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cellent Euripide, donne-moi seulement une petite marmite dont e fond soit garni d'une éponge 1.

EURIPIDE. Tu vas m'enlever toute une tragédie 2. Tiens, et

pars.

DICÉOPOLIS. Je m'en vais. Mais que fais-je? il me manque une chose; et si je ne l'ai pas, je suis perdu. Un mot encore, excellent Euripide! et puis après, je pars pour ne plus revenir. Je voudrais quelques feuilles de légume dans mon panier.

EURIPIDE. ‹ Tu me ruines: tiens donc, voilà mes pièces réduites à rien.

DICÉOPOLIS. « C'est tout, je me retire. C'est être trop importun: « Je me ferais haïr des rois 3. Ah! malheureux, je suis perdu! J'ai oublié justement ce qu'il y a de plus important pour moi. Mon cher petit Euripide, mon bon ami, que je meure si je te demande encore autre chose après celle-là, celle-là seule : donne-moi un peu de ce scandix que vendait ta mère.

EURIPIDE.« Il fait l'insolent fermez la porte sur lui.>

Les louanges du poète, des reproches adressés aux Athéniens sur l'injustice de leurs jugements, font le sujet de la parabase. Ce sont des vieillards Acharniens qui composent le chœur.

Depuis que notre poète, disent-ils, préside à nos choeurs comiques, on ne l'a pas encore vu se présenter aux spectateurs, pour faire son éloge. Mais aujourd'hui que ses ennemis le calomnient auprès des volages Athéniens, et l'accusent de jouer la république et d'insulter le peuple, il faut qu'il se justifie devant vous, inconstants Athéniens. Il prétend donc vous rendre de grands services, en vous avertissant de ne pas vous laisser décevoir par les discours des étrangers, ni séduire par la flatterie, ni suivre une politique de gobe-mouches 4. Autrefois les députés des villes, lorsqu'ils voulaient vous tromper,

• Quelques commentateurs prétendent qu'il demande cette marmite pour s'en servir en guise de casque. Ce serait le modèle de l'armet de Mambrain. On garnissait le fond des casques avec des éponges ou de la laine, pour amortir les coups. D'autres pensent qu'il ne s'agit que d'ustensiles usés, dont on bouchait les trous et les fentes avec des éponges.

Critique piquante des moyens employés par Euripide, pour amener le pathétique.
Parodie du Télèphe.

• Dans les Chevaliers, v. 1263, il appelle Athènes, une ville de gobe-mouches ou de badauds.

commençaient par vous appeler couronnés de violettes, et aussitôt, à ce mot de couronnes, vous vous redressiez sur vos siéges. Qu'un autre d'un ton flatteur vînt dire: «La brillante Athènes, il obtenait tout, pour vous avoir ainsi assaisonnés comme des anchois. En vous détrompant, le poète a donc bien mérité de vous, ainsi qu'en enseignant aux villes alliées le régime démocratique. Aussi ces peuples, en vous apportant leurs tributs, seront curieux de voir le poète courageux qui n'a pas craint de dire la vérité aux Athéniens. Et même le bruit de sa hardiesse s'est déjà répandu si loin, que le grand roi, questionnant un jour les députés de Lacédémone, après leur avoir demandé quel était le peuple le plus puissant sur mer, les interrogea ensuite sur le poète, et voulut savoir sur qui tombaient ses traits mordants; et il ajouta: Que la nation qui suivrait ses conseils l'emporterait sur ses rivales, et serait victorieuse dans les combats. > Aussi les Lacédémoniens, en vous proposant la paix, redemandent Egine; non qu'ils se soucient beaucoup de cette île, mais pour dépouiller ce poète : mais vous, ne l'abandonnez point. Il défendra toujours la justice dans ses comédies: il vous apprendra à être heureux; non en vous cajolant, non par des souplesses et des intrigues, non par la fraude et des adulations excessives, mais par des avis salutaires.

» Que Cléon ourdisse contre moi toutes ses trames, l'honnêteté et la justice seront de mon côté ; et jamais en moi la république ne trouvera, comme en lui, un lâche et un vil prostitué.

» Viens ici, muse Acharnienne, qui as l'ardeur et l'éclat du feu. Semblable à l'étincelle qui s'échappe de l'yeuse embrasée1, excitée par un souffle favorable, quand on y grille de petits poissons, tandis que les uns préparent la saumure fraîche de Thasos, et que les autres pétrissent la farine; viens, dans ton essor impétueux, prêter à un concitoyen ta rude et sauvage harmonie.

› Nous autres vieillards, nous venons accuser cette ville. Au lieu de recevoir, sur la fin de nos jours, le digne prix des services que nous avons rendus à vos flottes, nous éprouvons les

• Comparaison bien appropriée à des hommes dont le métier était de faire du charbon.

traitements les plus durs impliqués dans des procès, malgré notre grand âge, vous nous abandonnez aux railleries de jeunes orateurs; nous ne sommes plus rien; usés, affaiblis, il ne nous reste qu'un bâton, au lieu de l'appui de Neptune. Debout, à la tribune, osant à peine balbutier quelques mots, nous ne voyons de la justice que son ombre: tandis que l'avocat qui désire que les jeunes gens le prennent pour conseil, se hâte d'accabler l'accusé sous un déluge de brèves paroles. Il le prend ensuite à partie, il lui adresse des questions insidieuses; il tourmente, il vexe, il harcèle le vieux Tithon. Le vieillard serre les lèvres, se retire chargé d'une amende, sanglotte, pleure, et dit à ses amis: Ce qui devait payer mon cercueil, il faut que je le donne pour payer l'amende. ›

› Est-il juste de juger ainsi, en consultant le clepsydre 1, un vieillard blanchi par les années, qui partagea avec ses compagnons les plus rudes fatigues, qui maintes fois, pour la défense publique, se couvrit d'une sueur honorable, et combattit bravement à Marathon, pour la république? A Marathon nous poursuivions l'ennemi; aujourd'hui des méchants nous poursuivent et nous condamnent. A de tels faits que répondrait Marpsias 2.

