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causes soient divisées; que le vieillard plaide avec le vieillard; le jeune homme débauché et bavard, avec le fils de Clinias. Sans doute, il faut poursuivre les méchants; mais que, dans tout procès, le vieillard ne soit condamné que par un vieillard, le jeune homme par un jeune homme.» Traduction de M. Artaud. Il faut convenir que la parabase est contraire à l'essence de de toute fiction dramatique, puisque la loi générale du genre est d'abord que l'auteur disparaisse pour ne laisser voir que ses personnages, et ensuite que ceux-ci agissent et parlent entre eux, sans faire aucune attention aux spectateurs. Certainement, toute impression tragique serait détruite par de semblables infractions aux règles de la scène; mais les interruptions, les incidents épisodiques, les mélanges bizarres de toute espèce, sont accueillis avec plaisir par la gaieté. Quand l'esprit est disposé à l'enjouement, il est toujours bien aise d'échapper à la chose dont on l'occupe, et toute attention suivie lui paraît une gêne et un travail... Cette espèce d'intermède (la parabase) était conforme à l'esprit de l'ancienne comédie, où non-seulement l'objet de la fiction, mais la composition tout entière, n'était qu'un pur badinage. Cette puissance illimitée de la gaieté se manifestait par l'impossibilité de prendre rien au sérieux, pas même la forme dramatique; l'on trouvait du plaisir à se soustraire un instant aux lois de la scène, à peu près comme dans un déguisement burlesque, on s'amuse quelquefois à lever le masque. C'est encore ainsi que, de nos jours, l'usage des allusions et des mines adressées au parterre ne s'est jamais tout à fait aboli dans la comédie, et que les acteurs obtiennent quelquefois par là de grands applaudissements. W. Schlegel, Cours de littérature dramatique.

LES CHEVALIERS.

Les chevaliers furent représentés l'an 425, avant Jésus-Christ. Solon avait divisé les citoyens en quatre ordres; le second était celui des Chevaliers. Cette classe se composait en général de propriétaires, et par conséquent des personnages les plus in

téressés aux projets des démagogues. Le chœur de la pièce est formé de Chevaliers.

Deux jongleurs politiques, un corroyeur paphlagonien et un charcutier, se disputent, pendant le siége de Sphactérie, la faveur d'un vieillard imbécile, nommé Démos. Le mot Démos en grec signifie peuple: ainsi la masse de la nation était ellemême personnifiée et travestie de la manière la plus injurieuse. Le charcutier et le corroyeur représentaient deux orateurs populaires; mais c'est principalement sur le dernier que pleuvent les traits de la satire. L'auteur y désignait ouvertement Cléon, démagogue ignorant, inepte et turbulent, que le peuple, ennuyé de la longueur du siége de Sphactérie, avait mis, par dérision, à la tête de l'armée. Le sobriquet de Paphlagonien indiquait un accent particulier à Cléon. Le charcutier, le rival de Cléon, nommé Agoracrite, et auquel on parvient à faire croire que la nature l'a doué de tous les talents nécessaires pour gouverner l'Etat, a pour principaux adhérents deux autres généraux, Démosthène et Nicias, qui paraissent dans la pièce sous leur nom véritable, mais vêtus en esclaves, afin de montrer leur asservissement.

On concevrait difficilement de pareilles personnalités, si l'on ne réfléchissait qu'à cette époque, Athènes était divisée en deux factions l'une qui voulait continuer contre les Lacédémoniens une guerre malheureuse; et l'autre qui désirait ardemment la paix. Aristophane servait ce dernier parti de tout son pouvoir. Les pièces de théâtre n'étaient pas alors soumises à une censure préalable. Pourvu que l'auteur eût parmi les spectateurs un parti puissant, il ne courait point de dangers, et nous avons vu qu'Aristophane avait mis sa pièce sous la protection des Chevaliers.

Cependant Aristophane ne trouva point d'acteur assez hardi pour jouer le rôle de Cléon, ni même d'ouvrier qui voulût dessiner le masque de cet homme redoutable; il joua lui-même ce rôle, après s'être barbouillé la figure d'une manière burlesque.

La pièce finissait, d'ailleurs, d'une manière flatteuse pour les Athéniens. Le bon vieillard Démos, délivré des charlatans qui

l'obsédaient, est rajeuni par un miracle, et conduit en triomphe sur la place publique dite le Pnyx, et le choeur rappelle des idées dignes des héros de Marathon.

AGORACRITE. « Faites un religieux silence; que les bouches soient closes, et les auditions de témoin suspendues; que les tribunaux, délices de cette cité, soient fermés; en réjouissance de nos prospérités nouvelles, que le théâtre retentisse de l'hymne du Poean.

LE CHOEUR. O toi, flambeau d'Athènes et sauveur de nos îles, quelle prospérité nouvelle doit faire fumer sur nos places l'odeur des sacrifices?

AGORACRITE. « J'ai régénéré 1 le Peuple, et lui ai rendu sa beauté.

LE CHOEUR. Où est-il maintenant, dis-nous, auteur de cette merveilleuse métamorphose?

AGORACRITE. Il habite l'antique Athènes, couronnée de vio

lettes.

LE CHOEUR. « Qu'est-il devenu? Comment le voir ? Quelle est sa tournure?

