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PLUTON. BACCHUS.

Prononce.

La décision vous appartient: moi, je choisirai

celui qui me plaît le plus.

EURIPIDE. ‹ Fidèle au serment que tu as fait de m'emmener avec toi, choisis tes amis.

BACCHUS. EURIPIDE. BACCHUS.

quoi non?

La langue a juré; › 1 mais je choisis Eschyle.
Qu'as-tu fait là, ô le plus odieux des hommes?
Moi? j'ai donné la victoire à Eschyle. Pour-

EURIPIDE. Oses-tu bien me regarder après une action si honteuse?

BACCHUS. Qu'y-a-t-il de honteux, si les spectateurs n'en jugent pas ainsi?, 2

EURIPIDE.

Cruel, tu me laisseras parmi les morts?

BACCHUS. Qui sait si la vie n'est pas une mort, le souffle un dîner, le sommeil une toison?

PLUTON. Bacchus, venez dans mon palais.

BACCHUS. Pourquoi?

PLUTON.« Pour que je vous traite avant votre départ.

BACCHUS. C'est bien imaginé; je ne suis pas fâché de l'affaire.

LE CHOEUR. Heureux l'homme d'une sagesse accomplie ! mille preuves l'attestent. Celui-ci, pour s'être montré sage, reverra sa maison, au grand avantage de ses concitoyens, de ses parents et de ses amis : il le devra à sa sagesse. Il est donc bien de ne pas rester près de Socrate à discourir, en dédaignant la musique, et les parties les plus importantes de l'art tragique. C'est folie de perdre son temps en discours oiseux, et en subtilités frivoles.

PLUTON. Pars avec joie, Eschyle; sauve ta patrie par de sages leçons, et corrige les fous: ils sont nombreux. Porte ceci à Cléophon 3; cela aux receveurs publics, Myrmex et

Vers d'Euripide souvent cité.

• Parodie d'un vers de l'Eole d'Euripide.

3 Il lui donnait une corde, ou tout autre emblême de supplice. Ceux qu'il nomme ici étaient des intrigants aujourd'hui fort obscurs. Cléophon était étranger; il s'opposait à la paix, et rejetait les propositions de l'ambassadeur Lacédémonien.

Nicomaque, et ceci à Archénomus. Dis-leur de venir bien vite à moi, et sans délai. S'ils ne se dépêchent, je les saisis, et les jette pieds et mains liés avec Adimante 1, fils de Leucolophos au fond des enfers.

ESCHYLE. Je n'y manquerai pas. Donne ma place à Sophocle, pour qu'il me la garde et me la conserve, si jamais je reviens ici. Je le crois après moi le plus habile. Mais aie bien soin que cet intrigant, ce menteur, ce charlatan, ne s'asseoie jamais sur mon siége, même de force.

PLUTON. Vous, éclairez-le de vos torches sacrées; et en l'accompagnant, chantez à sa gloire ses hymnes et ses chœurs.

LE CHOEUR. « Dieux infernaux, accordez d'abord au poète qui retourne à la lumière un heureux voyage, et inspirez à la république de salutaires pensées! Par là, vous mettriez fin à tant de malheurs, et au tumulte affreux des armes. Quant à Cléophon et à ceux de son goût, qu'ils aillent combattre dans leur patrie 2. M. Artaud, Traduction d'Aristophane.

L'ASSEMBLÉE DES FEMMES OU LES HARANGUEUSES.

Cette pièce fut jouée l'an 393 avant J.-C.

On a vu dans Lysistrata, les femmes conspirer entre elles, s'emparer de la citadelle, et prendre une résolution extrême, pour forcer leurs maris à faire la paix. Ici encore, c'est une conspiration de femmes; mais il ne s'agit de rien moins que d'une révolution sociale. Les Athéniennes, sous la conduite de Praxagora, se déguisent en hommes; elles mettent des barbes postiches, et prennent les manteaux de leurs maris, pour s'introduire dans l'assemblée du peuple. Après s'être assurées ainsi de la majorité, elles font passer un décret qui investit les femmes du gouvernement. Elles établissent ensuite une nouvelle constitution, fondée sur la communauté des biens, des femmes et des enfants. C'est une parodie très-spirituelle de la république imaginaire de Platon, et des utopies de ce genre, mises en avant par les philosophes. On sait qu'avant Platon,

Il était étranger et commandait une partie des forces navales. 2 Il fait entendre par ces mots que ce sont des étrangers et des barbares.

Protagoras avait fait une république idéale. Il n'y a guère plus d'action dans cette pièce que dans les Grenouilles. Une critique libre et hardie, une satire vive et animée des mœurs athéniennes, voilà l'unique but que l'auteur se propose, dans une suite de scènes pleines de gaieté. Toutes les objections qui peuvent s'élever contre ce système de communauté absolue, sont présentées ici de la manière la plus bouffonne. Praxagora expose son plan, et résout toutes les difficultés avec une assurance imperturbable. Il y a surtout une longue scène, d'un comique délicieux, entre deux citoyens, dont l'un est plein de dévouement, et se dispose de la meilleure grâce du monde à mettre tous ses biens en commun; tandis que l'autre, circonspect, égoïste, bien résolu à ne rien livrer qu'à la dernière extrémité, raille la bonhomie de son voisin, et le traite comme un niais; et puis, quand le dîner est servi, celui qui n'a pas contribué veut aller se mettre à table avec les autres, tant il a de soumission pour les lois de la république ! Dans la dernière partie de la pièce, on voit la réalisation du décret de Praxagora, relatif à la communauté des femmes. Plusieurs vieilles disputent à une jeune fille la possession d'un beau jeune homme. Ici, le génie licencieux d'Aristophane se donne carrière, et va plus d'une fois jusqu'à l'obscénité. M. Artaud, Traduction d'Aristophane.

