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ter ses héros. Supposer que Jupiter lance sa foudre sur un innocent pour protéger le crime de son fils, c'est une monstrueuse impiété dont Théocrite s'est rendu coupable par une aveugle superstition. Voici la première partie de la pièce :

Je chante les fils de Jupiter et de Léda: Castor, invincible guerrier; Pollux, athlète redoutable dans les combats du ceste; je chante ces illustres frères que Lacédémone vit naître de la fille de Thestias, Castor et Pollux, dont la bonté propice sauve les malheureux au plus fort de la tempête, dégage de la mêlée sanglante les coursiers épouvantés, et rend l'espoir aux matelots, lorsqu'au sein d'une nuit profonde ils cherchent en vain dans le ciel obscurci des astres qui les dirigent: les vents mutinés soulèvent les flots; le vaisseau, fracassé par les vagues irritées, s'entrouve de toutes parts; l'antenne gémit, les voiles se déchirent, le mât brisé vole en éclats; des torrents d'eau, lancés du sein de la nue, se joignent à l'horreur des ténèbres; la vaste mer mugit au loin sous les coups redoublés de la grêle et de l'aquilon; le pâle nautonnier n'attend plus que la mort : divinités tutélaires, vous paraissez, et le vaisseau sort du fond de l'abîme; les vents s'apaisent, le calme renaît sur la face des eaux, le ciel sourit, les nuages se dispersent et vont se perdre dans l'horizon; on voit briller sur la voûte azurée des feux propices, présage de la sérénité et du bonheur. O protecteurs des mortels! héros de l'amitié! ô vous, en qui se réunissent tous les talents! vous dont les mains habiles savent également dompter un coursier et manier une lyre, tour à tour vigoureux athlètes et chantres harmonieux, qui de vous tiendra le premier rang dans mes vers? Tous deux ont droit à mes éloges mais à Pollux appartient mon premier hommage.

>> Le vaisseau fameux qui portait les Argonautes, après avoir heureusement franchi les plus redoutables écueils, aborda sur les terres des Bébryciens. Tous les héros qui accompagnaient Jason s'empressent de descendre sur le rivage: les uns dressent des tentes, les autres cherchent la semence du feu, cachée dans les veines des cailloux. Cependant, Castor et Pollux s'éloignent insensiblement de leurs braves amis et s'avancent dans les campagnes solitaires : ils aperçoivent une vaste forêt sur le

sommet d'une montagne, et découvrent, dans le creux d'une roche escarpée, des fontaines dont les ondes argentées ont l'éclat et la pureté du cristal. Autour d'eux, les pins altiers et les peupliers blancs élèvent leur cime orgueilleuse; les platanes et les cyprès étalent leur chevelure antique. Telle qu'une riante prairie sur la fin du printemps, la terre est émaillée de fleurs odoriférentes, toujours picotées par l'abeille industrieuse. Là, sans avoir d'autre toit que le ciel, habitait un géant farouche et terrible sa vaste poitrine s'élève en s'arrondissant comme un globe; son large dos est muni d'une peau plus dure que le fer; tout son corps ressemble à un colosse que l'infatigable marteau a fabriqué; sur ses bras nerveux, à l'extrémité de l'épaule, des muscles vigoureux se prononcent, semblables à ces cailloux qu'un torrent a longtemps roulés dans ses eaux; son vêtement est une peau de lion, dont les griffes entrelacées forment une agraffe sur sa poitrine. L'intrépide Pollux l'aborde :

Pollux. « Etranger, lui dit-il, qui que tu sois, apprends-moi quels sont les habitants de cette contrée ainsi puisse la joie t'accompagner toujours!

:

Amycus. Comment puis-je éprouver de la joie, quand je vois des inconnus?

Pollux. «Ne crains rien tu vois des hommes justes et nés de parents vertueux.

Amycus. Je ne crains rien, et ce n'est pas à toi à me l'apprendre.

Pollux. « Ton humeur est brusque, et ton orgueil est prompt à s'irriter.

Amycus. Je suis tel que tu me vois: au reste, la terre que je foule n'est pas à toi.

Pollux. Plût aux dieux que ce fut la mienne! tu n'en sortirais point sans avoir reçu les présents de l'hospitalité.

Amycus. Je ne veux point de tes présents; et, quant aux miens, il n'est pas aisé de les obtenir.

Pollux. Quoi donc! ne souffriras-tu pas que je me désaltère à cette fontaine ?

Amycus. « Tu le sauras quand la soif brûlante aura desséché tes lèvres.

Pollux. Faut-il, à force d'argent, acheter cette faveur légère? ou quel autre prix y mets-tu ?

Amycus. Le prix de la force et du courage. Avance-toi, l'œil fixe, les bras tendus, les mains armées de gantelets; déploie toute ta vigueur, mets-en œuvre toute ton adresse: tu en auras besoin. Ton adversaire t'attend.

Pollux. Et quel est ce fier mortel qui ose me braver? Amycus. Il est devant tes yeux et ce n'est pas, je crois, un rival méprisable.

Pollux. Et quel sera le gage de la victoire ?

Amycus. Je serai à toi, si je suis vaincu; tu seras à moi, si je suis vainqueur.

Pollux. « De pareilles conditions ne sont faites que pour les combats de bêtes féroces.

Amycus. Des bêtes féroces ou des hommes, peu m'importe : nous ne combattrons qu'à ce prix.

» Il dit, et fit aussitôt retentir dans les airs sa trompette marine à ce signal, les Bébryciens à longue chevelure se rassemblent en foule sous un épais platane.