AGORACRITE. « Il est tel qu'il fut autrefois, du temps d'Aristide et de Miltiade. Il va paraître; voilà les portes qui s'ouvrent. Saluez de vos acclamations joyeuses l'apparition de l'antique Athènes, cette ville admirable et célèbre, habitée par un peuple illustre.

LE CHOEUR. «Belle et brillante Athènes, au front couronné de violettes, montre-nous le maître de ce pays et de la Grèce entière.

AGORACRITE. Le voilà, avec la cigale 2 qui orne sa chevelure, dans tout l'éclat de son antique costume, et parfumé de myrrhe; ami de la paix et dégouté des procès.

LE CHOEUR. Salut, roi des Grecs; reçois nos félicitations; ton sort est digne de cette cité, et des trophées de Marathon.

Mot à mot, recoxi. Double allusion au métier de charcutier, ou à la fable de Médée et d'Eson.

2 Thucydide dit que les Athéniens nouaient leurs cheveux avec des cigales d'or. Elles représentaient leur qualité d'habitants autochthones, ou celle de bons musiciens, ou enfin celle d'initier aux mystères. C'était un symbole à triple sens.

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PEUPLE. O le plus chéri des hommes, approche, Agoracrite! Quel service tu m'as rendu par cette métamorphose!

AGORACRITE. Moi? Mais, pauvre homme, tu ne sais pas ce que tu étais alors, et ce que tu faisais; car tu me croirais un Dieu.

PEUPLE. Que faisais-je donc ? comment étais-je ? dis. moi.

AGORACRITE. ‹ D'abord lorsqu'un orateur, dans l'assemblée, se mettait à dire : 0 Peuple! Je suis ton ami, seul je t'aime, seul je veille sur tes intérêts....! à ce début tu te redressais, tu te pavanais.

PEUPLE.
AGORACRITE.

Moi?

Et puis il s'en allait après t'avoir dupé. PEUPLE. Que dis-tu? on me jouait ainsi, et je ne m'en apercevais pas ?

AGORACRITE. « Tes oreilles s'ouvraient ou se fermaient tour à tour, comme un parasol.

PEUPLE. Comment, j'étais devenu si imbécile et si radoteur?

AGORACRITE. Il y a plus si deux orateurs prenaient la parole, l'un pour l'équipement d'une flotte, l'autre pour le salaire des juges, celui qui parlait pour le salaire avait l'avantage sur l'orateur de la flotte. Eh bien, tu baisses la tête? tu changes de place?

PEUPLE. « Je rougis de mes fautes passées.

AGORACRITE. Ne t'afflige pas. La faute n'en est pas à toi, mais à ceux qui te trompaient. Traduction de M. Artaud.

LES NUÉES.

Cette pièce est surtout célèbre parce que le nom de Socrate s'y trouve mêlé.

Brumoi, Schlegel, Lessing et d'autres pensent qu'elle n'eut aucune influence sur la condamnation de ce philosophe. Ils se fondent sur ce qu'il s'écoula vingt quatre ans entre la représentation des Nuées et le procès de Socrate, et que les juges qui le condamnèrent à boire la cigüe, furent aussi les persécuteurs

d'Aristophane. Cependant Elien et Diogène Laërce assurent qu'Anytus et Mélitus, ces deux implacables ennemis de Socrate, avaient corrompu le poète à prix d'argent, et l'on doit ajouter que leurs accusations furent précisément les mêmes que celles qu'Aristophane intenta, dans les Nuées, à Socrate, d'être le corrupteur de la jeunesse, et de mépriser, de nier les dieux du peuple.

Quelle que soit l'opinion que l'on admette', il est juste de dire que l'esprit de coterie ne fut pas pour peu de chose dans l'attaque d'Aristophane. Deux partis littéraires rivalisaient à Athènes: l'un était composé de philosophes qu'on appelait alors sophistes, et des poètes tragiques; les poètes comiques formaient l'autre. Aristophane, qui précédemment avait attaqué dans Euripide les poètes tragiques, dirigea les Nuées contre les sophistes. Socrate, qui déjà jouissait d'une certaine réputation, mais qui ne s'était pas encore prononcé contre les sophistes, fut choisi par Aristophane comme représentant de cette classe d'hommes. Toutefois une foule de bons mots et de railleries qui se trouvent dans les Nuées n'ont aucun rapport avec la doctrine ni avec les mœurs de Socrate; aussi ce philosophe ne craignit-il pas d'assister à la représentation des Nuées, bien persuadé que la comparaison ne lui serait pas préjudiciable.

La pièce a reçu sa dénomination de ce que les scènes les plus importantes se passent au milieu des nuages: Le choeur est formé d'acteurs, imitant, par leurs vêtements aériens, ces nuées mobiles qui flottent au-dessus de notre horison. Socrate est représenté se perdant dans les nues, au milieu de subtiles argumentations, et conférant avec les divinités tutélaires des sophistes, des devins, des médecins et des poètes tragiques. Cependant toute la pièce ne se passe pas dans les régions de l'air.

On voit d'abord un des principaux personnages, Strepsiade, dans sa chambre à coucher. Strepsiade, citoyen d'Athènes, ruiné par un fils libertin qui dépense tout, accablé de dettes et pressé par ses créanciers, rêve aux moyens de s'en débarrasser. Il n'en trouve pas de meilleur que d'aller consulter

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