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vie, qui serait redescendu tout à coup après une pluie d'orage de toutes les montagnes, et qui serait revenu prendre possession de son lit desséché. Le tombeau é!ait pour moi la pierre de Moïse, d'où coulaient toutes les eaux; j'ouvris mon cœur comme une écluse, et la prière en sortit à grands flots avec la douleur, la résignation et l'espérance; et mes larmes aussi coulaient; et quand je retirai mes mains de mes yeux et que je les posai contre le seuil pour le bénir, elles firent une marque humide sur la pierre blanche...

Un bruit m'avait fait lever en sursaut.

C'était une sourde et monotone psalmodie qui sortait d'une petite fenêtre grillée au flanc de l'église, tout près de moi. Je m'essuyai le front et les genoux pour faire le tour de l'édifice, et pour y entrer par la petite porte qui ouvre au midi sur le côté opposé. Je fus arrêté sur la première marche par un petit cercueil recouvert d'un drap blanc et de deux bouquets de roses blanches aussi, que portaient quatre jeunes filles d'un hameau des montagnes. Le vieux curé les suivait en récitant quelques versets de liturgie latine sur la brièveté de la vie; un père et une mère pleuraient, en chancelant derrière lui. Je marchai vers la fosse avec eux, je jetai à mon tour les gouttes d'eau, image des gouttes de larmes, sur le cercueil de la jeune fille, et je rentrai sans avoir osé regarder le pauvre père !

J'ai passé la soirée à vous écrire ce cœur a besoin de crier quand il est frappé. Je remercie Dieu de m'avoir laissé dans le vôtre un écho qui me renvoie jusqu'au bruit

de mes larmes sur mon papier. La vie est un cantique dont toute âme est une voix. Adieu.

LE MAITRE D'ÉCOLE.

Et j'instruis les enfants du village, et les heures
Que je passe avec eux sont pour moi les meilleures ;
Illes ouvrent le jour et terminent le soir.

Oh! par un ciel d'été qui n'aimerait à voir

Cette école en plein champ où leur troupe est assise?
Il est deux vieux noyers aux portes de l'église,
Avec ses fondements en terre enracinés,

Qui penchent leur feuillage et leurs troncs inclinés
Sur un creux vert de mousse, où dans le cailloutage
S'échappe en bouillonnant la source du village.
De gros blocs de granit que son onde polit,
Blanchis par son écume, interrompent son lit.
Sur ce tertre, glissant de colline en colline,
L'œil embrasse au matin l'horizon qu'il domine,
Et regarde, à travers les branches de noyer,
Les lacs lointains bleuir et la plaine ondoyer.
C'est là qu'aux jours sereins, rassemblés tous, leur troupe
Selon l'âge et le sexe en désordre se groupe.

Les uns au tronc de l'arbre adossés deux ou trois;
Les autres garnissant les marches de la croix;
Ceux-là sur les rameaux, ceux-ci sur les racines
Du noyer qui serpente au niveau des ravines;
Quelques-uns sur la tombe et sur les tertres verts
Dont les morts du printemps sont déjà recouverts,
Comme des blés nouveaux reverdissant sur l'aire,
Où des épis battus ont germé dans la terre.

Cependant, au milieu de ces fils du hameau,
Ma voix grave se mêle au murmure de l'eau,
Pendant que
les brebis broutent l'herbe nouvelle
Sur la couche des morts; que l'agile hirondelle
Rase les bords de l'onde, attrapant dans son vol
L'insecte qui se joue au rayon sur le sol;
Et que les passereaux, instruits par l'habitude,
Enhardis par leur calme et par leur attitude,
Entourent les enfants, et viennent sous leur main
S'abattre et s'attrouper pour émietter leur pain.

Je me pénètre bien de ce sublime rôle
Que sur ces cœurs d'enfant exerce ma parole :
Je me dis que je vais donner à leur esprit
L'immortel aliment dont l'ange se nourrit,
La vérité, de l'homme incomplet héritage,
Qui descend jusqu'à nous de nuage en nuage,
Flambeau d'un jour plus pur, que les traditions
Passent de mains en mains aux générations;
Que je suis un rayon de cette âme éternelle
Qui réchauffe la terre et qui la renouvelle,
L'étincelle de Dieu qui, brillant à son tour,
Dans la nuit de ces cœurs doit allumer son jour;
Et, la main sur leurs fronts baissés, je lui demande
De préparer mon cœur pour qu'un Verbe y descende;
D'élever mon esprit à la simplicité

De ces esprits d'enfants, aube de vérité;

De mettre assez de jour pour eux dans mes paroles,

Et de me révéler ces claires paraboles

Où le Maître, abaissé jusqu'au sens des humains,

Faisait toucher le ciel aux plus petites mains!

