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aussi bien, il y a inévitablement scepticisme. Mais qu'elle aborde l'ontologie avec un respect intelligent du passé, avec une connaissance éclairée des bornes de la science humaine; surtout qu'elle s'y élève, non d'un plein vol, mais lentement par la psychologie. Car dans la psychologie seule elle rencontrera une base à ses élans, et, dans la conscience du libre arbitre, en même temps que l'irréfragable négation de tout panthéisme, le mot de l'existence humaine.

Oui, ôtez la liberté et dans le monde moral tout croule. Il n'y a plus ni droit, ni devoir, ni frein, ni espérance. Bouleversée de fond en comble, la société s'avilit dans les alternatives d'un despotisme silencieux ou d'une anarchie tumultueuse. Dieu devient je ne sais quelle idole, dont il est impossible de dire si elle est ou si elle n'est pas.

Posez la liberté, et aussitôt reparaissent l'ordre, la lumière, la fécondité. Tout homme comprend qu'il est sa « propre étoile (1), » et la notion réfléchie de

(1) «L'homme est sa propre étoile; l'âme que peut former un homme honnête et parfait domine toute lumière, toute influence, toute fatalité; rien pour elle n'arrive trop de bonne heure ou trop tard. Nos actes sont nos bons ou nos mauvais anges, les ombres fatales qui marchent à nos côtés. » Beaumont el Fletcher.

ses devoirs accroît en lui le sentiment de sa dignité. Parmi les citoyens de la société restaurée, les ambitieux scélérats ou les volontaires de la bassesse ne sont plus que des exceptions. L'État, comme les individus, trouve sa règle dans le respect de la justice vivante, qui est Dieu.

J'ajouterai enfin, avec un philosophe contemporain, « que les conquêtes du droit sur la force se développent dans la même mesure que l'idée de la liberté, soit de la liberté divine, soit de la liberté humaine, soit de toutes deux à la fois; que là où la liberté est complétement niée ou méconnue, l'homme n'est qu'une chose, Dieu n'est qu'un mot, et il n'y a pas lieu d'avoir plus de respect pour l'un que pour l'autre; que, dès que la liberté commence à apparaître dans les dogmes de la religion, elle ne tarde pas à se montrer dans la sphère de la morale et même dans les institutions civiles; qu'il suffit à l'homme de reconnaître parmi les principes de l'univers une cause intelligente, un esprit de lumière et de sagesse qui lutte contre les ténèbres, pour qu'il trouve en lui-même une pareille puissance et qu'il revendique avec sa responsabilité au moins une partie de ses droits; mais qu'il n'y a de droit absolu, de règles absolues d'humanité et de justice dans la conscience des nations qu'avec l'idée de la liberté complète

ou la foi en un Dieu créateur, maître de la nature comme de lui-même, et dont l'homme, dans les limites de sa volonté, est la parfaite image (1).

Ainsi concluons: ontologie et psychologie; psychologie d'abord, ontologie ensuite; ontologie couronnement, psychologie fondement de toute philosophie. L'homme, d'origine divine, est fait pour Dieu. Mais cette destinée suprême de l'homme se lie d'une manière indissoluble à l'accomplissement de sa destinée ici-bas, et celle-ci est la condition de celle-là. Pour arriver à ses fins, que l'homme vive donc conformément à sa nature, qu'il travaille à son perfectionnement par le devoir; cependant qu'il ne laisse point péricliter le droit dans sa personne, et qu'il n'oublie pas, comme on l'écrivait naguère, « que le monde social est le royaume de la raison et de la volonté, et que le fatalisme de la mécanique céleste ne règne pas sur la terre (2). »

(1) M. Franck, Études Orientales, Avant-Propos.

(2) M. de Rémusat, Revue des Deux-Mondes, 13 octobre 1861.

FIN

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