PLUTUS.

Plutus fut donné l'an 409, et reproduit vingt ans après.

Chrémyle, homme de bien, mais pauvre, va consulter l'oracle d'Apollon, sur les moyens de s'enrichir. Le dieu lui répond d'emmener chez lui la première personne qu'il rencontrera en sortant du temple. Il rencontre un aveugle: c'est Plutus. Dès que celui-ci s'est fait connaître, on s'empresse autour de lui, on veut travailler à sa guérison: car si Plutus est aveugle, faut-il s'étonner qu'il enrichisse tant de coquins et d'intrigants? On le conduit dans un temple d'Esculape: là, Plutus recouvre la vue; désormais il enrichira les honnêtes gens.

On voit là un cadre satirique ingénieusement inventé par le poète, pour fronder la cupidité, l'égoïsme, et tous les vices

qu'il reproche aux Athéniens. Dans l'Assemblée des femmes, Aristophane avait traité à sa manière la question de la communauté des biens; il avait présenté sous des formes ridicules les inconvénients pratiques de ce système. Dans le Plutus, il aborde une question qui touche de près à la première : c'est l'inégale répartition des richesses, et la manière capricieuse dont la fortune dispense ses faveurs, faisant prospérer les méchants, et donnant la misère en partage à la probité. La Pauvreté s'indigne de ce que Chrémyle veut rendre la vue à Plutus, et prétend le chasser de chez lui. Elle prouve, dans un plaidoyer très-spirituel, qu'elle est la mère de tous les biens, et que les hommes lui doivent le bonheur dont ils jouissent. D'ailleurs, si chacun était riche, personne ne voudrait plus travailler; il n'y aurait plus ni serruriers, ni tailleurs, ni cordonniers, etc. Sous les sophismes et les bouffonneries qui égaient l'argumentation banale de ceux qui défendent les abus parce qu'ils en vivent, on voit percer le bon sens exquis du poète, qui avait pressenti la nécessité du travail comme condition de notre nature, et qui avait compris que l'or, par lui-même, ne constitue pas la richesse.

La dernière partie de la pièce nous montre les effets de la guérison de Plutus. Un homme de bien enrichi vient remercier le dieu; un sycophante, ou délateur, ruiné, prouve que Plutus conspire le renversement de la république. Une vieille folle vient se plaindre de ce qu'un beau jeune homme qu'elle aime passionnément la délaisse, depuis qu'il n'a plus besoin de ses largesses. Mercure, affamé, déserte le parti des dieux, à qui l'on n'offre plus de sacrifices, depuis que Plutus a recouvré la vue; et il se met au service de Chrémyle, hôte de Plutus. Enfin un prêtre de Jupiter, qui meurt de faim, abandonne ses autels, et se consacre au culte de Plutus, arbitre du monde, maître des hommes et des dieux.

Cette comédie, semée de traits fins et spirituels, est conduite avec un art qui ne se retrouve peut-être pas au même degré dans les autres, si l'on excepte les Nuées. La fiction n'a point ici cette froideur qui glace trop souvent le genre allégorique. Cependant les personnalités ne sont plus si nombreuses, et

ceux que l'auteur attaque sont traités avec plus de ménagement. Il n'y a pas de Parabase; le chœur joue un rôle beaucoup moins important qu'à l'ordinaire, et ses sarcasmes sont moins mordants. Par là le Plutus se rapproche du caractère de la comédie moyenne, bien plus que de la vieille comédie politique. M. Artaud, Traduction d'Aristophane.

RÉFLEXIONS SUR LES COMÉDIES D'ARISTOPHANE.

On est surpris de lire dans Plutarque ce jugement sévère sur les comédies d'Aristophane:

• Aristophane outre la nature et parle à la populace plus qu'aux honnêtes gens: son style est mêlé de disparates continuelles, élevé jusqu'à l'influence, familier jusqu'à la bassesse, bouffon jusqu'à la puérilité. Chez lui, on ne peut distinguer le fils du père, le citadin du paysan, le guerrier du bourgeois, le dieu du valet. Son impudence ne peut être supportée que par le bas peuple; son sel est amer, âcre, cuisant; sa plaisanterie roule presque toujours sur des jeux de mots, sur des équivoques grossières, sur des allusions entortillées et licencieuses. Chez lui, la finesse devient malignité; la naïveté devient bêtise; ses railleries sont plus dignes d'être sifflées qu'elles ne sont capables de faire rire; sa gaieté n'est qu'effronterie; enfin il n'écrit pas pour plaire aux gens honnêtes et sensés, mais pour flatter l'envie, la méchanceté et la débauche. >

Le même Plutarque, d'un autre côté, parle très-avantageusement de Ménandre.

Mais, dit avec raison Brumoy, il ne faut pas croire que Plutarque, qui vivait plus de quatre siècles après Ménandre et plus de cinq après Aristophane, ait jugé si exactement de l'un et de l'autre, que son jugement ne soit pas un peu sujet à révision.

Brumoy examine en effet avec détails les reproches de Plutarque contre Aristophane. Ensuite il fait remarquer que pour bien juger ce poète il faut remonter à la source du goût, et considérer qu'il y a non-seulement une beauté immuable

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