> Est-il juste, en effet, qu'un homme courbé sous le poids des ans, tel que Thucydide, succombe dans ses démêlés avec Céphisodème 3, cet avocat bavard, ce rejeton des déserts de la Scythie? Mon cœur s'est ému, mes larmes ont coulé à la vue de ce vieillard traîné par un archer, de Thucydide qui, j'en jure par Cérès, dans la force de son âge, n'eut pas aisément souffert que Cérès même l'insultât. Il eût terrassé dix Evathlus, épouvanté de ses cris trois mille archers, percé de ses flèches toute la lignée de l'archer. Puis donc que la vieillesse ne peut obtenir de vous le repos, ordonnez, par un décret, que les

On fixait le nombre des clepsydres, pendant lesquelles l'accusateur et l'accusé auraient le droit de se parler.

2 C'était un déclamateur de ce temps-là.

3 Céphisodème était un orateur athénien; mais un de ses ancêtres avait épousé une femme de Scythie. Le poète lui reproche cette origine. Il continue la même allusion un peu plus bas, en parlant des archers. On sait que les archers, qui formaient la garde de police d'Athènes, étiaent composés de Scythes.

causes soient divisées; que le vieillard plaide avec le vieillard; le jeune homme débauché et bavard, avec le fils de Clinias. Sans doute, il faut poursuivre les méchants; mais que, dans tout procès, le vieillard ne soit condamné que par un vieillard, le jeune homme par un jeune homme.» Traduction de M. Artaud. Il faut convenir que la parabase est contraire à l'essence de de toute fiction dramatique, puisque la loi générale du genre est d'abord que l'auteur disparaisse pour ne laisser voir que ses personnages, et ensuite que ceux-ci agissent et parlent entre eux, sans faire aucune attention aux spectateurs. Certainement, toute impression tragique serait détruite par de semblables infractions aux règles de la scène; mais les interruptions, les incidents épisodiques, les mélanges bizarres de toute espèce, sont accueillis avec plaisir par la gaieté. Quand l'esprit est disposé à l'enjouement, il est toujours bien aise d'échapper à la chose dont on l'occupe, et toute attention suivie lui paraît une gêne et un travail... Cette espèce d'intermède (la parabase) était conforme à l'esprit de l'ancienne comédie, où non-seulement l'objet de la fiction, mais la composition tout entière, n'était qu'un pur badinage. Cette puissance illimitée de la gaieté se manifestait par l'impossibilité de prendre rien au sérieux, pas même la forme dramatique; l'on trouvait du plaisir à se soustraire un instant aux lois de la scène, à peu près comme dans un déguisement burlesque, on s'amuse quelquefois à lever le masque. C'est encore ainsi que, de nos jours, l'usage des allusions et des mines adressées au parterre ne s'est jamais tout à fait aboli dans la comédie, et que les acteurs obtiennent quelquefois par là de grands applaudissements. W. Schlegel, Cours de littérature dramatique.

LES CHEVALIERS.

Les chevaliers furent représentés l'an 425, avant Jésus-Christ. Solon avait divisé les citoyens en quatre ordres; le second était celui des Chevaliers. Cette classe se composait en général de propriétaires, et par conséquent des personnages les plus in

téressés aux projets des démagogues. Le choeur de la pièce est formé de Chevaliers.

Deux jongleurs politiques, un corroyeur paphlagonien et un charcutier, se disputent, pendant le siége de Sphactérie, la faveur d'un vieillard imbécile, nommé Démos. Le mot Démos en grec signifie peuple: ainsi la masse de la nation était ellemême personnifiée et travestie de la manière la plus injurieuse. Le charcutier et le corroyeur représentaient deux orateurs populaires; mais c'est principalement sur le dernier que pleuvent les traits de la satire. L'auteur y désignait ouvertement Cléon, démagogue ignorant, inepte et turbulent, que le peuple, ennuyé de la longueur du siége de Sphactérie, avait mis, par dérision, à la tête de l'armée. Le sobriquet de Paphlagonien indiquait un accent particulier à Cléon. Le charcutier, le rival de Cléon, nommé Agoracrite, et auquel on parvient à faire croire que la nature l'a doué de tous les talents nécessaires pour gouverner l'Etat, a pour principaux adhérents deux autres généraux, Démosthène et Nicias, qui paraissent dans la pièce sous leur nom véritable, mais vêtus en esclaves, afin de montrer leur asservissement.

On concevrait difficilement de pareilles personnalités, si l'on ne réfléchissait qu'à cette époque, Athènes était divisée en deux factions: l'une qui voulait continuer contre les Lacédémoniens une guerre malheureuse; et l'autre qui désirait ardemment la paix. Aristophane servait ce dernier parti de tout son pouvoir. Les pièces de théâtre n'étaient pas alors soumises à une censure préalable. Pourvu que l'auteur eût parmi les spectateurs un parti puissant, il ne courait point de dangers, et nous avons vu qu'Aristophane avait mis sa pièce sous la protection des Chevaliers.

Cependant Aristophane ne trouva point d'acteur assez hardi pour jouer le rôle de Cléon, ni même d'ouvrier qui voulût dessiner le masque de cet homme redoutable; il joua lui-même ce rôle, après s'être barbouillé la figure d'une manière burlesque.

La pièce finissait, d'ailleurs, d'une manière flatteuse pour les Athéniens. Le bon vieillard Démos, délivré des charlatans qui

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