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ULYSSE.

S'il te fait plaisir, qu'importe? Est-ce que la peau te le rend amer?

LE CYCLOPE.

>> Je n'aime pas l'outre; mais j'aime la liqueur qu'elle contient.

ULYSSE.

› Reste donc là, Cyclope, à boire et te réjouir.

LE CYCLOPE.

>> Ne faut-il pas que j'aille donner à mes frères un peu de cette liqueur?

ULYSSE.

› En la gardant pour toi seul, tu en seras plus honorable.

LE CYCLOPE.

>> En la partageant avec mes amis, je serai plus serviable.

ULYSSE.

» Les festins amènent des querelles et des coups.

LE CYCLOPE.

> En supposant que je m'énivre, personne n'osera me toucher.

ULYSSE.

› Mon cher, celui qui a bu doit rester chez lui.

LE CYCLOPE.

› Bien sot celui qui n'aime pas les festins quand il a bu.

ULYSSE.

› Celui qui reste à la maison quand il est ivre est sage.

LE CYCLOPE.

Que ferons-nous, Silène ? Es-tu d'avis de rester?

SILÈNE.

› C'est mon avis, Cyclope: qu'avons-nous besoin d'autres buveurs?

LE CYCLOPE.

› Ma foi, la terre est tapissée d'un gazon fleuri.

SILÈNE.

› Et quand le soleil est ardent, il est à propos de boire. Allons, assieds-toi, étends-toi par terre.

LE CYCLOPE.

› Voici : mais pourquoi mets-tu la coupe derrière moi?

SILÈNE.

De peur qu'on ne vienne la prendre.

LE CYCLOPE.

› C'est que tu veux boire à la dérobée; pose-la au milieu. Et toi, mon hôte, dis-moi ton nom, comment on t'appelle.

--

ULYSSE.

› Personne. Mais de quel bienfait aurai-je à te rendre grâce?

LE CYCLOPE.

› Je te mangerai le dernier de tous tes compagnons.

ULYSSE.

› C'est une rare faveur que tu accordes là à ton hôte, Cyclope.

LE CYCLOPE, à Sylène.

> Holà, que fais-tu là ? Tu bois mon vin en cachette.

SILÈNE.

> Non; c'est lui qui m'a baisé, parce qu'il me trouve beau.

LE CYCLOPE.

› Il t'en coûtera cher. C'est toi qui aimes le vin, qui ne t'aime

pas.

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SILÈNE.

» Non, par Jupiter; il prétend m'aimer parce que je suis beau.

LE CYCLOPE.

› Verse; donne-moi seulement la coupe pleine.

SILÈNE.

› Comment le mélange est-il fait? Voyons un peu.

LE CYCLOPE.

Tu me fais mourir; donne-le tel qu'il est.

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› Non, par Jupiter, pas avant que je ne t'aie vu te couronner 1, et que je ne l'aie goûté encore.

› Echanson maudit!

LE CYCLOPE.

SILÈNE.

› Oui, par Jupiter, le vin est doux. Il faut aussi que tu te mouches pour mieux boire.

LE CYCLOPE.

› Voilà qui est fait, mes lèvres et ma barbe sont propres.

SILÈNE.

› Range donc ton coude comme il faut, et ensuite bois, comme tu me vois faire,... et comme tu ne me vois plus 2.

LE CYCLOPE.

»> Hola, holà... que fais-tu ?

SILÈNE.

» J'ai avalé d'un trait fort agréablement.

Les anciens portaient des couronnes dans les festins, et lorsqu'ils buvaient, même seuls.

• M. Boissonade explique très-bien ce jeu de scène, qui consistait à avaler la coupe avec tant de rapidité, que l'intervalle qui séparait les deux hémistiches, fût à peine sensible.

LE CYCLOPE.

› Prends la coupe, mon hôte, et sois toi-même mon échan

son.

ULYSSE.

En effet, la vigne connaît ma main.

LE CYCLOPE.

› Allons, verse maintenant.

ULYSSE.

Je verse, seulement fais silence.

LE CYCLOPE.

› Tu demandes là une chose difficile à celui qui boit beaucoup.

ULYSSE.

› Prends et bois, et ne laisse rien.

LE CYCLOPE.

