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par où son cœur semblait s'ouvrir et se répandre sur tous les traits. Le timbre de sa voix révélait ce tremblement intérieur d'une fibre brisée par une perpétuelle émotion du cœur. C'était une complainte d'accents qui semblait toujours chanter en parlant.

Cette voix reposait et touchait à la fois. Je n'en ai jamais entendu de pareille que dans les chalets du Valais, en demandant autrefois mon chemin ou du lait aux vieilles femmes des montagnes. Les passions et les continuels commérages des villes donnent quelque chose de dur et de rauque à la voix des femmes; la solitude et la sérénité des montagnes la rendent douce comme un soupir, accentuée comme un sentiment, sonore et timbrée comme une cloche dans le lointain à travers les bois. Telle était la voix de Geneviève. Pendant que je lisais dans le jardin, sans qu'elle me vit, je ne me lassais pas de l'entendre parler à ses poules, ou chanter à demi-voix en tricotant près de la fenêtre, pour distraire les oiseaux, qui lui répondaient.

CONTEMPLATION DE LA NUIT.

O nuit majestueuse, arche immense et profonde
Où l'on entrevoit Dieu comme le fond sous l'onde,
Où tant d'astres en feux portant écrit son nom,
Vont de ce nom splendide éclairer l'horizon,
Et jusqu'aux infinis, où leur courbe est lancée,
Porter ses yeux, sa main, son ombre, sa pensée !
Et toi, lune limpide et claire, où je crois voir

Ces monts se répéter comme dans un miroir,
Pour que deux univers, l'un brillant, l'autre sombre,
Du Dieu qui les créa s'entretinssent dans l'ombre;
Et vous, vents palpitant la nuit sur ces hauts lieux,
Qui caressez la terre et parfumez les cieux;
Et vous, bruits des torrents; et vous, pâles nuages
Qui passez sans ternir ces rayonnantes plages,
Comme à travers la vie, où brille un chaste azur,
L'ombre des passions passe sur un cœur pur;
Mystères de la nuit que l'ange seul contemple,
Cette heure aussi pour moi lève un rideau du temple!
Ces pics aériens m'ont rapproché de vous;

Je vous vois seul à seul, et je tombe à genoux,
Et j'assiste à la nuit comme au divin spectacle

Que Dieu donne aux esprits dans son saint tabernacle!

Comme l'œil plonge loin dans ce pur firmament!
Quel bleu tendre, et pourtant quel éblouissement!
On dirait l'eau des mers quand une faible brise
Fait miroiter les flots où le rayon se brise.
Voilà sur l'horizon l'étoile qui descend!
L'ombre des noirs sapins me voile le croissant ;
Sa mobile blancheur semble sous ce nuage
Une neige qui tombe et fond sur le feuillage.
Au doux vent que ma joue à peine a ressenti,
Quel immense soupir de leur cime est sorti!

Il naît, il gronde, il baisse... il meurt. C'est la tempête
Qui passe avec ses voix et ses coups sur ma tête;
C'est la voile où le vent siffle et tonne la nuit,
Quand sur les sombres mers la vague la poursuit.
Non, c'est un souffle mort dont la nuit les effleure.
Oh! qu'à présent la brise avec tendresse y pleure!
N'est-ce pas le soupir de quelquè esprit ami
Qui dans ces sons si doux se dévoile à demi,
Vient prêter à ces vents leur douce voix de femme,
Et, par pitié pour nous, pleurer avec notre âme?

Arbres harmonieux, sapins, harpe des bois,
Où tous les vents du ciel modulent une voix,
Vous êtes l'instrument où tout pleure, où tout chante,
Où de ses mille échos la nature s'enchante,
Où, dans les doux accents d'un souffle aérien,
Tout homme a le soupir d'accord avec le sien!
Arbres saints qui savez ce que Dieu nous envoie,
Chantez, pleurez, portez ma tristesse ou ma joie!
Seul il sait, dans les sons dont vous nous enchantez,
Si vous pleurez sur nous, ou bien si vous chantez.

VIE INTIME DU POÈTE.

