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On ne connaît que trop les haines implacables
D'un second hyménée effets inévitables.
Gardez dans ce palais d'introduire un tyran.
De mon fils, il est vrai, le péril est moins grand :
Son sexe est sa défense; il croîtra près d'un père;
Mais à ma fille, ici, qui tiendra lieu de mère?
Fille trop chère ! hélas ! s'il fallait quelque jour
Qu'une femme étrangère osât, dans cette cour,
A la honte, au mépris, dévouer ton enfance,
Et d'un hymen heureux te ravir l'espérance!
Si tu dois de Lucine éprouver les travaux,
Qui sera près de toi pour adoucir tes maux,"
Pour t'offrir les secours de l'amour maternelle?
Je meurs. Ah! par pitié pour moi-même et pour elle,
Admète, jurez-moi de souscrire à mes vœux;
Joignez cette promesse à nos derniers adieux.
Il faut nous séparer la mort, qui me menace,
N'admet point de délai, n'accorde point de grâce.
Adieu, mes chers enfants! adieu, mon cher époux !
Vous que j'ai tant aimés, vivez; souvenez-vous
Qu'Alceste à cet amour appartint tout entière,
Fut la plus tendre épouse et la plus tendre mère.

LA HARPE, Cours de Littérature.

La scène se soutient jusqu'au bout aussi vraie, aussi attendrissante; après qu'Admète avec les plus vifs transports de reconnaissance, d'amour, de regret, a prononcé la promesse qui lui est demandée, elle se termine par ce dialogue où se précipitent d'un mouvement plus rapide et plus tumultueux, tous les sentiments qui l'ont remplie.

ALCESTE.

› O mes enfants, vous l'avez entendu; votre père promet de ne point vous donner une marâtre, de ne point profaner ma couche.

ADMÈTE.

› Je le promets encore, et je tiendrai ma promesse.

ALCESTE.

>> Reçois donc de ma main ces enfants.

ADMÈTE.

» Don chéri d'une chère main !

ALCESTE.

» Prends ma place, sers leur de mère.

ADMÈTE.

» Nécessité cruelle, puisqu'ils ne t'auront plus!

ALCESTE.

> Je voudrais vivre pour vous, ô mes enfants, et je meurs!

ADMÈTE.

>> Malheureux! que deviendrai-je sans toi?

ALCESTE.

› Le temps adoucira ta peine. Ce n'est plus rien qu'un mort.

ADMÈTE.

» Emmène-moi, au nom des dieux, emmène-moi aux enfers.

ALCESTE.

› C'est assez de moi, qui meurs pour te sauver.

ADMÈTE.

» O destin, quelle épouse tu me ravis!

ALCESTE.

» Mes yeux se couvrent d'un nuage et déjà s'appesantissent.

ADMÈTE.

» Je péris, si tu me quittes, ô femme!

ALCESTE.

> Je ne suis plus; ne me compte plus au nombre des vivants.

ADMÈTE.

» Relève ta tête, ne quitte pas tes enfants.

ALCESTE.

> Que ne puis-je ! mais adieu, mes enfants! adieu.

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4

LE CHOEUR.

Elle a cessé de vivre; Admète n'a plus d'épouse. ›

M. PATIN, Etudes sur les tragiques grecs.

ANDROMAQUE.

Dans la tragédie d'Andromaque, la scène est marquée avec une précision qui n'est pas inutile à l'intelligence de la fable.

Elle est placée en Thessalie, entre la ville de Phthie, où règne Néoptolème, et celle de Pharsale, qu'il laisse gouverner par le vieux Pélée, dans un lieu peu éloigné de l'une et de l'autre, et qui s'appelle Thétidée, à cause d'un temple consacré, près du palais, à Thétis, mère d'Achille et divinité domestique de cette contrée.

Dans ce temple, ouvert aux regards des spectateurs, s'est réfugiée Andromaque, autrefois épouse d'Hector, depuis captive de Néoptolème, et qui, forcée par l'horrible droit de la guerre reconnu dans ces temps barbares, de céder à la passion brutale de son maître, lui a donné un fils nommé Molossus. Abandonnée pour Hermione à laquelle ce prince s'est uni, poursuivie en son absence par cette femme jalouse et cruelle qui l'accuse de lui ravir le cœur de son époux et de la frapper de stérilité par des maléfices, elle a caché son enfant dans une retraite ignorée, et est venue demander un asile à ce temple où le poète nous la montre au début de son ouvrage.

C'est d'elle-même que nous apprenons ces détails; elle nous les expose dans un prologue de formes un peu plus dramatiques que ne le sont communément chez Euripide les morceaux de de ce genre, adressés sans trop de façon au public.

Une esclave phrygienne vient annoncer à Andromaque que Molossus a été découvert, et que Ménélas, le père d'Hermione, qui partage la haine et sert d'instrument aux violences de sa fille, est sorti du palais pour s'en emparer. Elle se charge, malgré les dangers d'une telle démarche, d'aller en toute hate, à Pharsale, avertir Pélée, dont Andromaque a déjà, par plus d'un message, réclamé le secours. C'est là une scène fort ordinaire, et qui semble promettre bien peu. Elle n'est pourtant pas sans beauté. Cette femme obscure que l'esclavage a rapprochée de sa reine, lui donne, comme autrefois, le nom de maîtresse. Celle-ci, au contraire, l'appelle sa compagne et son amie. Il y a là un contraste qui frappe d'autant plus, que le poète, avec la discrétion particulière aux Grecs, s'est moins donné de peine pour le faire ressortir. Il a peint également avec simplicité, avec naturel, sans aucun faste d'héroïsme, le dévouement de cette pauvre Troyenne, qui ne perd rien de son prix, pour être mêlé d'un peu de frayeur, de quelque hésitation.

