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quand je suis en bas ; je redeviens gai et content dès que je remonte. Les hommes font trop de bruit pour mon faible esprit, qui ne s'entend lui-même que dans le silence; ce bruit chasse le bon Dieu d'auprès de moi; il me semble que je ne suis pas tant dans sa compagnie, quand je suis au milieu des villages.

MOI.

Mais n'y a-t-il pas, Claude, une raison que vous ne me dites pas, et qui fait que vous vivez seul ici avec vos chevreaux et vos brebis, et que vous faites tous les jours tant de chemin pour descendre et remonter à votre ancienne maison?

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LUI, en se levant et en regardant les tombes vertes. C'est vrai, monsieur; mais de ça, n'en parlons pas ça vous ferait peine, et à moi aussi. Voilà le soleil qui est tout à fait couché derrière la montagne où vos bois noircissent. Vous n'aurez que le temps de redescendre avant la nuit noire dans la vallée.

ΜΟΥ.

Je l'avais oublié en causant avec vous. Claude, quand on a découvert une bonne source à l'ombre, en marchant dans ces solitudes, on s'y oublie quelquefois plus que l'heure ne le voudrait. J'ai fait comme cela aujourd'hui. Je vous pardonne d'avoir laissé mon ouvrage ; pardonnez-moi à votre tour d'avoir dérangé votre repos du dimanche. Je reviendrai encore, si cela ne vous fait pas d'ennui, parler avec vous, de temps en temps, de Dieu, et même le prier avec vous, dans votre langue, Claude. Car je suis bien loin de vivre en entretien perpétuel avec lui comme vous; bien plus loin encore de lui garder dans mon âme un sanctuaire aussi pur et aussi vide des vanités humaines que celui qu'il s'est préparé dans votre solitude et dans votre repos. Mon âme court

avec le flot d'une vie agitée et bruyante : tout ce qui court écume; mais, sous cette écume de la surface de ma vie, j'ai gardé cependant, comme ces coupes de rocher au fond de votre ravin, quelques gouttes claires des eaux de mon âme, où j'aime à réfléchir un coin du ciel, à contempler comme vous l'œuvre de Dieu. Je ne le sers pas comme vous de toutes mes forces; cependant je l'aime et je le prie de tout mon cœur et de toute mon intelligence. Quelquefois même je lui chante des hymnes. Mais mon cantique ne vaut pas le vôtre, Claude: mes cantiques sont des mots qui remplissent l'oreille; les vôtres sont des actes qui servent les hommes. Je ne suis digne de votre entretien que par le goût que j'ai toujours eu pour les âmes où Dieu habite dans la simplicité et dans la vertu. A revoir donc, quand le hasard ou la chasse me ramèneront aux Huttes.

Je sortis de l'enclos; il m'accompagna jusqu'au seuil des Huttes. Son chien, ses moutons, ses chevreaux, les lapins eux-mêmes, le suivirent comme s'il les avait rappelés. Ces animaux apprivoisés avaient l'air de lui faire cortège et de comprendre son amitié pour eux. Je n'aurais pas été étonné de le voir suivre par les abeilles et par les insectes de l'enclos. Cet homme aurait apprivoisé les rochers et les arbres. Toute la nature, animée ou inanimée, et lui, semblaient s'entendre, vivre et s'aimer dans une mystérieuse et pieuse intelligence aux pieds de leur Créateur.

SOUVENIR

DE L'HOSPITALITÉ REÇUE CHEZ UN AMI.

O champs de Bienassis, maison, jardin, prairies,
Treilles qui fléchissaient sous leurs grappes mûries,
Ormes qui sur le seuil étendaient leurs rameaux,
Et d'où sortait le soir le chœur des passereaux,
Vergers où de l'été la teinte monotone

Pâlissait jour à jour aux rayons de l'automne,
Où la feuille en tombant sous les pleurs du matin
Dérobait à nos pieds le sentier incertain ;
Pas égarés au loin dans les frais paysages,
Heures tièdes du jour coulant sous des ombrages,
Sommeils rafraichissants goûtés au bord des eaux,
Songes qui descendaient, qui remontaient si beaux;
Pressentiments divins, intimes confidences,
Lectures, rêverie, entretiens, doux silences;
Table riche des dons que l'automne étalait,
Où les fruits du jardin, où le miel et le lait,
Assaisonnés des soins d'une mère attentive,
De leur luxe champêtre enchantaient le convive;
Silencieux réduits où des rayons de bois,
Par l'âge vermoulus et pliant sous le poids,
Nous offraient ces trésors de l'humaine sagesse
Où nos yeux altérés puisaient jusqu'à l'ivresse,
Où la lampe avec nous veillant jusqu'au matin
Nous guidait au hasard, comme un phare incertain,
De volume en volume; hélas! croyant encore
Que le livre savait ce que l'auteur ignore,
Et que la vérité, trésor mystérieux,

