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Dépositaire de deux grands prix, l'un pour la littérature consacrée à la morale, l'autre pour la vertu manifestée par des actes, l'Académie n'éprouve guère d'embarras que sur la destination du premier de ces prix. Les traits de dévouement et de courage ne manquent jamais dans une grande nation : c'est l'honneur, c'est le droit de l'humanité. Les bons livres, inférieurs aux bonnes actions, sont plus rares; et on ne saurait en espérer tous les ans.

L'Académie ne rencontrera pas souvent un ouvrage qui réponde tout à fait à la pensée du fondateur et à la sienne, un ouvrage où la vérité soit éloquente et populaire, qui saisisse fortement les âmes, et les entraîne vers un noble but, ou qui élève la raison publique, en la corrigeant de quelque préjugé funeste. De tels ouvrages se comptent à longs intervalles; mais, toutes les fois que le

D. M.

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bien aura été tenté, aura été voulu par l'écrivain, toutes les fois que son zèle a pour inspiration l'intérêt moral de l'homme et de la société, ses efforts méritent estime et faveur; et on doit quelquefois à de semblables écrits la même récompense qu'aux actions vertueuses.

L'Académie, cette année, Messieurs, ne décerne pas le grand prix légué par M. de Montyon; mais elle a remarqué plusieurs ouvrages, dignes de mentions et de médailles.

Le premier de ces ouvrages, qui reçoit une médaille de 4 000 francs, l'essai sur la Démocratie nouvelle, de M. Édouard Alletz, semble, par le titre et par l'honorable analogie de quelques principes, rappeler le beau travail de M. de Tocqueville, déjà couronné par le public et par l'Académie. Mais l'imitation est quelquefois un obstacle plutôt qu'un secours; et ici le nouvel auteur essayait, à quelques égards, une tâche plus difficile que celle de son éloquent devancier; car il veut nous instruire, non de l'Amérique, mais de la France. Il n'a pas, pour nous intéresser, le tableau d'un autre monde, et le curieux contraste de mœurs étrangères. C'est notre état social, nos propres idées, nous-mêmes qu'il entreprend d'analyser à nos yeux. Il se fait notre interprète dans notre pays même, et notre traducteur dans notre propre langue.

Quelles que soient la candeur et la sagacité qu'on apporte à une œuvre semblable, on doit y rencontrer bien des contradicteurs. État politique, état moral, lois, enseignement public, littérature, société, famille, M. Alletz a tout jugé, ou du moins parlé de tout. Il décrit ce qui change encore; il approuve ce qui n'est pas achevé ; il blame quelquefois ce qu'il ne connait pas assez : car qui peut tout connaître? Il substitue souvent à la réalité les illusions d'un cœur honnête. Mais il a deux mérites in

contestables: en politique, il aime sincèrement les institutions de son pays, et ne se propose d'autre utopie que leur affermissement et leur progrès; en morale, il est sévère sans amertume, et vrai sans satire. On ne peut pas toujours partager ses vues: on l'estimera d'avoir offert à la France ce portrait d'elle-même, bienveillant, mais non flatté, souvent inexact, mais sincère. On en détachera çà et là quelques vérités toujours utiles à redire sur les droits du jury, sur l'action indispensable de la presse et le bienfait de la publicité. On lui saura gré de n'avoir jamais séparé la morale de la religion et de la liberté, c'est-à-dire de la sanction qui la couronne, et de l'épreuve qui l'ennoblit encore.

Ces motifs ont déterminé l'Académie à distinguer honorablement un ouvrage dont la lecture ne peut exciter dans les âmes que l'émulation du bien, et le sentiment des devoirs privés et publics.

Les livres qui entretiennent de telles pensées sont le meilleur correctif de cette licence d'imagination que M. Alletz reproche à notre temps, et qu'il explique par le scepticisme et l'amour-propre, en la nommant assez bien une terrible manière de faire du bruit.

Opposer à cet abus du talent un talent égal, consacré par un plus noble usage, serait un difficile effort; mais quelquefois les faits eux-mêmes viennent aider et élever l'écrivain.

