Page images
PDF
EPUB

LE CHOEUR,

› Le vin est dangereux, c'est un terrible lutteur.

LE CYCLOPE.

› Au nom des dieux, ont-ils échappé, ou sont-ils encore dans l'antre?

LE CHOEUR.

lls se tiennent en silence là, à l'abri du rocher.

[blocks in formation]

» Contre le rocher même: les tiens-tu ? 1

LE CYCLOPE.

. Ah! malheur sur malheur ! Je me suis brisé la tête.

LE CHOEUR.

› Les voilà qui t'échappent.

LE CYCLOPE.

› Ce n'était donc pas là qu'ils étaient, comme tu me le disais?

[blocks in formation]

<< Hélas! on se moque de moi. Vous me raillez dans mon malheur.

LE CHOEUR.

Non, plus à présent; mais le voici devant toi.

LE CYCLOPE.

› Oh! scélérat!... où es-tu?

ULYSSE.

Loin de toi Ulysse se tient sur ses gardes.

LE CYCLOPE.

Qu'as-tu dit? Tu as changé de nom, et tu en as dit un

nouveau.

1 On voit que c'est une malice du chœur, qui dirige Polyphème de manière à le faire heurter contre le roc.

ULYSSE.

› Le nom que mon père m'a donné, Ulysse. C'était moi qui devais te punir de la pâture impie dont tu te nourris. Vainement je me glorifierais d'avoir livré Troie aux flammes, si je n'eusse vengé le meurtre de mes compagnons.

LE CYCLOPE.

› Hélas! hélas! l'antique oracle s'accomplit. Il m'avait annoncé que je serais privé de la vue par toi, à ton retour de Troie. Mais il annonçait en même temps que je serais vengé de toi, et que tu errerais longtemps sur les mers.

ULYSSE.

› Pleure, gémis; je t'en ai donné assez de sujets. Pour moi, je vais au rivage, et je dirige mon vaisseau vers la mer de Sicile et vers ma patrie.

LE CYCLOPE.

› Non, certes; avec ce quartier de roc je t'écraserai toi et tes matelots. Je vais monter sur la hauteur, tout aveugle que je suis, et traverser, pour t'atteindre, cette grotte ouverte des deux côtés.

LE CHOEUR.

› Pour nous, après avoir partagé la navigation d'Ulysse, nous nous consacrerons de nouveau au service de Bacchus. Traduction de M. Artaud.

RÉFLEXIONS.

Un ancien, Démétrius de Phalère, appelait le drame satyrique la tragédie en belle humeur. Horace le compare à une dame romaine qui prend part modestement à la danse sacrée dans un jour de fête, se mêlant, la rougeur sur le front, à la compagnie folâtre des Satyres:

Effutire leves indigna tragedia versus,

Ut festis matrona moveri jussa diebus

Intererit Satyris paulum pudibunda protervis.

Epis. ad Pis. V. 231.

Mais cette dignité, cette pudeur de Melpomène étaient mises, dans le drame satyrique des Grecs, à de rudes épreuves; elles ne s'en retiraient pas aussi intactes qu'Horace semble le pré

tendre. La muse s'y prêtait à des jeux dignes de la comédie d'Aristophane, où, comme nous le dirons bientôt, rien n'était interdit; rien, la saleté, l'obsénité mêmes. Plusieurs passages du Cyclope sont d'une telle indécence que les traducteurs ne peuvent les rendre en français; ces passages donnent la preuve de l'étrange gaieté qui était permise dans ces saturnales dramatiques; ils donnent aussi l'idée que l'on doit se faire des Grecs au point de vue de la moralité.

COMÉDIE SICILIENNE.

La Sicile avait, à l'époque qui nous occupe, un drame d'une espèce particulière, intermédiaire entre le drame satyrique et la comédie attique. C'est ce qu'on appelle la Comédie Sicilienne.

Epicharme de Cos, qui fut élevé dans cette île et qui professa la philosophie de Pythagore à la cour d'Hiéron Ier, en est regardé comme le créateur. Les fragments qui nous en restent ne suffisent pas pour nous donner une idée de ce genre, où la poésie bucolique paraît être entrée pour quelque chose. Les pièces dont les sujets étaient mythiques, étaient soumises aux règles de la tragédie. D'autres entremêlaient aux plaisanteries quelques parties de la doctrine pythagoricienne. Selon Horace, Plaute se forma sur Epicharme :

Dicitur.

