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III

Il naquit à Dijon, capitale de la Bourgogne, le 28 septembre 1627. Il fut porté le lendemain dans l'église gcthique de Saint-Jean par une famille pieuse, comme s'il eût été dans sa destinée de faire entendre ses premiers vagissements à ces cathédrales du vieux christianisme, qu'il devait remplir jusqu'à sa mort de sa grande voix. On lui donna les noms de Jacques-Bénigne. Son aïeul, qui tenait un registre domestique des événements et des dates de sa maison, inscrivit prophétiquement à la suite de ce nom de son petit-fils ce verset de la Bible: Le Seigneur l'a amené et l'a enseigné; il l'a préservé comme la prunelle de ses yeux.

Son père s'appelait Bénigne Bossuet; sa mère, Madeleine Mochette. Cette femme avait déjà donné six enfants à son mari; Bossuet fut le septième; elle devait en donner encore trois autres à cette maison.

La famille des Bossuet, qui devint par cet enfant la gloire de la Bourgogne, était antique. L'étymologie de ce nom, dérivé du latin, semblait indiquer à son origine lc caractère rural, laborieux et patient de quelque ancêtre, laboureur de durs sillons: Bos suetus aratro, le bœuf assidu à la charrue. Le génie infatigable et discipliné de l'enfant qui venait de naître ne devait pas démentir cet!e caractérisation de sa race.

Cette famille n'était pas vieille à Dijon. Elle y avait été

transplantée d'une autre petite ville de la même province, nommée Seurre, ville de culture et de pâturage dans les prairies aux sources de la Saône. Le mouvement naturel et ascendant qui porte les familles aisées, à mesure qu'elles s'allient plus loin et plus haut, à se transplanter des campagnes dans les petites villes et des petites villes dans les capitales des provinces, avait amené l'aïeul des Bossuet à Dijon. Dijon était une ville, pour ainsi dire, fédérale, qui conservait les vestiges de sa nationalité indépendante. L'aïeul des Bossuet, ses frères, ses fils, ses neveux, y avaient occupé ces charges inférieures, mais considé rées, du parlement et de la chambre des comptes, degrés par lesquels la haute bourgeoisie montait de magistrature en magistrature héréditaire à la noblesse. Il avait des alliances et des parentés dans l'aristocratie. Ce mépris inné que Bossuet apporta en naissant pour l'égalité des conditions, cet instinct des hiérarchies et des castes, ce goût pour l'autorité, ce verbe haut, ce regard sec, sont des empreintes de cette fierté de race.

IV

Vers le temps de la naissance de Bossuet, son père fut nommé conseiller au parlement de Metz. Il laissa sa femme et ses enfants à Dijon. Un de ses frères, Claude Bossuet, aussi conseiller au parlement de Bourgogne, se chargea du soin de la famille. C'était un homme austère et lettre comme sa profession. Il démêla de bonne heure les aptitudes transcendantes de son neveu, et il s'étudia à les cultiver pour l'honneur du nom. L'enfant, élevé dans sa maison, mais allant recevoir tous les jours l'enseigne

ment classique et religieux au collège des Jésuites, dépassait de nature tous ses égaux d'années. Maîtres et condisciples ne le mesurèrent bientôt qu'à lui-même. On n'essaye d'envier que ce qu'on espère égaler. La suprėmatie de cette intelligence déconcerta tout, même l'admiration. Il n'eut d'enfance que sur son visage; son esprit fut mûr en naissant. Les livres de la bibliothèque de son oncle suffisaient à peine à son impatience de lecture. Sa passion pour le beau dans l'idée, dans l'image et dans l'harmonie des langues, le livra surtout aux poëtes, ces divins musiciens de l'âme. Il s'enivra de vers. Homère surtout, qui retrace toute la nature comme un océan limpide retrace, en les remuant, ses rivages, fut la Bible profane de son imagination. C'est là qu'il puisa la simplicitė, la majesté, le pathétique. Les prophètes lui donnèrent le lyrisme et le cri. On comprend moins comment il s'engoua pour toute sa vie du poëte latin Horace, esprit exquis, mais raffiné, qui n'a pour corde à sa lyre que les fibres les plus molles du cœur; voluptueux indifférent qui s'amuse à écouter murmurer en lui le flot de la vie, courant parmi les fleurs à la mort. Il n'y rien dans Horace qui soit de nature à justifier cette prédilection de Bossuet, à moins que ce ne soit cette grâce nue de la pensée, ce premier mot venu de l'inspiration, ce jeu périlleux et toujours heureux du vers libre que le poëte lance, comme au hasard de le briser dans sa chute, et qui retombe toujours cadencé et toujours juste sur l'idée. Bossuet, comme tous les hommes heureux, aimait ces hasards.

