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se trouvant sur un vaisseau battu d'une horrible tempête, et au moment de faire naufrage, s'était fait attacher au mât du navire, et, tout occupé à dessiner le mouvement des vagues, leurs replis, leur écume, et les feux de la foudre, qui, à sillons redoublés, déchiraient le sein des nuages, ne cessait de crier : Ah! que cela est beau! tandis qu'autour de lui tout le monde frémissait d'un danger que lui seul ne voyait pas. Voilà l'enthousiasme.

Lorsque la sensibilité excitée par l'imagination a atteint le plus haut degré de l'émotion, lorsque l'intelligence, entraînée dans son essor, est montée pour ainsi dire avec elle à la hauteur de l'enthousiasme, cette exaltation de l'âme tout entière prend le nom d'inspiration. L'inspiration est l'état d'une âme qui s'élève au-dessus des intelligences vulgaires, et qui semble recueillir dans une sphère supérieure, et dans la communication de quelqu'être surnaturel, des idées, des images, des sentiments plus grands et plus purs que ne le sont ceux des hommes dans leur état ordinaire. L'inspiration est le caractère distinctif de la poésie envisagée dans toute sa hauteur, dans toute sa pureté.

Nous avons essayé d'expliquer ce qui constitue l'essence de la poésie. Le poète se reconnaît, non à une raison froide et positive qui aperçoit les rapports extérieurs des objets, mais à deux facultés spéciales, la sensibilité et l'imagination, qui, parvenues à un certain degré d'exaltation, produisent l'inspiration et l'enthousiasme. Toutefois, il ne faut pas s'attendre à les trouver au même degré dans tous les écrivains, dans tous les genres et dans tous les siècles. Il y a tel écrivain que l'on compte parmi les poètes, et qui s'est rarement élevé jusqu'à l'enthousiasme, Lamothe, par exemple. Il y a des genres qui, bien que rangés dans le domaine de la poésie, ne comportent pas l'enthousiasme. Tels sont l'épître, l'épigramme, le madrigal, et tous ces petits genres qui n'ont de la poésie que la forme.

Au reste, l'enthousiasme poétique, tel qu'il se produit dans notre littérature réfléchie et artificielle, n'est pas incompatible avec la raison. « L'enthousiasme raisonnable, dit Voltaire, est partage des grands poètes. Mais comment se fait cet accord merveilleux et rare? Le voici. La raison commence l'œuvre.

Elle trace d'avance à l'enthousiasme la lice où il devra se renfermer. Un poète dessine d'abord l'ordonnance de son tableau ; c'est la raison qui tient le crayon. Mais veut-il animer ses personnages et leur donner le caractère des passions? alors l'imagination s'échauffe, l'enthousiasme agit: c'est un coursier qui s'emporte dans la carrière; mais sa carrière est régulièremeut tracée. Le poète ressemble à un général d'armée, qui, après avoir médité avec sagesse le plan de la bataille, combat avec fureur.> Disons aussi que le poète, lorsque l'enthousiasme s'est calmé, examine de sang-froid son premier travail, le critique avec une juste sévérité, corrige les défauts, ajoute ou retranche selon qu'il est nécessaire, et n'oublie rien, en un mot, pour donner à son ouvrage la perfection dont il est susceptible. L'art et le génie doivent donc se réunir pour la production des chefs-d'œuvre. C'est la grande loi de l'esprit humain.

