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s'asseoir; bientôt reprenant son courage et sa sérénité, il s'avance d'un pas ferme vers le cabinet du roi. Au moment où il soulevait la portière en tapisserie, quelques assassins apostés se jettent sur lui et le frappent à coups redoublés. Il expira presque aussitôt. En tuant son ennemi, Henri III. se condamnait lui-même à une fin semblable. Jusqu'alors le mépris des ligueurs avait en quelque sorte adouci leur haine. Lorsqu'ils virent ce qu'il avait osé, ils osèrent eux-mêmes davantage. Guise était devenu pour eux un martyr dont le sang criait vengeance. Jacques Clément se chargea d'apaiser ses

mânes.

PROSPER MÉRIMÉE.

LXXVII

Avez-vous jamais vu le long des murs du Céramique, lorsqu'ils sont frappés dans les premiers jours de l'année par les rayons du soleil qui régénère le monde, une longue suite d'hommes hâves, immobiles, aux joues creusées par le besoin, aux regards éteints et stupides: les uns accroupis comme des brutes; les autres debout, mais appuyés contre les piliers, et fléchissants à demi sous le poids de leur corps exténué? Les avez-vous vus, la bouche entr'ouverte pour aspirer encore une fois les premières influences de l'air vivifiant, recueillir avec une morne volupté les douces impressions de la tiède chaleur du printemps? Le même spectacle vous aurait frappé dans les murailles de Larisse, car il y a des malheureux

partout: mais ici le malheur porte l'empreinte d'une fatalité particulière qui est plus accablante que le désespoir. Ces infortunés s'avancent lentement à la suite les uns des autres, et marquent entre tous leurs pas de longues stations, comme des figures fantastiques disposées par un mécanicien habile sur une roue qui indiquent les divisions du temps.

CHARLES NODIER.

LXXVIII.

Le marquis était le chef de cette conspiration. Il faisait creuser de son château au palais ducal une galerie souterraine, de laquelle devait sortir, à une heure convenue, trente conjurés parfaitement armés et résolus, lorsqu'un tambour, qui était de garde au palais, ayant par hasard posé sa caisse à terre, remarqua qu'elle frémissait, comme il arrive lorsqu'on creuse quelque mine. Il appela

aussitôt son officier, qui prévint le doge. On contremina, et l'on trouva les travailleurs. La galerie souterraine conduisait droit à la maison du marquis; il n'y avait donc point à nier. D'ailleurs le coupable était trop fier pour en avoir même l'idée. Il avoua tout, et fut condamné à mort.

Au moment où il marchait au supplice, et comme il était arrivé à moitié chemin du Castellaccio, où il devait être exécuté, il demanda comme grâce de mourir en tenant à la main un crucifix rapporté, dit-il, par un de ses ancêtres de la terre sainte, et dans lequel il avait

une grande foi. A cette époque de croyance, on trouva la demande toute simple, et l'on se hâta de l'accorder au condamné; un prêtre fut en conséquence dépêché au château, et le cortége funèbre fit halte pour l'attendre ; au bout d'un quart d'heure, le prêtre revint apportant le crucifix. Le marquis baisa avec amour les pieds du Christ; puis tirant la partie supérieure du crucifix, qui n'était autre que la garde d'un poignard dont la lame rentrait dans la partie inférieure comme dans une gaîne, il se l'enfonça tout entière dans la poitrine, et mourut sur le coup.

A. DUMAS.

LXXIX.

Les montagnes qui entourent le Marais, du côté de la basse Auvergne, se distinguent sous le nom de chaîne des Puys. Je ne saurais mieux rendre l'image qu'elles présentent que par celle d'un jeu de quilles irrégulièrement placées. Toutes sont de forme conique, plus ou moins élevées; elles ne se touchent pas, et leur pente est semée d'une herbe très-fine, de bruyères et de quelques buissons. Plusieurs d'entre elles, telles que le Puy-de-Pariou, renferment un volcan éteint dont le cratère, garni de pierre carbonique, de laves séchées, se distingue parfaitement. Le Puy-de-Dôme, le roi et l'orgueil de la contrée, élève sa tête chauve au-dessus de toutes les autres ; il présente les mêmes caractères, à cela près du volcan. Si le temps n'est pas parfaitement calme, sa cime s'entoure de nuées ;

c'est de là que partent ces orages affreux qui dévastent souvent les campagnes environnantes. Pourtant cette montagne est adorée par les Auvergnats; ils ne souffrent point qu'on l'attaque; ils la regardent avec amour et l'appellent familièrement, sans autre titre, la Montagne. LA COMTESSE DASH.

LXXX.

Sans être une de ces grandes puissances du monde intellectuel, Fontenelle a exercé dans l'empire de la littérature une influence qui n'a pas appartenu à de plus illustres. La puissance réelle ne se mesure pas au bruit qu'on fait. Celle de Fontenelle a procédé, surtout, du rare tempérament qui tenait en équilibre ses facultés opposées : étendu et délié, géométrique et littéraire, philosophe et bel esprit, frivole et pourtant sérieux au fond, esprit amoureux de paradoxes et cependant juste, esprit fin, sans être faible ni faux, ce qui est digne de remarque, fin, faible et faux marchant ordinairement de compagnie; esprit ingénieux, mais jusqu'à l'invention exclusivement, car Fontenelle n'a pas inventé; dans ses opinions à la fois courageux et circonspect, plein de pressentiments et de ménagements, froid et sympathique, indépendant et point frondeur, digne et complaisant, facile, très sociable, égoïste en théorie plus qu'en pratique, il se vantait être pire qu'il ne l'était ; ses actions ont souvent démenti ses paroles, et cependant on l'a jugé sur celles-ci plus que sur sa vie, l'une étant moins connue que les autres; tempérament qui s'est ren

contré en d'autres hommes, mais chez nul aussi marqué que chez lui, ni relevé par une si grande supériorité d'intelligence.

VINET.

LXXXI.

Un obus, tombé sur une de ces maisons, crevait deux ou trois planchers et faisait quelques dégâts, mais des dégâts peu sérieux et facilement réparables. Il eût fallu, pour la réduire en poudre, des centaines d'obus dirigés tous sur le même point; quant à détruire un quartier de Paris, c'était là une enterprise insensée, absurde. Quelles que fussent les provisions de fer et de fonte accumulées par les Prussiens, ils n'en seraient jamais venus à bout, s'y fussent-ils obstinés dix mois de suite. Il n'y avait guère de fortement endommagé que les devantures de boutiques et les mobiliers. C'était un sujet d'étonnement, à qui s'en allait à travers le quartier Latin, après une nuit où le bombardement n'avait pas pris une minute de relâche, de voir combien peu de traces cette pluie d'obus laissait de son passage. Des murs éraflés, des glaces brisées, des tuiles semées sur le trottoir et par-ci par-là une porte éventrée, un trou creusé dans la terre, c'était tout. Il fallait, pour voir de vraies ruines, tomber juste sur un endroit où se fussent acharnés les boulets. Là même les dommages excitaient plus de curiosité que d'effroi, et pour terminer par un trait qui peint le Parisien à vif, à Auteuil, un marchand de vins, dont la maison avait été frappée de quelques projectiles, s'était avisé

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