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DE

LA POÉSIE

AVEC

DES JUGEMENTS CRITIQUES SUR LES PLUS CÉLÈBRES POÈTES

ET DES EXTRAITS NOMBREUX ET ÉTENDUS DE LEURS Chefs-d'oeuvre,

PAR

l'Abbé A. HENRY,

Chanoine honoraire de Saint-Dié, & Directeur de l'Institution de la Trinité à La Marche (Vosges).

Le beau est la splendeur du vrai.

PLATON.

POÉSIE GRECQUE.

TOME 2.

PARIS,

CHEZ JACQUES LECOFFRE, RUE DU VIEUX-COLOMBIER, No 29.

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DE

LA POÉSIE

GRECQUE.

SUITE DE LA TROISIÈME PÉRIODE.

(594-336 avant Jésus-Christ.)

PÉRIODE ATTIQUE.

CHAPITRE SEPTIÈME.

SUITE DE LA POÉSIE DRAMATIQUE.

Euripide marque un progrès et une décadence. Détails biographiques.-
Beautés et défauts des tragédies d'Euripide.
Médée. Les Phéniciennes. Hippolyte. - Alceste.

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Hécube. Oreste.

Andromaque.

Les Suppliantes. — Iphigénie en Aulide. Iphigénie en Tauride.

Les Troyennes. - Les Bacchantes.

Hélène. Ion.

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- Les Héraclides. Thésus. - Electre.

-

Quelques autres tra

Hercule furieux.
Observations sur la tragédie des Grecs.

Euripide.

Ce fut, pour ainsi dire, une nouvelle école, un nouveau genre de drame qui s'éleva sur la scène avec Euripide. Eschyle, nourri dans le tumulte guerrier de l'invasion persane, jeté, les armes à la main, au milieu de cette lutte où il s'agissait de la vie et de la liberté de la patrie, enflammé de cet enthousiasme que les grands évènements suscitent toujours dans les grandes âmes, ne respira que la guerre et le carnage. Sa poésie, née sous la tente, échappée de la bataille, semble bardée de

fer. On croit entendre retentir, dans ses vers, le chant de la trompette et le cri du combat; c'est le poète de Mars, c'est le héros de Salamine; il chante, il parle comme il a combattu.

Sophocle, né dans la joie de la victoire, dont l'enfance vit les trophées de sa patrie, dont la jeunesse, enivrée de gloire et de puissance, admira l'Asie tremblant au nom d'Athènes, au milieu des séductions, du luxe, de l'éclat d'une domination fondée par la victoire, homme d'Etat et général, Sophocle porta sur la scène cette majesté, cette dignité calme, apanage de la puissance et de la force triomphante. C'est le temps de la toutepuissance d'Athènes et de la Grèce; c'est le règne des arts et de la tragédie.

Euripide, plus jeune, n'a pas assisté aux fêtes de la délivrance; il n'a pas été saisi par cet inexprimable ravissement, par cette confiance en soi-même qui suit un succès inespéré; il n'a pas vu le moment du triomphe : il n'en a vu que l'abus. Il a vu l'arrogance, la tyrannie, les exactions des Athéniens changer peu à peu en haine la confiance des peuples qui furent leurs compagnons de gloire; il a vu l'insolence, la légèreté, l'injustice du peuple, la corruption et la fausseté des grands; il a vu les premiers signes précurseurs de cette tempête qui devait éclater par l'effroyable guerre du Péloponèse. Euripide est devenu philosophe. Il a porté sur la scène les vérités, les sentences, les déclamations de l'école. La tragédie, de prophétesse inspirée et guerrière, de reine majestueuse et révérée, s'est faite philosophe et réformatrice. Elle met sous les yeux des spectateurs les fautes et les vices honteux de l'humanité.

Voilà la nouvelle et dernière transformation de la muse tragique que nous allons étudier dans Euripide. C'était un progrès; c'était aussi une décadence. Dans Eschyle, la forme était encore rude et grossière, mais la pensée, sublime : dans Euripide, la forme est harmonieuse et polie, mais la pensée énervée et souvent corruptrice. Sophocle a marqué la transition des deux genres. C'est l'instant heureux de la perfection de l'art; il a encore toute la puissance de la pensée originelle, et possède déjà toutes les ressources de l'expression. Il est aussi éloigné de l'enfance de l'art que de sa décadence.

Mais on ne peut nier qu'Euripide n'ait hâté cette décadence. Plus naturel et plus tendre, plus habile à faire naître l'intérêt, à émouvoir les passions que ses deux rivaux, il eut comme poète, comme homme, un incontestable mérite; mais comme chef d'école, son influence fut pernicieuse. Entre ses mains, la pureté primitive de l'art fut altérée. En peignant tant de héros dégradés par l'adversité, tant de scènes de honte, de scandale et de forfaits, il sut encore instruire; car son but était philanthropique et moral. Après lui la foule des poètes se précipita dans cette route qu'il avait ouverte, route semée de succès faciles; le but philosophique qu'Euripide avait voulu atteindre fut bientôt oublié dans les œuvres immorales qui se précipitèrent à sa suite. La tragédie ne spécula plus que sur les émotions sensuelles, et le peuple, déjà dégradé et voisin de la corruption, se laissait entraîner par ces tableaux dangereux, ou lui-même courait au-devant de la coupe empoisonnée qui lui était offerte.

Il faut le dire avec franchise: c'est au charme même de ces tableaux, au talent avec lequel Euripide savait les colorer, qu'on doit attribuer la décadence des mœurs athéniennes. Le théâtre, devenu l'école des passions, au lieu d'être celle des vertus courageuses et patriotiques, ouvrit une porte par laquelle se glissèrent le mépris et la dérision des choses pures et saintes, l'oubli de la Divinité et de la patrie.

Euripide naquit à Salamine. C'était au moment de la grande invasion de Xerxès en Europe. Les Athéniens avaient abandonné leur ville pour se réfugier sur leurs vaisseaux. Les vieillards et les femmes avaient trouvé dans Salamine un abri hospitalier. C'est là que l'athénienne Clito donna le jour à Euripide, tandis que son époux Mnésarque combattait pour le salut de la patrie. M. Fabre d'Olivet, Etudes littéraires et philosophiques.

Euripide fut l'élève d'Anaxagore et de Prodicus, les deux plus habiles maîtres qu'Athènes possédât à cette époque en philosophie et en éloquence, et l'ami de Socrate qui était plus jeune que lui de quelques années. Dans sa première jeunesse, il s'était beaucoup exercé aux arts gymnastiques, par lesquels on plaisait alors à la multitude. Il quitta bientôt cette carrière,

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