D'après ce que nous avons dit, il est facile de voir quels sont les sujets les plus poétiques; ce sont ceux qui sont les plus propres à mettre en jeu l'imagination et la sensibilité, et à produire l'enthousiasme et l'inspiration. Plus un objet réveille dans l'âme de souvenirs, d'espérances, de craintes, de pressentiments, en un mot, d'affections morales, plus il présente de mystère et de merveilleux à l'imagination, plus il est poétique. Le chant du rossignol, entendu la nuit, est poétique. Un tombeau l'est encore plus, parce que tous les mystères de notre destinée s'y rattachent, qu'il nous parle à la fois du passé et de l'avenir, du visible et de l'invisible, et qu'il est, comme l'a dit un grand écrivain, un monument placé sur la limite de deux mondes. Les ruines sont, par la même raison, éminemment poétiques. Un palais qu'on vient de construire, quelque beau, quelque magnifique qu'il soit, est moins propre à inspirer le poète, qu'un vieux château à demi écroulé, dont les tours crénelées, les ponts-levis, les portes sombres et les souterrains rappellent les scènes de la chevalerie, les tournois, les batailles, le courage des paladins, et les chansons des troubadours. Une nature déserte, muette, où l'homme n'a jamais passé, pourra inspirer le poète en lui parlant de la puissance du créateur et de l'immensité de l'univers; mais à coup sûr, les pays illustrés

par de grands événements antiques, qui ont vu passer sous leur ombre les flots des générations humaines, prêteront davantage à la poésie. Quel pays est plus poétique, par exemple, que cette Italie, où l'on ne peut faire un pas sans rencontrer une ruine ou un tombeau? que cette Espagne, si pleine de monuments et de traditions chevaleresques? Madame de Staël a dit quelque part, qu'elle ne pouvait prononcer sans attendrissement ces seuls mots : les orangers de Grenade, et les palais des rois Maures. C'est que ces mots donnent l'éveil à l'imagination, et présentent à notre pensée une foule d'images grandioses et de merveilleux souvenirs.

Ainsi, les sujets poétiques sont ceux qui présentent le plus de rapport avec notre vie morale. Dieu, la nature, l'âme, la religion, les monuments du passé, voilà les grands objets qui paraissent les plus propres à donner l'inspiration. — Il est évident aussi qu'il y a dans la vie des peuples des époques plus ou moins poétiques, selon que l'imagination et la sensibilité sont plus ou moins vives, plus ou moins ardentes, selon que les hommes sont plus ou moins disposés à l'enthousiasme. C'est dans le premier âge des sociétés, c'est auprès du berceau des peuples que la poésie fait entendre ses chants les plus sublimes. C'est que l'imagination qui produit la poésie, est la faculté dominante des peuples enfants, et qu'elle s'affaiblit et se décolore à mesure que la raison se perfectionne. Les nations sauvages, par suite de leur ignorance et de leur faiblesse, sont plus étonnées, plus émues des phénomènes de la nature, que les peuples civilisés. Dans les siècles où les arts opèrent des prodiges, où les sciences expliquent tout l'univers, l'homme, plein du sentiment de sa force, demeure froid et indifférent devant les plus imposantes merveilles de la nature. Le domaine de l'imagination se resserre, envahi par celui de la raison et des sciences. Il semble que la Providence ait voulu donner aux peuples enfants un dédommagement de la faiblesse de leur raison, en leur accordant des facultés non moins puissantes, non moins fécondes en jouissances. Il y a deux moyens d'arriver à la vérité le sentiment et le raisonnement. Le premier est celui des sociétés naissantes. Le second est celui des peuples civilisés.

Lequel des deux est le plus sûr? C'est une question qu'il est plus facile de trancher que de résoudre. Car, enfin, les peuples enfants, avec le seul instinct de leur conscience, se sont souvent élevés jusqu'aux plus hautes vérités de la morale, et les peuples civilisés avec toute leur raison, les ont souvent obscurcies. M. Pérrenès, Principes de littérature.

