui vous injuriez, qui vous méprisez? »

Ils se turent.

« Non!... Eh bien! je vas vous le dire, et ça vous apprendra à ne pas parler sans savoir. »>

Alors, malgré tout ce que je pus faire, elle leur raconta tout! tout, monsieur! Mon attachement surnaturel pour Josette, ma promesse de lui tenir lieu de mère, mon chagrin d'avoir été obligée de renoncer à Cyprien pour ne pas la quitter, l'accusation contre la femme Bélan, la faute prise sur moi, ma générosité (elle appela cela ainsi, monsieur) de venir la délivrer de prison et de m'y faire recevoir à sa place, en me laissant croire fautive de ce qui n'était pas.

« Et voyez, ajouta-t-elle encore en me faisant taire forcément quand je voulais l'arrêter ou la contredire, voyez ! la voilà encore qui voudrait être avilie et méprisée devant vous, et qui souffre la misère, la honte, la faim et le

froid, plutôt que de réclamer ce qui lui revient: sa réputation et sa vertu!...

« Ce que j'ai dit est dit, » ajouta-t-elle en finissant ; puis elle m'embrassa encore en pleurant, et elle me dit : « Mam'selle Geneviève, pardonnez-moi ici-bas; je suis sûre que votre pauvre sœur défunte me pardonne dans le paradis. Si ces gens-là ne veulent pas vous rendre justice, venez chez moi, je vous prendrai comme ma fille, et je me glorifierai devant tout Voiron de partager mon lit et mon pain avec la plus honnête et la plus pure fille du pays! »

XIV

Personne ne disait rien, et tout le monde pleurait, monsieur; Cyprien se mit à genoux avec sa femme à ma place. Pardonnez-nous, me dit-il, de vous avoir méconnue, mam'selle Geneviève. C'est vous qui l'avez voulu. Quelque chose me disait bien toujours là qu'il devait y avoir un mystère là-dessous, et qu'en me disant adieu sur le pont vous n'aviez pas l'intention de vous moquer de mon amitié et de me trahir. Mais que voulez-vous? il faut pardonner à mon père et à ma mère d'avoir été trompés. Quand il y a des brouillards sur la plaine, ça devient des nuages sur la montagne. Nous n'y avons pas vu clair avant le jour d'aujourd'hui. Mais v'là ma femme qui vous aimera bien, et ma mère et mon père qui vous traiteront comme une fille retrouvée. »

Et c'est ainsi que je devins servante, et servante de bon

cœur, dans la maison où j'avais dù ètre maîtresse; mais sans rancune, monsieur, en me souvenant avec plaisir que j'avais aimé Cyprien, et en aimant encore mieux sa femme à cause de lui.

DIEU.

Cet astre universel, sans déclin, sans aurore,
C'est Dieu, c'est ce grand tout, qui soi-même s'adore!
Il est, tout est en lui : l'immensité, les temps,
De son être infini sont les purs éléments;
L'espace est son séjour, l'éternité son âge:
Le jour est son regard, le monde est son image.
Tout l'univers subsiste à l'ombre de sa main;
L'être à flots éternels découlant de son sein,
Comme un fleuve nourri par cette source immense,
S'en échappe, et revient finir où tout commence.
Sans borne comme lui, ses ouvrages parfaits
Bénissent en naissant la main qui les a faits :
Il peuple l'infini chaque fois qu'il respire;
Pour lui, vouloir c'est faire, exister c'est produire !
Tirant tout de soi seul, rapportant tout à soi,
Sa volonté suprême est sa suprême loi.
Mais cette volonté, sans ombre et sans faiblesse,
Est à la fois puissance, ordre, équité, sagesse.
Sur tout ce qui peut être il l'exerce à son gré;
Le néant jusqu'à lui s'élève par degré;
Intelligence, force, amour, beauté, jeunesse,
Sans s'épuiser jamais, il peut donner sans cesse;
Et, comblant le néant de ses dons précieux,
Des derniers rangs de l'être il peut tirer des dieux !

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