rite qu'on ne le pense dans un écrivain à se faire ainsi petit de son vivant, à se réduire à sa modique place dans la mémoire de ses lecteurs, et à extraire de ses trop volumineux écrits une élite de pensées, de sentiments ou de style, par laquelle il désire vivre un peu plus loin que sa vie. Plût à Dieu que beaucoup d'autres écrivains nous en eussent donné l'exemple! Quel est donc l'homme ayant beaucoup senti, parlé ou écrit pendant une longue carrière littéraire, oratoire, politique, dans des siècles d'agitation, de passion et de bruit comme les nôtres, qui ne gagnât à se faire ainsi justice à lui-même, avant que la postérité ne lui fit, par ses reproches ou par son oubli, une justice plus sévère? Plus un écrivain est abondant, plus il a de limon à déposer dans sa course. La pensée de l'homme quel qu'il soit, poëte, orateur, moraliste, politique, historien, est toujours la pensée de l'homme, c'està-dire l'émanation d'un être faillible et borné. Cette pensée ne jaillit pas au premier flot, ni à tous ses flots, limpide, sapide, incorruptible, digne d'être envasée dans les urnes des siècles pour abreuver le genre humain. Non, la pensée de l'homme le plus favorisé des dons du ciel est un torrent qui coule de plus ou moins haut en se creusant son lit plus ou moins profond dans la mémoire des autres hommes, mais qui coule toujours avec des écumes, des lies, des sables, qu'il faut bien se garder de recueillir avec l'eau du ciel. La pensée ressemble à ces fleuves de l'Amérique du Sud qui roulent çà et là quelques paillettes d'or au milieu d'un déluge de vase. Quand l'automne arrive, quand le fleuve baisse, quand l'eau tarit, le chercheur d'or descend dans le lit du fleuve, fait égoutter l'eau, tamise le sable, ramasse ce qui brille, jette au vent ce qui n'est que terre, et ne retire de tout ce débordement que ces rares paillettes pour grossir le trésor de l'humanité. Voilà ce que nous avons fait pour nous-même dans ce petit livre encore trop volumineux. Faites comme nous, laissez couler l'eau surabondante ou trouble, laissez retomber le sable, et ne recueillez dans votre mémoire que ce peu d'or pur du cœur qu'on appelle un bon sentiment, un beau vers, une tendresse de famille, une larme d'émotion pour ce qui est bien, une pitié pour ce qui est mal, une contemplation pieuse de la nature, une admiration de son auteur, une résignation à ses décrets, une foi dans sa providence, une évidence de votre immortalité. C'est le but de ce livre. Si, après l'avoir lu, vous vous sentez meilleur, ne souhaitez pas d'autre récompense au poëte. Sa gloire est dans votre âme, et non dans la renommée. Paris, 25 mars 1854. LAMARTINE. LECTURES POUR TOUS PRIÈRE DE L'ENFANT A SON RÉVEIL. O Père qu'adore mon père! On dit que ce brillant soleil On dit que c'est toi qui fais naitre On dit que c'est toi qui produis Et que sans toi, toujours avare, Aux dons que ta bonté mesure L'agneau broute le serpolet, L'alouette a la graine amère Et, pour obtenir chaque don O Dieu! ma bouche balbutie Ton nom est écrit dans les cieux! Je suis trop petit pour y lire; Ma mère en mes yeux le voit luire, Quand je suis bon, quand elle est tendre, Ah! puisque tu veilles si loin Mon Dieu, donne l'onde aux fontaines, Donne la plume aux passereaux, Et la laine aux petits agneaux, Et l'ombre et la rosée aux plaines. Donne aux malades la santé, Donne une famille nombreuse Que je sois bon, quoique petit, Mets ton saint nom dans ma mémoire, Et que mon cœur s'élève à toi Que balance une urne embaumée, |