Il est des souvenirs historiques, des événements, des personnages qu'il suffit de reproduire, ou plutôt de dévoiler fidèlement à nos yeux, pour porter dans les âmes une impression de grandeur morale et une salutaire admiration de la vertu.

A ce titre, un livre d'histoire, et d'histoire contemporaine, a particulièrement occupé les débats de l'Académie ; c'est la vie d'un pontife, du pape Pie VII : et l'Aca

démie n'a cru méconnaître en cela aucune des traditions de philosophie et de liberté qui lui sont chères. Il lui a paru qu'un des spectacles à jamais mémorables qu'avait offerts notre siècle, plus riche peut-être en grands événements qu'en grands caractères, c'était la lutte opiniâtre du pontife de Rome contre le dominateur de l'Europe.

Il ne s'agissait plus, en effet, des ambitieuses prétentions du pouvoir spirituel sur les empires de la terre; il ne s'agissait plus même de la suprématie pontificale tout entière, mais de la liberté religieuse. C'était la lutte de la conscience contre la force doublée de génie. C'était, sous une forme sacrée, le dernier combat que l'intelligence rendait contre une puissance matérielle, sans contrepoids et sans barrière, qui ne renversait ou ne transfé– rait les trônes que pour mieux asservir toutes les pensées et toutes les volontés.

L'homme qui ne céda pas à cette prodigieuse puissance, ou qui du moins ne lui céda que dans des bornes convenues, et pour lui résister ensuite avec une inflexible douceur, le vieillard qui, sans soldats, sans défense, sans océan et sans déserts entre la France et lui, osa dire non à l'empereur et opposa les bulles de l'Église au conquérant qui avait brisé les constitutions des peuples, est un des plus beaux caractères qu'on puisse présenter en exemple à l'humanité, pour nourrir en elle le sentiment de sa propre grandeur et de sa liberté morale.

Ce caractère paraît et se soutient dans toute la vie de Pie VII, modéré, timide, indulgent, mais invincible dans sa patience. Pie VII est venu sacrer dans Paris l'illustre et heureux guerrier qui avait honoré les restes mortels du dernier pontife, épargné l'Italie conquise, pacifié la France victorieuse, rétabli l'ordre et la religion. Cédant à la victoire, comme à une volonté visible de Dieu, il est

venu couronner empereur ce nouveau Charlemagne, plus extraordinaire que le premier, puisqu'il était sans aïeux. Mais le pontife romain s'arrête là, quoique déjà l'ambition du conquérant demande davantage. Ce consécrateur appelé avec tant de pompe, Napoléon voudrait en faire seulement le premier évêque de son empire. Il lui plairait de prendre Rome pour lui-même, et de donner l'église Notre-Dame au pape.

A peine les caresses et les fêtes du couronnement ontelles cessé, qu'on murmure tout bas ce projet, et qu'on en obsède le pontife, en différant à dessein son départ. « Tout a été prévu, répond alors Pie VII. Avant de quitter « notre ville de Rome, nous avons signé une abdication régulière, valable à l'instant même où nous serions re« tenu captif: elle est hors de votre pouvoir, confiée à un dépositaire prêt à la publier; et quand on nous aura signifié ce qu'on médite contre nous, il ne vous restera plus dans les mains qu'un misérable moine, qui s'appellera Barnabé Chiaramonti. »

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Devant cette sublime humilité, l'empereur n'insista pas; et le pontife retourna libre à Rome. Mais son inquiet et puissant néophyte ne l'y laissera point en paix. Cette seconde lutte va durer quatre années, jusqu'au moment que, vainqueur sur de nouveaux champs de bataille, roi d'Italie, dictateur de l'Allemagne, Napoléon, par un décret, réunit Rome à la France, et fait enlever le pape, par quelques soldats, le soir même du jour où, plus noblement occupé, il gagnait lui-même la bataille de Wagram.

Là s'achève le grand tableau de la vie de Pie VII, par sa constance, non plus contre le pouvoir et la séduction, mais contre le malheur, par sa fermeté dans l'isolement et la prison, par sa confiance inaltérable, quand tout l'abandonne sur la terre, quand ses cardinaux même

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