L'heure du chant pour moi, c'est la fin de l'automne; ce sont les derniers jours de l'année qui meurt dans les brouillards et dans les tristesses du vent. La nature âpre et froide nous refoule alors au dedans de nous-mêmes; c'est le crépuscule de l'année, c'est le moment où l'action cesse au dehors; mais, l'action intérieure ne cessant jamais, il faut bien employer à quelque chose ce superflu de force qui se convertirait en mélancolie dévorante, en désespoir et en démence, si on ne l'exhalait pas en prose ou en vers. Béni soit celui qui a inventé l'écriture, cette conversation de l'homme avec sa propre pensée, ce moyen de le soulager du poids de son âme!

A ce moment de l'année, je me lève bien avant le jour. Cinq heures du matin n'ont pas encore sonné à l'horloge lente et rauque du clocher qui domine mon jardin, que

j'ai quitté mon lit, fatigué de rêves, rallumé ma lampe de cuivre, et mis le feu au sarment de vigne qui doit réchauffer ma veille dans cette petite tour voûtée, muette et isolée, qui ressemble à une chambre sépulcrale habitée encore par l'activité de la vie. J'ouvre ma fenêtre; je fais quelques pas sur le plancher vermoulu de mon balcon de bois. Je regarde le ciel et les noires dentelures de la montagne, qui se découpent nettes et aiguës sur le bleu pâle d'un firmament d'hiver, ou qui noient leurs cimes dans un lourd océan de brouillards: quand il y a du vent, je vois courir les nuages sur les dernières étoiles, qui brillent et disparaissent tour à tour comme des perles de l'abîme, que la vague recouvre et découvre dans ses ondulations. Les branches noires et dépouillées des noyers du cimetière se tordent et se plaignent sous la tourmente des airs, et l'orage nocturne ramasse et roule leurs tas de feuilles mortes, qui viennent bruire et bouillonner au pied de la tour comme de l'eau.

A un tel spectacle, à une telle heure, dans un tel silence, au milieu de cette nature sympathique, de ces collines où l'on a grandi, où l'on doit vieillir, à dix pas du tombeau où repose, en nous attendant, tout ce qu'on a le plus pleuré sur la terre, est-il possible que l'âme qui s'éveille et qui se trempe dans cet air des nuits n'éprouve pas un frisson universel, ne se mêle pas instantanément à toute cette magnifique confidence du firmament et des montagnes, des étoiles et des prés, du vent et des arbres, et qu'une rapide et bondissante pensée ne s'élance pas du cœur pour monter à ces étoiles, et de ces étoiles pour monter à Dieu ? Quelque chose s'échappe de moi pour se confondre à toutes ces choses; un soupir me ramène à tout ce que j'ai connu, aimé, perdu dans cette maison

et ailleurs; une espérance, forte et évidente comme la Providence dans la nature, me reporte au sein de Dieu, où tout se retrouve; une tristesse et un enthousiasme se confondent dans quelques mots que j'articule tout haut, sans crainte que personne les entende, excepté le vent qui les porte à Dieu. Le froid du matin me saisit; mes pas craquent sur le givre; je referme ma fenêtre, et je rentre dans ma tour, où le fagot réchauffant pétille et où mon chien m'attend.

Que faire alors, mon cher ami, pendant ces trois ou quatre longues heures de silence qui ont à s'écouler, en novembre, entre le réveil et le mouvement de la lumière et du jour? Tout dort dans la maison et dans la cour; à peine entend-on quelquefois un coq, trompé par la lueur d'une étoile, jeter un cri qu'il n'achève pas et dont il semble se repentir, ou quelque bœuf endormi et rêvant, dans l'étable, pousser un mugissement sonore qui réveille en sursaut le bouvier. On est sûr qu'aucune distraction domestique, aucune visite importune, aucune affaire du jour ne viendra vous surprendre de deux ou trois heures, et tirailler votre pensée. On est calme et confiant dans son loisir; car le jour est aux hommes, mais la nuit n'est qu'à Dieu.

Ce sentiment de sécurité complète est à lui seul une volupté. J'en jouis un instant avec délices. Je vais, je viens, je fais mes six pas dans tous les sens, sur les dalles de ma chambre étroite; je regarde un ou deux portraits suspendus au mur, images mille fois mieux peintes en moi; je leur parle, je parle à mon chien, qui suit d'un œil intelligent et inquiet tous mes mouvements de pensée et de corps. Quelquefois je tombe à genoux devant une

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