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lettres que vous aimez, et dont vous avez aussi le génie. Vous les servez, vous les honorez également par ces beaux éloges académiques, où, plus simple que Fontenelle, vous n'avez pas moins de grâce et de finesse. Rappellerai-je votre éloge d'Herschell, monument d'une éloquence inspirée par ces grandes découvertes qui sont le sublime de la science? Si, comme vous le dites, en parlant de cet illustre étranger, il n'a été donné à aucun homme de faire connaître aux autres un aussi grand nombre d'astres nouveaux, jamais ce magnifique présent du génie n'aura été plus dignement célébré. Vos regards savants pénètrent jusqu'aux limites de notre système planétaire, au delà duquel il découvrit une autre création, une autre science, et tout un infini de nouveaux univers; et redescendant de ces spéculations célestes, pour vous arrêter à peindre l'âme irréprochable, les jours paisibles et la douce famille d'Herschell, vous nous faites dire que la vertu vaut le génie, dans ce qu'il a de plus grand, et qu'une vie pure n'est pas moins belle à contempler que la splendeur des cieux. La même philosophie anime vos éloges du célèbre Delambre et de Bréguet, qui fut un grand artiste et un sage. Continuez, Monsieur, ces nobles travaux ; notre siècle est fait pour vous entendre.

Une sage indépendance élève les esprits; l'émulation est dans la société, la vertu sur le trône. Un prince, dont les inspirations naturelles sont toujours confiantes et généreuses, a marqué les premiers temps de son règne par l'affermissement de ce droit d'écrire, et de publier ce qu'on pense, bienfait irrévocable de deux monarques, institution royale et populaire que personne ne pourra désormais arracher à la France! Ainsi puissent les sciences et les lettres longtemps fleurir par la plus belle des protections, la liberté publique!

NOTES.

NOTE A.

On aurait pu facilement étendre cette liste. Beaucoup d'hommes associés à l'expédition d'Égypte sont encore aujourd'hui l'honneur des sciences. Il suffit d'indiquer MM. Geoffroy Saint-Hilaire, Girard, Cordier, Savigny, Jomard. Un administrateur éclairé, M. de Chabrol, servait en Égypte comme ingénieur. Les Desgenettes, les Dubois, les Larrey commencèrent là leur grande réputation. Des officiers supérieurs et des généraux, les Caffarelli, les Andréossy, cultivaient les sciences, et mêlaient leurs observations à celles des savants les plus célèbres. Sous ce rapport, rien n'est plus curieux que la collection des Mémoires de l'Institut d'Égypte, imprimés au Caire.

Mais parmi tous les savants coopérateurs de l'expédition d'Égypte, il en est un que la reconnaissance de l'armée avait particulièrement distingué; c'est Conté, génie inventeur qui trouvait, par son industrie merveilleuse, autant d'expédients et de ressources, que l'armée éprouvait de besoins.

Dans les premiers jours de l'expédition, les soldats regardaient avec un peu de dérision ce cortége de savants dont ils étaient accompagnés. Dans leurs plaisanteries militaires, ils donnaient même un nom si respectable à cet animal utile et dédaigné dont il est fait grand usage en Égypte. Chaque soldat appelait son âne un savant. Mais bientôt ils revinrent de ce grossier dédain, et comprirent les grands égards que leur général avait pour de si précieux auxiliaires. Conté n'avait d'autre titre que chef des aérostiers; mais ses services furent immenses, et s'appliquaient à tout.

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Cet homme, privé d'un œil qu'il avait perdu dans une expérience chimique, était, au milieu de l'Égypte redevenue barbare, un véritable Hermès Trismégiste, qui semblait créer tous les arts. Dès le commencement de l'expédition, si l'on avait cru son avis, eût, par l'établissement d'une ligne de télégraphes, prévenu la surprise et le désastre de la flotte française dans la rade d'Aboukir; mais il sauva du moins Alexandrie.

Bientôt après, il établit des ateliers au Caire. La révolte de cette

ville ayant fait tomber aux mains des Turcs tous les instruments que l'on avait apportés d'Europe, il en fabriqua de nouveaux, et fit à la fois les outils et les ouvrages de presque tous les métiers. Il établit des moulins, des fonderies, des fabriques d'acier et de toile. Dans ses ateliers, pour ainsi dire encyclopédiques, il faisait fabriquer des canons, des sabres, des instruments de chirurgie et de mathématiques, des lunettes, des loupes, des crayons, des trompettes, tout ce qu'il fallait enfin et aux besoins du soldat et aux recherches du savant. Il employait des naturels du pays à tous ces travaux. 11 perfectionnait quelques grossières industries en usage chez eux, et leur apprenait à mieux faire le pain, en même temps qu'il les frappait d'admiration par le spectacle magique des aérostats.

Après la bataille d'Héliopolis, quand l'Égypte, bloquée par les Anglais, se trouva privée de tout commerce, il fabriqua des draps pour habiller les troupes et les habitants.

