J'arrachai, je clouai les planches de son lit; Et chargeant sur mon dos ce cher et sacré poids, « Deux jours entiers, monsieur, d'églises en églises, Je tentai d'obtenir les prières promises, Ne pouvant recevoir, saintement importun, La bénédiction que l'on donne en commun; Et deux jours, implorant en vain la sépulture, « Allons, dis-je en moi-mènie, à la montagne! Un prêtre «< Et, prenant en pitié ma misère et mon vœu, « Lui bénira plus tôt sa place au champ de Dieu. » « Je repris sur mon dos ma charge raffermie; Le pied du voyageur nous heurtât dans sa marche, O mon frère, lui dis-je, ô modèle de l'homme! Pour le cœur contristé qu'il est doux, qu'il est beau Ne voir dans le cercueil que l'immortalité ! Et combien on est fier, dans ce poids de misère, Ah! venez avec moi, courage! levez-vous! L'ange de vos amours marchera devant nous; A la terre de Dieu je porterai moi-même Ce corps dont l'âme au ciel vous regarde et vous aime; Je creuserai sa fosse à l'ombre du Seigneur, Je ferai pour ses os comme pour une sœur. Mais, ô mon cher enfant, consolez-vous! Son âme La nuit baisse, et le jour... Cachons lui ce mystère. » Quand sur le seuil désert de l'église fermée Des morts dans le Seigneur, seul, je chantai l'office, Ma pelle referma la couche en peu de coups, Et la croix surmonta le lit du dernier somme. Quand tout fut accompli, l'infortuné jeune homme, Triomphant dans ses pleurs, s'assit sur le tombeau, Comme un homme arrivé s'assoit sur son fardeau. Il est mort ce matin. Oh! paix à sa pauvre âme! Je rouvrirai pour lui la couche où dort sa femme. Au lit mystérieux que referme la mort, Heureux l'œil qui se clôt et le front qui s'endort. RETOUR DU JEUNE HOMME DANS LA FAMILLE. I Le chien état allé nous annoncer par ses bonds et ses hurlements de joie; en passant le seuil, je me trouvai enlacé dans les bras de ma mère et de mes sœurs. Ma mère ne put s'empêcher de pâlir et de frissonner visiblement en voyant combien ma longue absence et mes secrètes angoisses avaient amaigri et altéré mes traits. Mon père n'avait vu que les belles formes développées de mon adolescence; ma mère, d'un coup d'œil, avait vu les impressions. L'œil des femmes est divinatoire; il va droit au fond de l'âme de celui qu'elles regardent, ne fût-ce qu'en passant. Qu'est-ce donc quand celui qu'elles regardent est un fils, un rayon de leur âme? II Un changement s'était opéré pendant mes absences dans les habitudes de la vie de famille. Mon père, sollicité en cela par notre mère, avait acheté, sur ses longues et pénibles économies, une maison de ville à Mâcon, pour y passer la moitié de l'année. L'âge était venu pour mes sœurs de recevoir les leçons de ces maîtres et maîtresses d'arts d'agrément, luxe d'éducation nécessaire aux femmes d'une certaine aisance, dont la vie ne serait, sans cela, qu'une fastidieuse oisiveté. Le moment était venu aussi de les produire dans ce qu'on appelle le monde, espèce d'exposition réciproque, où les nouvelles venues dans la vie regardent et sont regardées, jusqu'à ce que les parentés, les relations de famille, les habitudes de société, les convenances de voisinage et de fortune, ou l'inclination, déterminent les mariages. Mes sœurs étaient belles, modestes, mais ne pouvaient attirer de bien loin des maris par la modicité de leurs dots; ma mère présumait justement que les jeunes hommes de leur rang ne viendraient pas les découvrir dans la solitude de Milly. Elle ne voulait pas les exposer à y fleurir et à s'y flétrir par sa faute sans avoir répandu leur chaste éclat de beauté dans les yeux de quelqu'un. Elle regardait comme un devoir obligatoire de la mère de famille de chercher des occasions d'unions assorties pour ses filles. Les enfanter à la vie, à la religion, à la vertu, pour elle ce n'était pas assez; elle voulait les enfanter aussi au bonheur. Mon père avait compris ces raisons, et, bien qu'à regret et par des efforts surhumains d'économie domestique, il s'était décidé à quitter ses vignes, ses chiens de chasse, sa partie de piquet, le soir, avec le curé et le voisin, et à s'établir à Mâcon, au moins pour l'hiver et le printemps de chaque année. Il était, comme tout nouveau possesseur, fier et amoureux de la maison qu'il avait achetée. A peine étais-je entré, qu'il me la montra de la cave au grenier, en m'en détaillant tous les agréments et tous les avantages. La maison avait sa façade principale par une large rue |