Peut-être aussi cette inexplicable prédilection pour Ilorace, le moins divin de tous les poëtes, tenait-elle à ce que la poésie avait apparu à Bossuet enfant pour la pre

mière fois dans les pages de ce poëte. Cette ravissante apparition s'était prolongée et changée en reconnaissance dans son âme. Il y a dans les bibliothèques comme dans le monde de mauvaises rencontres qui deviennent de vieilles amitiés.

L'INSECTE AILÉ,

Laisse-moi voler sur tes pas,
Retire ta main enfantine!
Charmant enfant, je ne suis pas
Ce que ta faiblesse imagine.
Je ressemble à ce papillon
Qui, sûr de ses métamorphoses,
Aime à jouer dans le vallon
Autour des enfants ou des roses.
Tu veux me saisir, mais en vain :
Tu saisirais plutôt la flamme.
En jouant j'échappe à ta main :
Je viens du ciel, je suis une âme.

RESURRECTION.

Je te salue, ô Mort! Libérateur céleste,
Tu ne m'apparais point sous cet aspect funeste
Que t'a prêté longtemps l'épouvante ou l'erreur;
Ton bras n'est point armé d'un glaive destructeur,

Ton front n'est point cruel, ton œil n'est point perfide;
Au secours des douleurs un Dieu clément te guide,
Tu n'anéantis pas, tu délivres; ta main,

Céleste messager, porte un flambeau divin;
Quand mon œil fatigué se ferme à la lumière,
Tu viens d'un jour plus pur inonder ma paupière;
Et l'espoir près de toi, rêvant sur un tombeau,
Appuyé sur la foi, m'ouvre un monde plus beau.
Viens donc, viens détacher mes chaînes corporelles !
Viens, ouvre ma prison; viens, prête-moi tes ailes!
Que tardes-tu? Parais; que je m'élance enfin
Vers cet être inconnu, mon principe et ma fin.
Qui m'en a détaché? Qui suis-je, et que dois-je être?
Je meurs, et ne sais pas ce que c'est que de naître.
Toi qu'en vain j'interroge, esprit, hôte inconnu,
Avant de m'animer, quel ciel habitais-tu ?
Quel pouvoir t'a jeté sur ce globe fragile?
Quelle main t'enferma dans ta prison d'argile?
Par quels nœuds étonnants, par quels secrets rapports
Le corps tient-il à toi comme tu tiens au corps?
Quel jour séparera l'àme de la matière?

Pour quel nouveau palais quitteras-tu la terre?
As-tu tout oublié? Par delà le tombeau,
Vas-tu renaître encor dans un oubli nouveau?
Vas-tu recommencer une semblable vie?
Ou dans le sein de Dieu, ta source et ta patrie,
Affranchi pour jamais de tes liens mortels,
Vas-tu jouir enfin de tes droits éternels?
Oui, tel est mon espoir, ô moitié de ma vie!
C'est par lui que déjà mon âme raffermie
A pu voir sans effroi sur tes traits enchanteurs
Se faner du printemps les brillantes couleurs;
C'est par lui que, percé du trait qui me déchire,
Jeune encore, en mourant vous me verrez sourire,
Et que des pleurs de joie, à nos derniers adieux,
A ton dernier regard, brilleront dans mes yeux.

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