Mille recherches curieuses sur l'état du pays se mêlaient à tant de travaux. La droiture et les nobles qualités de cet homme si rare augmentaient encore l'admiration qu'il inspirait et les regrets qui suivirent sa perte. Conté mourut le 6 décembre 1805, quatre ans après son retour d'Égypte.

NOTE B.

Par une fatalité singulière, Desaix fut tué à Marengo le même jour et presqu'à la même heure où Kléber était assassiné sur la terrasse de la maison qu'il occupait au Caire. Ce fut le 14 juin 1800. Ces deux grands capitaines appartiennent à cette première école de généraux français qui, nés de la révolution, gardèrent dans les camps l'esprit de liberté. A la tête de tous, il faut nommer le général Hoche, si grand sur le champ de bataille, si généreux même dans la guerre civile, proscrit plus d'une fois par les chefs de la révolution, et se vengeant de chaque persécution par d'immortelles victoires. Là se place aussi le jeune et intrépide Marceau, que Kléber aima d'une vive amitié, et dont il dessina le monument funèbre. Le caractère commun de ces hommes n'était pas seulement le mépris du danger et l'instinct de la guerre, c'était surtout une sorte d'élévation humaine et patriotique, un amour de la France pour elle-même, un enthousiasme de liberté sans fureur politique, un désintéressement admirable et qui dédaignait à la fois le pouvoir et la richesse. L'histoire de ces grands capitaines morts trop tôt est signalée par une foule de traits qui feraient honneur aux vies de Plutarque.

Moins fier, moins indépendant peut-être, Desaix vient se placer à leurs côtés par ses héroïques et modestes vertus. Rien de plus beau que la rivalité de Kléber et de Desaix dans la campagne d'Égypte; et ces deux hommes attirent également les regards par des qualités différentes. Sorli d'une condition pauvre, presque sans éducation, Kléber, avec sa haute stature et son air martial, était un soldat parvenu, mais un soldat plein de génie. Ses manières ouvertes et franches gardaient quelque chose d'un peu rude. Ses paroles énergiques enlevaient le cœur de ses compagnons d'armes dont il était adoré.

Dans le peu de temps qui suivit la victoire d'Héliopolis, jusqu'à sa mort, il montra des talents pour gouverner comme pour vaincre. Plus fier qu'ambitieux, sa loyauté n'aimait pas le génie profond et dissimulé de Bonaparte; et s'il eût vécu, peut-être eût-il été le plus redoutable adversaire du premier consul.

Desaix avait, au contraire, un génie cultivé par la réflexion et l'étude. Savant lui-même, il partageait les travaux de l'Institut d'Égypte. Par sa générosité, son abord affable, son amour des arts, il semblait un nouveau Germanicus envoyé dans l'Orient. Audessus de la jalousie comme de l'ambition, il admirait Bonaparte, et ne s'en défiait pas. Celui-ci, frappé d'une sorte de respect pour la modeste grandeur de Desaix, lui avait confié la partie la plus importante de l'expédition, le soin de soumettre la haute Égypte. Desaix atteignit les Mamelouks, les vainquit, et fit respirer sous sa conquête les malheureux habitants du Saïd. Les chrétiens d'Égypte le chérissaient; les musulmans ne l'appelaient que le sultan juste. Il quitta l'Égypte, au moment où il croyait la guerre terminée, avant la rupture des conventions et la victoire d'Héliopolis. Si Desaix, resté en Égypte, eût survécu à Kléber, on ne peut douter que son génie n'eût longtemps maintenu l'armée française en Orient. Nul homme n'était mieux fait, par son habileté et par ses vertus, pour pacifier un pays vaincu, et civiliser des barbares. Son esprit éclairé avait fortement saisi tous les grands avantages de politique et de commerce que pouvait offrir l'établissement des Français en Égypte. Mais la destinée l'appelait ailleurs; et l'on ne peut s'empêcher de remarquer ici avec quelle rapidité tous les obstacles s'aplanissaient devant Bonaparte, par la mort prématurée de ces grands capitaines qu'avaient enfantés les guerres de la république.

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Vos amis se rappellent encore le jour, déjà bien éloigné, où, victime des troubles publics, banni de l'Institut et de la France, au moment de partir, vous traciez à la hâte quelques vers pleins d'émotion sans amertume. C'était une touchante allégorie sur vous-même; c'étaient tout à la fois les incertitudes et la résignation d'un exilé: De ta tige détachée,

Pauvre feuille desséchée,

Où vas-tu?. Je n'en sais rien.
L'orage a frappé le chêne
Qui seul était mon soutien.
De son inconstante haleine,
Le zéphyr ou l'aquilon,
Depuis ce jour, me promène
De la forêt à la plaine,
De la montagne au vallon.
Je vais où le vent me mène,

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