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en paya un tiers, et le peuple les deux autres tiers jusque là tout fut paisible.

CHAPITRE XXI.

Du supplice d'Anne Dubourg.

Le duc François de Guise, et le cardinal de Lorraine, son frère, commençaient à gouverner l'état sous Henri II. François de Guise avait été déclaré lieutenant-général de l'état et en cette qualité, il précédait le connétable, et lui écrivait en supérieur. Le cardinal de Lorraine, qui avait la première place dans le conseil, voulut, pour se rendre encore plus nécessaire, établir en France l'inquisition, et il y parvint même enfin à quelques égards.

On n'institua pas à la vérité, en France ce tribunal, qui offense à la fois la loi naturelle, toutes celles de l'état, la liberté des hommes, et la religion qu'il déshonore en la soutenant; mais on donna le titre d'inquisiteurs à quelques ecclésiastiques qu'on admit pour juges dans les procès extraordinaires qu'on faisait à ceux de la religion prétendue réformée; tel fut ce fameux Mouchy qu'on appelait Démocharès, recteur de l'université. C'était proprement un délateur et un espion du cardinal de Lorraine; c'est

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pour lui qu'on inventa le sobriquet de mouchards, pour désigner les espions; son nom seul est devenu une injure.

Cet inquisiteur suborna deux jeunes gens pour déposer que les prétendus réformés avaient fait le jeudi saint une assemblée dans laquelle, après avoir mangé un cochon en dérision de l'ancien sabbat, ils avaient éteint les lampes, et s'étaient abandonnés, hommes et femmes, à une prostitution générale.

C'est une chose bien remarquable qu'une telle calomnie ait toujours été intentée contre toutes les nouvelles sectes, à commencer même par le christianisme, auquel on imputa des abominations pareilles. Les sectaires nommés huguenots, réformés, protestants, évangéliques, furent poursuivis partout. On en condamna plusieurs aux flammes. Ce supplice ne paraît pas proportionné au délit. Des gens qui n'étaient convaincus que d'avoir prié Dieu dans leur langue naturelle, et d'avoir communié, avec du pain lévé et du vin, semblaient ne pas mériter un si affreux supplice; mais dès long-temps l'Église s'était servie des bûchers pour punir tous ceux qui avaient le malheur de ne pas penser comme elle. On supposait que c'était à la fois imiter et prévenir la justice divine qui destine tous les ennemis de l'Eglise au feu éternel. Le bûcher était regardé comme un commencement de l'enfer.

Deux chambres du parlement prirent également connaissance du crime d'hérésie, la

grand'chambre et la tournelle, quoique depuis la grand'chambre se soit bornée aux procès civils, quand elle juge seule. Le roi donnait aussi des commissions particulières pour les délinquants. On nommait ces commissions chambres ardentes. Tant de supplices excitèrent enfin la pitié; et plusieurs membres du parlement s'étant adonnés aux lettres, pensèrent que l'Église devait plutôt réformer ses moeurs et ses lois, que verser le sang des hommes, ou les faire périr dans les flammes.

Il arriva au mois d'avril 1559, dans une assemblée qu'on nomme mercuriale, que les plus savants et les plus modérés du parlement proposèrent d'user de moins de cruauté, et de chercher à réformer l'Église. Ce fut l'avis du président Ranconet, d'Arnaud Ferrier, d'Antoine Fumée, de Paul de Foix, de Nicolas Duval, de Claude Viole, d'Eustache de La Porte, de Louis du Faur, et du célèbre Anne Dubourg.

Un de leurs confrères les dénonça au roi. Il violait en cela son serment de conseiller, qui est de tenir les délibérations de la cour secrètes. Il violait encore plus les lois de l'honneur et de l'équité.

Le roi, excité par les Guise, et séduit par cette malheureuse politique qui fait croire que la liberté de penser détruit l'obéissance, vint au parlement sans être attendu (15 juin 1559). Il était accompagné de Bertrand ou Bertrandi, cardinal, garde des sceaux, autre

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fois premier président du parlement, homme tout dévoué aux maximes ultramontaines. Le connétable de Montmorency et plusieurs grands officiers de la couronne prirent séance.

Le roi, qui savait qu'on délibérait alors sur la même matière, voulut qu'on continuât à parler en liberté: plusieurs tombèrent dans le piège qu'on leur tendait. Le conseiller Claude Viole et Guy du Faur recommandérent éloquemment la réforme des mœurs et la tolérance des religions. Le conseiller Dubourg s'expliqua avec encore plus de force; il montra combien il était affreux de voir regner à la cour la débauche, l'adultère, la concussion, l'homicide, tandis qu'on livrait aux tourments et à la mort des citoyens qui servaient le roi selon les lois du royaume, et Dieu selon leur conscience.

Dubourg, neveu du chancelier de ce nom, était diacre; sa cléricature l'avait engagé à étudier plus qu'aucun autre cette funeste théologie, qui est depuis tant de siècles un amas d'opinions contraires. La science l'avait fait tomber dans l'opinion de ces réformateurs; d'ailleurs juge intègre, homme d'une vie irréprochable, et citoyen zélé.

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Le roi ordonna au connétable de faire arrêter sur le champ Dubourg, du Faur, de Foix, Fumée, La Porte: les autres eurent le temps de se sauver. Il y avait dans le parlement beaucoup plus de magistrats attachés à la maison de Guise qu'aux sciences.

Saint-André et Minard, présidents aux en

quêtes, poursuivirent la mort d'Anne Dubourg. Comme il était dans le sacerdoce, il fut d'abord jugé par l'évêque de Paris, du Bellay, assisté de l'inquisiteur Mouchy; il appela comme d'abus de la sentence de l'évêque, il réclama son droit d'être jugé par ses pairs, c'est-à-dire, par les chambres du parlement assemblées; mais l'esprit de parti et l'asservissement aux Guise l'ayant emporté au parlement sur une de ses plus grandes prérogatives, Dubourg fut jugé successivement à l'officialité de Paris, à celle de Sens et à celle de Lyon, et condamné dans toutes les trois à être dégradé et livré au bras séculier comme hérétique. On le mena d'abord à l'officialité; là, étant revêtu de ses habits sacerdotaux, on les lui arracha l'un après l'autre. On fit la cérémonie de passer légè rement un morceau de verre sur sa tonsure et sur ses ongles, après quoi il fut ramené à la Bastille, et condamné à être étranglé et brûlé, par des commissaires du parlement, que ses persécuteurs avaient nommés. Il recut son arrêt avec résignation et courage: ,,Eteignez vos feux, dit-il à ses juges, renoncez à vos vices, convertissez-vous à Dieu." Il fut pendu et brûlé dans la place de Grève (19 oct. 1559).

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Guy du Faur fut condamné par les mêmes commissaires à une interdiction de cinq ans, et à une amende de cinq cents livres. Son arrêt porte: Pour avoir témérairement avan ,,cé qu'il n'y a point de meilleur remède pour

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