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tions soudaines, ravissantes, de la grandeur du firmament, de l'armée des astres, de la beauté de la saison, de l'organisation des fleurs, des insectes, des instincts maternels des oiseaux, dont on voyait toujours quelques nids respectés par nous entre les branches de nos rosiers ou de nos arbustes. Tout cela entassé dans son cœur comme les prémices sur l'autel, et allumé au feu de son jeune enthousiasme s'exhalant en regards, en soupirs, en quelques gestes inaperçus, et en versets des Psaumes sourdement murmurés! voilà ce qu'entendaient seulement les herbes, les feuilles, les arbres et les fleurs dans cette allée du recueillement.

Cette allée était pour nous comme un sanctuaire dans un saint lieu, comme la chapelle du jardin où Dieu luimême la visitait. Nous n'osions jamais y venir jouer; nous la laissions entièrement à son mystérieux usage, sans qu'on nous l'eût défendu. A présent encore, après tant d'années que son ombre seule s'y promène, quand je vais dans ce jardin, je respecte l'allée de ma mère. Je baisse la tête en la traversant, mais je ne m'y promène pas moimême, pour n'y pas effacer sa trace.

Quand elle sortait de ce sanctuaire et qu'elle revenait vers nous, ses yeux étaient mouillés, son visage plus serein et plus apaisé encore qu'à l'ordinaire. Son sourire perpétuel sur ses gracieuses lèvres avait quelque chose de plus tendre et de plus amoureux encore. On eût dit qu'elle avait déposé un fardeau de tristesse ou d'adoration, et qu'elle marchait plus légèrement à ses devoirs le reste de la journée.

LES OISEAUX.

Orchestre du Très-Haut, bardes de ses louanges,
Ils chantent à l'été des notes de bonheur;
Ils parcourent les airs avec des ailes d'anges
Échappés tout joyeux des jardins du Seigneur.

Tant que durent les fleurs, tant que l'épi qu'on coupe
Laisse tomber un grain sur les sillons jaunis,

Tant que le rude hiver n'a pas gelé la coupe

Où leurs pieds vont poser comme aux bords de leurs nids,

Ils remplissent le ciel de musique et de joie :
La jeune fille embaume et verdit leur prison,
L'enfant passe la main sur leur duvet de soie,
Le vieillard les nourrit au seuil de sa maison.

Mais dans les mois d'hiver, quand la neige et le givre
Ont remplacé la feuille et le fruit, où vont-ils?
Ont-ils cessé d'aimer? ont-ils cessé de vivre?

Nul ne sait le secret de leurs lointains exils.

On voit pendre à la branche un nid rempli d'écailles,
Dont le vent pluvieux balance un noir débris;
Pauvre maison en deuil et vieux pan de murailles
Que les petits, hier, réjouissaient de cris.

O mes charmants oiseaux, vous si joyeux d'éclore!
La vie est donc un piége où le bon Dieu vous prend?
Hélas! c'est comme nous. Et nous chantons encore;
Que Dieu serait cruel, s'il n'était pas si grand!

LE CHEVAL ARABE.

Un Arabe et sa tribu avaient attaqué dans le désert la caravane de Damas; la victoire était complète, et les Arabes étaient déjà occupés à charger leur riche butin, quand les cavaliers du pacha d'Acre, qui venaient à la rencontre de cette caravane, fondirent à l'improviste sur les Arabes victorieux, en tuèrent un grand nombre, firent les autres prisonniers, et, les ayant attachés avec des cordes, les emmenèrent à Acre pour en faire présent au pacha. Le chef arabe, Abou-el-Marsch, avait reçu une balle dans le bras pendant le combat; comme sa blessure n'était pas mortelle, les Turcs l'avaient attaché sur un chameau, et, s'étant emparés du cheval, emmenaient le cheval et le cavalier. Le soir du jour où ils devaient entrer à Acre, ils campèrent avec leurs prisonniers dans les montagnes de Saphadt: l'Arabe blessé avait les jambes liées ensemble par une courroie de cuir, et était étendu près de la tente où couchaient les Turcs. Pendant la nuit, tenu éveillé par la douleur de sa blessure, il entendit hennir son cheval parmi les autres chevaux entravés autour des tentes, selon l'usage des Orientaux; il reconnut sa voix, et, ne pouvant résister au désir d'aller parler encore une fois au compagnon de sa vie, il se traîna péniblement sur la terre à l'aide de ses mains et de ses genoux, et parvint jusqu'à son coursier. « Pauvre ami, lui dit-il, que feras-tu parmi les Turcs? tu seras emprisonné sous les voûtes d'un kan avec les chevaux d'un aga ou d'un pacha; les femmes et les enfants ne t'apporteront plus le lait de chameau, l'orge ou le doura dans le creux