Puis je pense tout haut pour eux; le cercle écoute,

Et mon cœur dans leurs cœurs se verse goutte à goutte.

Je ne surcharge pas leurs sens et leur esprit
Du stérile savoir dont l'orgueil se nourrit ;

Bien plus que leur raison j'instruis leur conscience:
La nature et leurs yeux, c'est toute ma science!
Je leur ouvre ce livre, et leur montre en tout lieu
L'espérance de l'homme et la bonté de Dieu.

Avec eux chaque jour je déchiffre et j'épelle
De ce nom infini quelque lettre nouvelle;
Je leur montre ce Dieu, tantôt dans sa bonté
Mûrissant pour l'oiseau le grain qu'il a compté;
Tantôt, dans sa sagesse et dans sa providence,
Gouvernant sa nature avec tant d'évidence;
Tantôt... Mais aujourd'hui c'était dans sa grandeur.
La nuit tombait; des cieux la sombre profondeur
Laissait plonger les yeux dans l'espace sans voiles,
Et dans l'air constellé compter les lits d'étoiles,
Comme à l'ombre du bord on voit sous des flots clairs
La perle et le corail briller au fond des mers.
« Celles-ci, leur disais-je, avec le ciel sont nées :.
Leur rayon vient à nous sur des milliers d'années.
Des mondes, que peut seul peser l'esprit de Dieu,
Elles sont les soleils, les centres, le milieu;
L'océan de l'éther les absorbe en ses ondes
Comme des grains de sable, et chacun de ces mondes
Est lui-même un milieu pour des mondes pareils,
Ayant ainsi que nous leur lune et leurs soleils,
Et voyant comme nous des firmaments sans terme
S'élargir devant Dieu sans que rien le renferme!...
Celles-là, décrivant des cercles sans compas,
Passèrent une nuit, ne repasseront pas,
Du firmament entier la page intarissable
Ne renfermerait pas le chiffre incalculable
Des siècles qui seront écoulés jusqu'au jour
Où leur orbite immense aura fermé son tour.
Elles suivent la courbe où Dieu les a lancées;
L'homme, de son néant, les suit par ses pensées...
Et ceci, mes enfants, suffit pour vous prouver

Que l'homme est un esprit, puisqu'il peut s'élever,
De ce point de poussière et des ombres humaines,
Jusqu'à ces cieux sans fond et ces grands phénomènes.
Car voyez, mesurez, interrogez vos corps;

Pour monter à ces feux faites tous vos efforts!
Vos pieds ne peuvent pas vous porter sur ces ondes;
Votre main ne peut pas toucher, peser ces mondes;
Dans les replis des cieux quand ils sont disparus,
Derrière leur rideau votre œil ne les voit plus;
Nulle oreille n'entend sur la mer infinie
De leurs vagues d'éther l'orageuse harmonie;
Le souffle de leur vol ne vient pas jusqu'à vous;
Sous le dais de la nuit ils vous semblent des clous.
Et l'homme cependant arpente cette voûte;
D'avance, à l'avenir nous écrivons leur route;
Nous disons à celui qui n'est pas encor né
Quel jour au point du ciel tel astre ramené
Viendra de sa lueur éclairer l'étendue,
Et rendre au firmament son étoile perdue.
Et qu'est-ce qui le sait? et qu'est-ce qui l'écrit?
Ce ne sont pas vos sens, enfants! c'est donc l'esprit ;
C'est donc cette ame immense, infinie, immortelle,
Qui voit plus que l'étoile, et qui vivra plus qu'elle!...

« Ces sphères, dont l'éther est le bouillonnement,
Ont emprunté de Dieu leur premier mouvement.
Avez-vous calculé parfois dans vos pensées
La force de ce bras qui les a balancées?

Vous ramassez souvent dans la fronde ou la main
La noix du vieux noyer, le caillou du chemin :
Imprimant votre effort au poignet qui les lance,
Vous mesurez, enfants, la force à la distance;
L'une tombe à vos pieds, l'autre vole à cent pas,
Et vous dites: « Ce bras est plus fort que mon bras. »
Eh bien! si par leurs jets vous comparez vos frondes,
Qu'est-ce donc que la main qui, lançant tous ces mondes,

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