Plautus ad exemplar properasse Epicharmi.

(. 11, Ep, 1, 58.)

Phormis de Syracuse, précepteur des enfants de Gélon, travailla dans le même genre qu'Epicharme, dont il était contemporain.

CHAPITRE NEUVIÈME.

DE LA COMÉDIE ANCIENNE.

Origine de la comédie grecque.

tinus. Eupolis. Phérécrate.

[merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors]

biographiques sur ce poète. Caractère de ses comédies. Acharniens. Les Chevaliers.

[ocr errors]

Les Nuées. Les Guêpes.

Les

La

Paix. Les Oiseaux. Les Femmes célébrant la fête de Cérès. - Lysistrate.

Les Grenouilles. Les Harangueuses.—Plutus. - Réflexions

sur les comédies d'Aristophane.

Des succès fortunés du spectacle tragique,

Dans Athènes naquit la comédie antique.

Là, le Grec, né moqueur, par mille jeux plaisants,
Distilla le venin de ses traits médisants.

Aux accès insolents d'une boufonne joie,

La sagesse, l'esprit, l'honneur furent en proie;
On vit par le public un poète avoué
S'enrichir aux dépens du mérite joué;

Et Socrate par lui, dans un chœur de nuées,
D'un vil amas de peuple attirer les huées;
Enfin de la licence on arrêta le cours :

Le magistrat, des lois emprunta le secours;
Et, rendant par édit les poètes plus sages,
Défendit de marquer les noms et les visages,
(BOILEAU, Art Poétique.)

La comédie et la tragédie des littératures modernes ont entre elles une si grande analogie, qu'on les regarde avec raison comme deux espèces du même genre. On est tenté en conséquence de leur supposer aussi une même origine chez les anciens. Il n'en est pourtant pas ainsi. La tragédie doit sa naissance aux chœurs dithyrambiques, par lesquels les villes de la

Grèce célébraient la fête de Bacchus. La comédie, au contraire, est une production de la campagne : plusieurs villages ou bourgs de l'Attique se réunissaient pour chanter les choeurs phalliques, dans lesquels régnait la licence la plus effrénée. Les acteurs, traînés sur des chariots, se rendaient d'un village à l'autre ; à chaque station leur nombre s'accroissait, et ils parcouraient la campagne jusqu'à ce que l'excès de la joie les forcât à chercher le repos. Le nom de comédie indique cette origine, il vient d'un mot grec qui signifie canton. Les deux genres de drames suivirent, dans leurs progrès, une marche différente. Ils restèrent longtemps étrangers l'un à l'autre, et ce ne fut que tard que la comédie adopta quelques-uns des perfectionnements que sa sœur aînée avait subis depuis longtemps. Par une révolution semblable à celle qu'éprouva la tragédie, le chœur, qui d'abord avait joué le principal rôle, perdit successivement de son importance primitive, et il arriva à la fin qu'on s'en passa tout à fait, et que la comédie parut sur la scène sans cet accompagnement; mais ce changement n'eut lieu que vers la fin de la période qui nous occupe.

Susarion de Mégare, ou, comme Thespis, du bourg d'Icarie, est celui qui, entre la cinquantième et la cinquante-quatrième Olympiade, accompagné d'un certain Dolon, parcourut les campagnes de l'Attique, et, monté sur un chariot qui lui tenait lieu de théâtre, amusait une population grossière dans ses parades burlesques. Il nous reste quatre vers de Susarion, que Suidas et Stobée nous ont conservés.

Avec Susarion, le grammairien Diomède nomme Mullus et Magnès, les plus anciens poètes comiques qui veteris disciplinæ joculatoria quædam minus scite et venuste pronunciabant. Magnès a fait neuf comédies et remporté deux prix.

Un certain Cratès, qui vécut au commencement du cinquième siècle, avant J.-C., perfectionna ce genre, comme fit à la même époque, mais en prenant une autre route, Epicharme en Sicile. Dès lors la tragédie ne fut plus la seule représentation théâtrale donnée aux fêtes de Bacchus; on lui associa le nouveau spectacle, la comédie.

La mythologie ne fournit que peu de sujets à cette espèce

« PreviousContinue »