de la main; tu ne courras plus libre dans le désert comme le vent d'Égypte; tu ne fendras plus du poitrail l'eau du Jourdain, qui rafraîchissait ton poil aussi blanc que ton écume: qu'au moins, si je suis esclave, tu restes libre! Tiens, va, retourne à la tente que tu connais; va dire à ma femme qu'Abou-el-Marsch ne reviendra plus, et passe ta tête entre les rideaux de la tente pour lécher la main de mes petits enfants. » En parlant ainsi, Abou-elMarsch avait rongé avec ses dents la corde de poil de chèvre qui sert d'entraves aux chevaux arabes, et l'animal était libre; mais, voyant son maître blessé et enchaîné à ses pieds, le fidèle et intelligent coursier comprit, avec son instinct, ce qu'aucune langue ne pouvait lui expliquer: il baissa la tête, flaira son maître, et, l'empoignant avec les dents par la ceinture de cuir qu'il avait autour du corps, il partit au galop, et l'emporta jusqu'à ses tentes. En arrivant et en jetant son maître sur le sable aux pieds de sa femme et de ses enfants, le cheval expira de fatigue; toute la tribu l'a pleuré, les poëtes l'ont chantė, et son nom est constamment dans la bouche des Arabes de Jéricho.

Nous n'avons nous-mêmes aucune idée du degré d'intelligence et d'attachement auquel l'habitude de vivre avec la famille, d'être caressé par les enfants, nourri par les femmes, réprimandé ou encouragé par la voix du maître, peut élever l'instinct du cheval arabe. L'animal est, par sa race même, plus intelligent et plus apprivoisé que les races de nos climats; il en est de même de tous les animaux en Arabie. La nature ou le ciel leur ont donné plus d'instinct, plus de fraternité pour l'homme que chez nous. Ils se souviennent mieux des jours d'Éden, où ils étaient encore soumis volontairement à la domination du

roi de la nature. J'ai vu moi-même fréquemment, en Syrie, des oiseaux pris le matin par des enfants, et parfaitement apprivoisės le soir, n'ayant plus besoin ni de cage ni de fil aux pattes pour les retenir avec la famille qui les adopte, mais volant libres sur les orangers et les mûriers du jardin, et revenant à la voix se percher d'euxmêmes sur le doigt des enfants ou sur la tête des jeunes filles.

Le cheval du scheik de Jéricho, que j'achetai et que je montai, me connaissait, au bout de peu de jours, pour son maître il ne voulait plus se laisser monter par un autre, et franchissait toute la caravane pour venir à ma voix, bien que ma langue lui fût une langue étrangère. Doux et caressant pour moi, et accoutumé aux soins de mes Arabes, il marchait paisible et sage à son rang dans la caravane, tant que nous ne rencontrions que des Turcs, des Arabes vêtus à la turque, ou des Syriens; mais, s'il venait, même un an après, à apercevoir un Bedouin monté sur un cheval du désert, il devenait tout à coup un autre animal: son œil s'allumait, son cou se gonflait, sa queue s'élevait et battait ses flancs comme un fouet; il se dressait sur ses jarrets, et marchait ainsi longtemps sous le poids de sa selle et de son cavalier: il ne hennissait pas, mais il jetait un cri belliqueux comme celui d'une trompette d'airain, un cri tel que tous les chevaux en étaient effrayés, et s'arrêtaient, en dressant les oreilles, pour l'é

couter.

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