Pouvait être cherchée ailleurs que dans les cieux!
Scènes de notre enfance après quinze ans rêvées,

Au plus pur de mon cœur impressions gravées,
Lieux, noms, demeure, et vous, aimables habitants,
Je vous revois encore après un si long temps,
Aussi présents à l'œil que le sont des rivages
A l'onde dont le cours reflète les images,
Aussi frais, aussi doux que si jamais les pleurs
N'en avaient dans mes yeux altéré les couleurs;
Et vos riants tableaux sont à mon âme aimante
Ce qu'au navigateur battu par la tourmente
Sont les songes dorés qui lui montrent de loin
Le rivage chéri de son bonheur témoin,
L'ondoyante moisson que sa main a semée,
Et du toit paternel le seuil ou la fumée.
Tu n'as donc pas quitté ce port de ton bonheur?
Ce soleil du matin qui réjouit ton cœur,
Comme un arbre au rocher fixé par sa racine,
Te retrouve toujours sur la même colline;
Nul adieu n'attrista le seuil de ta maison;
Jamais, jamais tes yeux n'ont changé d'horizon;
L'arbre de ton aïeul, l'arbre qui t'a vu naître
N'a jamais reverdi sans ombrager son maître;
Jamais le voyageur, en voyant, du chemin,
Ta demeure fermée aux rayons du matin,
Trouvant l'herbe grandie ou le sentier plus rude,
N'a demandé, surpris de cette solitude,

Sur quels bords étrangers, dans quels lointains séjours
Le vent de l'inconstance avait poussé tes jours.
Ton verger ne voit pas une main mercenaire
Cueillir ces fruits greffés par ta main tutélaire,
Et ton ruisseau, content de son lit de gazon,
Comme un hôte fidèle à la même maison,
Vient murmurer toujours au seuil de ta demeure,
Et de la même voix t'endort à la même heure.
Ainsi tu vieilliras sans que tes jours pareils

Soient comptés autrement que par leurs doux soleils,
Sans que les souvenirs de ton heureuse histoire

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Laissent d'autres sillons gravés dans ta mémoire
Que le cercle inégal des diverses saisons,

Des printemps plus tardifs, de plus riches moissons,
Tes pampres moins chargés, tes ruches plus fécondes,
Ou ta source sevrant ton jardin de ses ondes;
Sans avoir dissipé des jours trop tôt comptés,
Dans la poudre, ou le bruit, ou l'ombre des cités,
Et sans avoir semé, de distance en distance,
A tous les vents du ciel ta stérile espérance!

Ah! rends grâce à ton sort de ce flot lent et doux
Qui te porte en silence où nous arrivons tous,
Et, comme ton destin si borné dans sa course,
Dans son lit ignoré s'endort près de sa source!
Ne porte point envie à ceux qu'un autre vent
Sur les routes du monde a conduits plus avant,
Même à ces noms frappés d'un peu de renommée!
Du feu qu'elle répand toute âme est consumée;

Notre vie est semblable au fleuve de cristal

Qui sort, humble et sans nom, de son rocher natal;
Tant qu'au fond du bassin que lui fit la nature,
Il dort, comme au berceau, dans un lit sans murmure,
Toutes les fleurs des champs parfument son sentier,
Et l'azur d'un beau ciel y descend tout entier;
Mais à peine, échappés des bras de ses collines,
Ses flots s'épanchent-ils sur les plaines voisines,
Que, du limon des eaux dont il enfle son lit,
Son onde, en grossissant, se corrompt et pâlit;
L'ombre qui les couvrait s'écarte de ses rives;
Le rocher nu contient ses vagues fugitives;

Il dédaigne de suivre, en se creusant son cours,
Des vallons paternels les gracieux détours;
Mais, fier de s'engouffrer sous des arches profondes,
Il y reçoit un nom bruyant comme ses ondes;
Il emporte, en fuyant à bonds précipités,
Les barques, les rumeurs, les fanges des cités;

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