» L'intrépide Castor courut aussi vers le rivage, et revint accompagné des Argonautes. Cependant, les deux rivaux arment leurs mains du ceste, et environnent de longues courroies leurs bras robustes. Bientôt ils s'avancent l'un contre l'autre, les yeux étincelants de fureur. Quelque temps ils se disputent l'avantage du poste; mais, plus souple et plus adroit, Pollux devance son adversaire lourd et pesant; il met derrière lui le soleil, tandis que ses rayons tombent à plomb sur le visage d'Amycus. La rage du barbare redouble; il s'efforce, en se guidant avec ses mains, de joindre son ennemi: mais, pendant qu'il s'avance les yeux fermés, le fils de Tyndare lui décharge sur la joue un coup vigoureux, qui ne fait qu'augmenter sa fureur. Le combat s'anime; le géant, irrité, marche toujours en avant, le corps penché, la tête baissée. Les Bébryciens frappent l'air de leurs cris, les héros grecs animent de la voix le vaillant Pollux, et tremblent que l'énorme Amycus, égal aux enfants de la terre, ne

l'accable de son horrible masse dans cette arène trop étroite. Le fils de Jupiter tourne sans cesse autour de son ennemi, et, le frappant tour à tour des deux mains, se garantit de ses terribles approches. Le fils de Neptune s'arrête comme enivré de coups: un sang noir sort de sa bouche; ses joues meurtries sont couvertes de blessures; son visage enflé laisse à peine apercevoir ses yeux. A ce spectacle, les Argonautes poussent des cris de joie: Pollux le presse de tous côtés, et le harcelle sans relâche par de fausses attaques; enfin, lorsqu'il le voit incertain de l'endroit qu'il doit défendre, il fait tomber entre ses deux sourcils son redoutable ceste, et lui fracasse le front. Le géant chancelle, il succombe, et couvre de sa masse énorme le gazon ensanglanté; mais il se relève bientôt, et le combat recommence avec plus de fureur. Les assaillants se portent des coups terribles; mais le bras du roi des Bébryciens ne tombe que sur la poitrine de son ennemi, tandis que Pollux lui déchire le visage par de honteuses plaies. Le corps d'Amycus s'affaisse par la sueur et la fatigue; cet énorme géant n'est plus qu'un homme ordinaire; mais le roi d'Amiclée semble puiser dans le combat des forces nouvelles; ses membres sont plus vigoureux et plus souples, son visage brille d'un plus vif coloris. Muse, apprends-moi comment le fils de Jupiter terrassa ce féroce mortel: interprète fidèle de tes oracles, je mets toute ma gloire à répéter les chants que tu m'inspires. Amycus, méditant un grand dessein, saisit de la main gauche la gauche de Pollux, et, le corps penché hors de la portée des coups, il lève la droite pour frapper son adversaire: ce coup, s'il eût réussi, devait être fatal au fils de Jupiter; mais, baissant la tête, et se glissant légèrement sous les bras de son rival, il rend ses efforts inutiles, tandis qu'au même instant son ceste terrible s'appesantit avec fracas sur la tempe d'Amycus, et retombe sur son épaule; un sang noir coule de sa tempe entr'ouverte, lorsqu'un second coup, non moins épouvantable, lui fracasse les dents. Le redoutable Pollux ne le laisse point respirer: sa main robuste et infatigable tombe à chaque instant sur le visage du fils de Neptune, lui meurtrit les joues et lui brise les os. Amycus, étendu sur la terre et prêt à rendre le dernier soupir, lève ses mains

tremblantes et avoue sa défaite. Généreux Pollux, ton cœur magnamine n'abusa point de la victoire, content d'avoir fait jurer à ton ennemi, par son père Neptume, d'être désormais plus humain envers les étrangers. »>

L'AMANT, OU L'AMANT MALHEUREUX. Ce morceau finit par un suicide. Virgile a imité cette idyle dans sa deuxième églogue.

LE JEUNE HERCULE, et HERCULE TERRASSANT LE LION. Deux fragments du genre épique. Dans le premier, le poète raconte comment le jeune Hercule étouffa les serpents que Junon avait envoyés pour le faire périr; Alcmène, effrayée de ce prodige, appelle Tirésias qui prophétise les exploits et la gloire future de l'enfant divin. Dans le deuxième, Hercule, allant nettoyer l'étable d'Augias, raconte son combat avec le lion de Némée. Tous deux sont écrits en dialecte ionien. On y trouve des tableaux charmants, pleins de mouvement et d'action.

LES BACCHANTES. Ce petit poème est moins une idylle qu'une espèce d'hymne, dans le genre des hymnes homériques. La première partie est en récit (Penthée mis en pièces par les femmes); la deuxième, en réflexions.

CONVERSATION ENTRE DAPHNIS ET UNE JEUNE FILLE. Pièce li

cencieuse.

LA QUENOUILLE. Charmant poème lyrique, dans lequel Théocrite décrit la quenouille d'ivoire qu'il doit porter à Milet, pour l'offrir à Théognis, épouse de son ami Nicias.

LES AMOURS. Poème lyrique dans le dialecte éolien. SUR LA MORT D'ADONIS. Irritée de la mort d'Adonis, Vénus se fait amener le sanglier coupable: celui-ci obtient sa grâce en flattant la passion de la déesse. C'est un poème dans le genre anacréontique.

Bion de Smyrne.

A côté de Théocrite, on place Bion et Moschus, ses contemporains. Bion était de Smyrne. Il paraît qu'il passa la plus grande partie de sa vie en Sicile, ou dans cette partie de l'Italie que l'on appelait la Grande Grèce. Il est probable qu'il

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