histoire de la poesie

Mais la difficulté n'est pas résolue, car cette explication rencontre un obstacle dans les autres passages où il est dit que Jupiter deviendra lui-même l'artisan de sa défaite, en faisant naître de la femme un fils plus fort que son père; paroles qui ne peuvent s'entendre que du vrai Dieu, mais qui alors combattent ce que nous venons de dire, si on veut y voir une relation avec la tradition mosaïque et chrétienne.

A cela on peut répondre que la mythologie grecque est un véritable chaos d'incohérences et de contradictions, où les vérités les plus opposées et les plus disparates se trouvent accolées ensembles; et la fable même n'est autre chose qu'une confusion apportée dans la vérité primitive. Ici cette confusion,. quelque choquante qu'elle soit, peut s'expliquer encore; car Jupiter était tour à tour envisagé dans la fable comme l'usurpateur du ciel et comme la Divinité par essence, et on a pu fort bien, dès lors, confondre ces deux caractères et les lui rapporter tout à la fois. Il n'était usurpateur qu'originairement et par rapport à Dieu ou à Saturne; mais, devenu par son usurpation même le Dieu ou plus tôt le tyran de l'espèce humaine, on. conçoit, dans le désordre des imaginations, l'équivoque qui a pu, tout en lui retenant le caractère et le sort qui regardent Satan, lui transporter quelques-uns des traits qui regardent la Divinité dont il avait pris la place ici-bas. Il est vrai ensuite de dire, dans un certain sens, que Dieu était devenu par le péché l'ennemi de l'homme, et que sa justice vengeresse a été désarmée, vaincue, ou pour mieux dire satisfaite par le Médiateur son Fils; et alors la fable de Prométhée se dégage de toutes ses obscurités et brille des traits de la vérité même, dans ce mot admirable où Prométhée appelle son libérateur :

CE CHER FILS D'UN PÈRE ENNEMI.

Quel est ce fils?

Suivant Hésiode, c'est Hercule. Sur quoi M. Alexis Pierron dit qu'il ne faut pas voir tant de mystère dans le personnage du libérateur, dont il est parlé dans la tragédie d'Eschyle. Mais on peut répondre qu'Hercule lui-même n'est qu'un personnage fabuleux et symbolique, dont le nom se donnait à tous les li

bérateurs (aussi en comptait-on jusqu'à trente-deux), et qui en était en quelque sorte synonyme; que dès lors le mystère contenu dans la fable n'en subsiste pas moins. Il n'importe qu'on appelle ce libérateur Hercule, ou Epaphus, ou Orus; ce n'est là qu'une question de nom qui laisse subsister la chose même, je veux dire le rôle du personnage. Or, c'est ce rôle qui nous frappe par son rapport avec celui du libérateur promis et attendu depuis l'origine du monde chez le peuple juif. La manière dont Hésiode rapporte la délivrance de Prométhée, n'affaiblit pas ce rapport: Le vaillant fils d'Alcmène aux pieds › charmants, dit-il, tua l'aigle qui rongeait le foie de Prométhée, et, repoussant un si cruel fléau loin du fils de Japet, › le délivra de ses tourments, non sans le consentement de › Jupiter, le puissant monarque de l'Olympe, qui voulut que la > gloire d'Hercule, né dans Thèbes, se répandît encore plus gloire d'Hercule, né dans Thèbes, se répandit encore plus › qu'auparavant sur la terre. Ce fut ainsi qu'il honora son il> lustre Fils; et, bien qu'irrité, il abjura le ressentiment qu'il » avait contre Prométhée, parce que celui-ci avait lutté de › sagesse contre le tout-puissant fils de Saturne. Qui ne voit le rapport qu'il y a entre ce personnage et ce Fils du Dieu vivant qui est appelé, en tant d'endroits de l'Ecriture sainte, le Sauveur qui doit être envoyé, dont l'empire s'étendra de plus en plus, et dont la grandeur éclatera jusqu'aux extrémités de la terre, à qui les nations ont été données en héritage, et devant qui les rois se tiendront en silence, etc.

