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« claires. Car y a-t-il rien dont les sceptiques et « les pyrrhoniens n'aient fait profession de douter? Que si, de ce général, nous descendons au par<«<ticulier, comment Malebranche n'a-t-il pas vu qu'on n'avait pas moins de droit de conclure de «< ce qu'il dit que les hommes n'ont point d'idée <«< claire et distincte de leur corps? Car les épicu<< riens n'ont nié la spiritualité et l'immortalité de l'âme, que parce qu'ils ont cru que leur corps « était capable de penser. Et il n'y a encore pré«< sentement que trop d'impies qui sont dans le « même sentiment. Or, si les uns et les autres << avaient eu une idée claire de leur corps, ils n'au<«< ́raient pas eu cette pensée, puisque, selon cet « auteur, quand on a une idée claire d'une chose, « on voit sans peine et d'une vue simple ce qu'elle enferme et ce qu'elle EXCLUT. Donc cette raison « ne prouve rien, ou elle prouve autant contre la «< clarté de l'idée du corps ou de l'étendue, que <«< contre la clarté de celle de l'âme (1). » Il faut savoir que, d'après Malebranche, nous avons une idée claire et distincte du corps, qu'il fait consister dans l'étendue seule. N'avoir qu'une idée confuse et obscure de l'âme, ou ne pas en avoir du tout, c'est pour lui la même chose. Cependant, comme quelqu'un qui n'est pas sûr de soi, il emploie or

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1) Ibid.

dinairement la première expression, qui est moins dure.

Malebranche, en niant que l'àme se connaisse, la retire d'elle-même, où Descartes l'a rappelée, et ruine l'un des deux fondements de la philosophie; il ruine l'autre, en niant qu'elle connaisse Dieu par une idée qu'elle ait en soi; car il prétend qu'elle ne le connaît que parce qu'il agit sur elle, qu'il la presse et la pénètre de sa substance. A cet égard, Malebranche détruit l'œuvre de Descartes; mais, sous un autre rapport, il la continue, prenant la philosophie où Descartes l'a laissée, c'est-à-dire au rappel de la pensée à soi et à Dieu, et étudiant la nature des idées, celle de Dieu, cherchant le motif qu'il a eu de créer, les lois générales des choses, le système du monde et la destinée de l'homme.

Locke, qui nie non-seulement que l'âme se connaisse, mais qu'elle connaisse Dieu d'aucune sorte, tout en soutenant, par inconséquence, qu' 'elle peut démontrer qu'il existe, Locke renverse aussi, à. plus forte raison, la philosophie et l'œuvre de Descartes; cependant il la continue, de même en un certain sens, mais dégradée. Si Descartes a ramené la pensée à soi qu aux notions primitives, il n'a point examiné comment nous arrivons à chacune d'elles en particulier, excepté à celles de l'âme et de Dieu; c'est ce que Locke entreprend de

faire; mais, incapable d'approfondir les choses, il prend pour origine de ces notions ce qui les suppose et les applique. Voulez-vous savoir d'où nous vient la notion d'existence? Écoutez :

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Lorsque nous avons des idées dans l'esprit, <<nous les y considérons comme y étant actuellement, tout ainsi que nous considérons « les choses comme étant actuellement hors « de nous, c'est-à-dire comme actuellement exi<< stantes en elles-mêmes. » Voilà, selon lui, l'idée d'existence obtenue. L'idée d'unité? Écoutez encore: «Tout ce que nous considérons comme << une seule chose, que ce soit un être réel, ou une simple idée, suggère à notre entendement l'idée « de l'unité (1). »

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Débiter ces puérilités, c'est ce que Locke appelle philosopher. Quelque opposés que lui et Malebranche soient à Descartes, la cause de leurs erreurs est dans celui-ci, comme il paraîtra au chapitre suivant.

(1) Essai sur l'Ent. hum., 1. II, chap. vii, art. 7.

Des Idées.

CHAPITRE II.

Des Substances spirituelles et corporelles. De
l'existence des corps.

SECTION I.

DES IDÉES ET DES SUBSTANCES.

Pour s'être borné à rappeler la pensée à ellemême et à Dieu et n'avoir point approfondi la nature des idées et des substances, Descartes tend à tous les systèmes, et fournit des armes à toutes les écoles. Et comme jamais rénovateur ne fut aussi énergique, jamais aucun ne provoqua de si puissantes luttes, et ne suscita, pour l'instruction du genre humain, d'aussi savantes et d'aussi solennelles discussions.

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« L'idée d'un être souverainement parfait ou de perfection infinie est née et produite avec moi dès

lors que j'ai été créé, ainsi que l'est l'idée de moimême. Et de vrai, on ne doit pas trouver étrange que Dieu, en me créant, ait mis en moi cette idée pour être comme la marque de l'ouvrier empreinte sur son ouvrage; et il n'est pas aussi nécessaire que cette marque soit quelque chose de différent de cet ouvrage même; mais de cela seul que Dieu m'a créé, il est fort croyable qu'il m'a en quelque façon produit à son image et semblance, et que je conçois cette ressemblance dans laquelle l'idée de Dieu se trouve contenue, par la même faculté par laquelle je me conçois moi-même, c'est-à-dire que lorsque je fais réflexion sur moi, non-seulement je connais que je suis une chose imparfaite, incomplète et dépendante d'autrui, qui tend et qui aspire sans cesse à quelque chose de meilleur et de plus grand que je ne suis, mais je connais aussi en même temps que celui duquel je dépends possède en soi toutes ces grandes choses auxquelles j'aspire et dont je trouve en moi les idées, non pas indéfiniment et seulement en puissance, mais qu'il en jouit en effet actuellement et infiniment, et ainsi qu'il est Dieu (1). »

Ainsi l'idée relative et créée de perfection, qui est en nous et qui fait le fond de notre esprit, est l'image et la ressemblance de la perfection infinie,

(1) OEuv. de Desc., t. I, p. 290, troisième Méditation.

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