Andromaque, restée seule, s'entretient des malheurs de sa patrie, et des siens, dans une sorte de chant élégiaque que Brumoy compare avec raison aux stances de nos anciennes tragédies. Un tel intermède, qui semble une disparate sur notre scène, était mieux placé sur la scène grecque, où la poésie lyrique se montrait si souvent et sous tant de formes diverses. Les plaintes d'Andromaque sont belles, mais d'un caractère trop général et trop vague. Nous ne pouvons contredire le sentiment des scoliastes anciens, qui n'y voient qu'un morceau du second ordre, et étendent même cette observation à la pièce entière.

Elles sont interrompues par l'arrivée du choeur. Des femmes de Phthie, touchées de pitié pour Andromaque, lui apportent des consolations et lui conseillent, toutefois, esclave et sans appui, de céder à la fortune et de quitter son asile.

Hermione vient bientôt appuyer ce conseil timide de ses fureurs. Andromaque lui répond avec une fermeté modeste qui l'élève beaucoup au-dessus de son ennemie, et achève de mettre celle-ci hors d'elle-même. Elle sort en annonçant qu'elle a trouvé un sûr moyen de triompher des refus d'Andromaque et de lui faire abandonner l'autel protecteur de la déesse.

Cette menace obscure ne tarde pas à s'accomplir. Après quelques strophes où le choeur célèbre les suites funestes du crime de Pâris, on voit paraître Ménélas avec le jeune Molossus. Il annonce le dessein de le faire mourir, si sa mère ne cède et ne se livre. En vain Andromaque s'emporte contre cette lâche cruauté, invoque le nom de Neoptolème qu'elle outrage et qui sans doute en punira les auteurs; Ménélas lui répète froidement l'arrêt odieux qu'il a porté. Il faut qu'elle meure ou voie mourir son fils. Son choix n'est pas douteux, elle se remet aux mains de ses persécuteurs, et le trouble de son âme, dans un tel moment, les efforts désespérés de l'innocence qu'on opprime, le cri de détresse et le dévouement passionné de l'amour maternel, tout cela est rendu avec ce pathétique déchirant qui n'a jamais manqué au génie d'Euripide.

..... Douloureuse alternative! cruelle rançon, qui m'est demandée ! Que j'accepte, que je refuse, je suis également mal

heureuse. O toi, que si peu de chose pousse à de tels 'excès, pourquoi veux-tu me tuer? que t'ai-je fait ? Ai-je livré tes Etats, massacré tes enfants, embrasé ton palais? J'ai cédé à la force, je suis entrée malgré moi dans le lit de mes maîtres : faut-il me tuer pour ce crime involontaire et en épargner l'auteur ? faut-il se détourner de la cause et ne poursuivre que ses suites? Hélas! quel comble de maux! ô ma patrie, à quoi suis-je réduite! devais-je, dans l'esclavage, mettre au jour des enfants, et à toutes mes misères ajouter cette misère nouvelle ? Quelle douceur m'offrirait encore la vie? où reposer mes regards? sur mon sort présent? sur ma fortune passée? J'ai vu Hector égorgé, et emporté par un char, dans la poussière ; j'ai vu, spectacle affreux! ilion livré aux flammes; esclave, on m'a traînée par les cheveux vers les vaisseaux des Grecs, et, transportée à Phthie, je suis tombée dans les bras des meurtriers d'Hector. Mais, que fais-je? et pourquoi revenir sur ces malheurs déjà loin de moi, lorsque d'autres sont là qui me menacent et que je dois pleurer? Un fils m'était resté, un fils, l'œil de ma vie, et ils vont le tuer! Non, il ne périra pas, pour racheter mes jours misérables: le sauver est tout mon espoir, et quelle honte à moi de n'oser mourir à la place de mon enfant! Voyez ! je quitte l'autel, je me livre en vos mains, vous pouvez me tuer, m'égorger, me charger de liens, entourer mon cou du noeud fatal. O mon enfant, je t'ai donné la vie, et, pour que tu ne meures pas, je m'en vais chez Pluton. Si tu échappes à ton destin, souviens-toi de ta mère, de ses souffrances, de son trépas, dis à ton père, avec des baisers, des larmes, de tendres caresses, dis-lui ce que j'ai fait pour toi. Ah! nos enfants sont notre âme, notre vie; celui qui, sans l'avoir connue, condamne cette tendresse, celui-là peut être a moins de peine; mais aussi quel triste bonheur! >

Ménélas n'est point attendri par des paroles si touchantes; malgré l'intercession du chœur qui le supplie d'épargner Andromaque, il ordonne qu'on l'enchaîne, et quant à Molossus, il déclare, avec une barbarie impudente et brutale, que sa fille en décidera. Andromaque trompée éclate en plaintes et en reproches; au milieu d'un dialogue animé est jeté ce trait char

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