> Il faut mourir quand la coupe est vidée.

› Ah! la vigne est assurément un bois admirable!

ULYSSE.

› Si après tu bois beaucoup après avoir beaucoup mangé en arrosant ton estomac, même sans soif, tu tomberas dans un doux sommeil : mais si tu laisses quelque chose, Bacchus te séchera le gosier.

LE CYCLOPE.

» Oh! oh! j'ai eu grand'peine à m'échapper à la nage, et grâce au vin pur. Le ciel me paraît se confondre avec la terre. Je vois le trône de Jupiter et la troupe sacrée des dieux; les Grâces me font des coquetteries. >

Voici comment le poète peint la poltronnerie des Satyres qui composent le chœur.

ULYSSE.

>> Au nom des dieux, Satyres, faites silence, tenez-vous tranquilles, et n'ouvrez pas la bouche. Je vous défends de respirer, de cligner des yeux, de cracher, de peur d'éveiller le monstre avant que le feu ne soit venu à bout de l'œil du Cyclope.

LE CHOEUR.

› Nous faisons silence, et nous retenons notre haleine dans nos poitrines.

ULYSSE.

› Allons, prenez en main le tison, et entrez dans la caverne; il est suffisamment enflammé.

LE CHOEUR.

»Ne veux-tu pas régler ceux qui doivent les premiers s'armer de l'arbre en flammes et crever l'œil du Cyclope, afin d'avoir part à cette aventure?

DEMI-CHOEUR.

» Pour nous, nous sommes trop loin de la porte, pour atteindre son œil avec le tison enflammé.

DEMI-CHOEUR.

› Et nous tout à coup nous sommes devenus boiteux.

DEMI-CHOEUR.

» Il vous arrive donc la même chose qu'à moi; car tandis que je reste debout, mes pieds tout à coup entrent en convulsion sans que je sache pourquoi.

› Debout en convulsion?

ULYSSE.

DEMI-CHOEUR.

› Et nos yeux sont pleins de poussière et de cendre qui s'élèvent je ne sais d'où.

ULYSSE.

› Homme lâches, amis inutiles!

LE CHOEUR.

» C'est que nous avons pitié de notre dos et de nos épaules; je ne me soucie pas de voir sauter les dents de ma mâchoire: est-ce de la lâcheté? Mais je sais une chanson magique d'Orphée, assez puissante pour faire aller le tison de lui-même brûler l'oeil unique du géant, fils de la Terre.

ULYSSE.

» Dès longtemps je connaissais ton caractère: maintenant je le connais mieux encore. Il faut donc recourir à mes propres amis. Mais si ta main est impuissante, aide-nous de tes paroles, et que tes exhortations soutiennent le courage de mes amis.

LE CHOEUR.

> Je ferai ce que tu désires. Pour nous nous combattrons par des représentants. Puissent nos exhortations crever l'œil du Cyclope! >

(Ulysse rentre dans la caverne).

La fin de la pièce est très-intéressante.

LE CYCLOPE.

› Ah! malheureux! on m'a brûlé l'œil.

LE CHOEUR.

› Voilà un hymne magnifique : chante-le moi, Cyclope.

LE CYCLOPE.

» Ah! malheur à moi! comme ils m'ont outragé! en quel état ils m'ont mis! (Aux Grecs.) Mais n'espérez pas, misérables que vous êtes, vous échapper de cet antre; car je me tiendrai à l'entrée, et mes mains vous arrêteront au passage.

LE CHOEUR.

› Pourquoi pousses-tu ces cris, ô Cyclope?

Je suis mort.

LE CYCLOPE.

LE CHOEUR.

> Tu parais tout défiguré.

LE CYCLOPE,

» Et je suis encore plus malheureux!

LE CHOEUR.

>> Est-ce que dans l'ivresse, tu t'es laissé tomber au milieu du brasier? qui t'a traité ainsi?

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› Et comment le serais-tu, si personne ne t'a aveuglé?

LE CYCLOPE.

Tu te moques de moi. Mais où est-il, Personne?

Nulle part, Cyclope.

LE CHOEUR.

LE CYCLOPE..

C'est l'étranger, pour me faire bien comprendre, qui est l'auteur de ma ruine, ce scélérat qui m'a donné à boire pour triompher de moi.

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