Remarquons surtout que la poésie servit, dans tous les temps, à célébrer l'honneur de la divinité; il y a dans la poésie un certain mouvement d'enthousiasme qui pousse l'homme vers le ciel; elle exprime admirablement l'amour et la reconnaissance; elle chante la gloire et la puissance, elle célèbre les merveilles; et Dieu dut se montrer toujours à elle comme le principal objet vers lequel pouvaient le mieux s'élancer ses inspirations. Aucun sujet ne l'eût plus heureusement enflammée; aussi même au travers des superstitions les plus populaires, sa voix se fit toujours entendre pour célébrer le créateur de l'univers. Les hymnes hébraïques sont surtout sublimes; le chant de Moïse, après le passage de la Mer-Rouge, est un chef-d'œuvre; les chants de David respirent une oction touchante; toute la Bible est un élan poétique d'adoration et de reconnaissance. Les autres langues anciennes, nous ont conservé moins fidèlement leurs hymnes pieux.

Le christianisme, avec ses idées si pures et si sublimes, a dû entretenir parmi ses poètes une inspiration plus merveilleuse. Ses chants sont remplis d'amour; ses mystères, en confondant la raison, portent le génie jusque dans les profondeurs des cieux; ses mouvements lyriques ravissent la pensée jusque dans l'éternité; il rend Dieu sensible aux fidèles; il leur découvre son infinité; il leur fait entendre les concerts des anges; il les étonne, il les éblouit, il prête sa pompe à sa poésie; il lui dévoile ses secrets, il lui donne ses espérances, il la remplit de ses terreurs; il la rend ainsi vivante et enflammée, et les esprits incultes, et les esprits sublimes reçoivent également ses profondes impressions. Son enthousiasme est universel, ses chants ravissent l'oreille du savant et transportent la foi de la multitude. Rien ne fut jamais semblable à la majesté du peuple chrétien assemblé dans ses temples, et célébrant dans une langue

inconnue des mystères plus inconnus; le triomphe de la poésie est de remplir toutes ces âmes des mêmes iuspirations, et de les faire monter à la fois jusqu'aux pieds du Très-Haut.

La poésie n'a pas toujours été employée à traiter des sujets si saints et si pieux. Souvent, au contraire, elle a été profanée par des sujets honteux, et elle a prêté sa voix aux passions abjectes et au délire de l'impiété; triste privilège de l'homme, de faire ainsi servir à des usages si contraires les dons qu'il a reçus du ciel! Et pourtant cette liberté fait sa gloire; car, que lui servirait de ne pouvoir user à son gré des richesses de son intelligence? Il les corrompt à la vérité par l'abus qu'il en fait; mais aussi c'est son honneur de rester fidèle à l'objet qui leur est propre; et il marque par là qu'il ne remplit pas en aveugle sa destinée, puisqu'il serait libre de s'en écarter.

Il faut pourtant considérer que la poésie que l'homme fait ainsi servir à des vices qui sont contraires à la sainteté primitive de son objet, perd sa beauté en perdant son caractère; elle cesse d'être vivante et animée, dès qu'elle s'attache à des sujets grossiers. L'enthousiasme ne naît pas du sein de la matière. La poésie, pour être sublime, a besoin d'être religieuse, et il n'y a qu'une nature remplie de Dieu qui puisse lui offrir des inspirations.

Il n'y a pas d'exemple d'une poésie athée. Un poète qui aurait le malheur de ne pas croire Dieu, se ferait bientôt un Dieu poétique, pour animer ses fictions. Aussi voyez le soin des poètes à mettre partout la divinité. Elle remplit les fables ingénieuses d'Homère; elle donne la vie aux actions de l'épopée et aux scènes de la tragédie; on la trouve dans les récits pieux du chantre d'Énée, et dans les touchantes peintures de Racine; et dans les merveilles du Tasse, et dans les inventions de la Henriade; dans les sujets antiques et dans les fictions modernes; bien qu'elle se modifie suivant le génie des poètes, pourtant elle est toujours présente sous des noms divers. Lucrèce, qui semble ne pas admettre de divinité, fait un Dieu de toute la nature; et pour répandre du charme dans son poème, il commence par invoquer Vénus, mère des dieux et des hommes. Lorsque la poésie des temps modernes a été incrédule, elle a invoqué les

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