Ainsi à ne voir même qu'Hercule dans le libérateur dont il est question, on lui trouverait encore des traits frappants de ressemblance avec le Sauveur chrétien.

Mais n'y a-t-il pas, dans la tragédie d'Eschyle, sur ce libérateur tant annoncé, des traits qui ne conviennent pas à l'Hercule de la fable, et qui se rapportent à une figure plus grande et plus mystérieuse?

M. Patin, dans ses savantes et judicieuces Etudes sur les tragiques grecs, sans s'occuper de sonder le sens de cette fable, a cru cependant devoir faire l'observation suivante : « Il ne faut › pas confondre, comme on l'a fait, avec Hercule, un autre

› personnage dont, pendant toute la pièce, par des expres› sions de plus en plus vives, et qui atteignent ici au plus haut › degré, non pas de clarté mais de force, Prométhée menace > Jupiter de se donner un Fils plus puissant que lui. >

Une forte preuve, en effet, que ce personnage est tout autre qu'Hercule, et en même temps que la fable de Prométhée n'est que la vérité de la Rédemption chrétienne, brouillée et confondue dans ses différents traits, c'est qu'à côté de l'oracle de Prométhée, qui représente le Libérateur comme un vainqueur désarmant un ennemi, se trouve l'oracle de Mercure, qui le représente comme un Dieu se faisant victime pour le péché de l'homme; morceau précieux, dans la tragédie d'Eschyle, qu'on n'a pas assez remarqué, et sur lequel on peut conclure hardiment que cette fable n'est qu'une reproduction altérée des antiques oracles de l'Esprit-Saint: TON SUPPLICE N'AURA DE TERME QUE LORSQU'UN DIEU S'OFFRIRA POUR SUCCÉDER A TES SOUFFRANCES, ET VOUDRA BIEN DESCENDRE POUR TOI DANS LES ENFERS. Substitution sublime de l'amour divin qui n'a pu venir des rêveries mythologiques où elle ne trouve qu'opposition, et dont la relation est visible avec tous ces passages des livres saints, où le Messie est représenté à l'état de victime volontaire, et où il est dit qu'il s'est lui-même chargé de nos langueurs ;... qu'il a été froissé par nos iniquités ;... que nous avons été guéris par ses souffrances, et que l'Eternel a fait venir sur lui l'iniquité de nous tous, enfin, QU'IL EST DESCENDU AUX ENFERS, et qu'il en est sorti glorieux.

C'est ainsi que le double caractère du Messie, tout à la fois triomphateur et victime, se retrouve dans le Prométhée enchainé, qu'on pourrait appeler l'attente du libérateur, et vient, avec les autres traits que nous avons révélés, démontrer aux yeux les plus prévenus que cette fable n'est qu'une fausse copie de la vérité qui forme le fondement de notre Religion, dont elle fait ressortir vivement l'antique et puissante réalité.

Ajoutons (ce qui n'est pas tout à fait à négliger) que de tous les débris de la mythologie qui nous sont parvenus sur la condition du Prométhée délivré, et qui ont été rassemblés par M. Patin, il résulte que ce grand coupable, réconcilié enfin

avec Jupiter par l'entremise du Fils de ce Dieu, était représenté dans la cour céleste portant, en signe de réhabilitation, une couronne d'olivier sur la tête, et, en souvenir de ses malheurs, un anneau de fer, un fragment du rocher du Caucase, et les stigmates de son supplice :

Extenuata gerens veteris vestigia pænæ.

Tableau touchant de la réhabilitation de l'humanité, qui repose doucement les yeux, et qui complète jusqu'au bout l'étonnant accord des destinées de l'homme, d'après le christianisme, avec les traditions et les espérances du genre humain.

FIN.