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ment tissés, et le ramenèrent heureusement dans sa chère patrie. A peine a-t-il prononcé ces dernières paroles que le doux sommeil, qui délie les membres et chasse les soucis de l'âme, s'empare de lui. Traduction de M. Bareste.

Cette reconnaissance d'Ulysse et de Pénélope, dit M. de Châteaubriaud, est peut être une des plus belles compositions du génie antique. Pénélope assise en silence, Ulysse immobile au pied d'une colonne, la scène éclairée à la flamme du foyer: voilà d'abord un tableau tout fait pour un peintre, et où la grandeur égale la simplicité du dessin. Et comment se fera la reconnaissance? Par une circonstance rappelée du lit nuptial! C'est encore une autre merveille que ce lit fait de la main d'un roi sur le tronc d'un olivier, arbre de paix et de sagesse, digne d'être le fondement de cette couche qu'aucun autre homme qu'Ulysse n'a visitée. Les transports qui suivent la reconnaissance des deux époux; cette comparaison si touchante d'une veuve qui retrouve son époux, à un matelot qui découvre la terre au moment du naufrage; le couple conduit au flambeau dans son appartement; les plaisirs de l'amour, suivis des joies de la douleur ou de la confidence des peines passées; la double volupté du bonheur présent et du malheur en souvenir; le sommeil qui vient par degré fermer les yeux et la bouche d'Ulysse tandis qu'il raconte ses aventures à Pénélope attentive: ce sont autant de traits du grand maître; on ne les saurait trop admirer.

Il y aurait une étude intéressante à faire : ce serait de tâcher de découvrir comment un auteur moderne aurait rendu tel morceau des ouvrages d'un auteur ancien. Dans le tableau précédent, par exemple, on peut soupçonner que la scène, au lieu de se passer en action entre Ulysse et Pénélope, eût été racontée par le poète. Il n'aurait pas manqué de semer son récit de réflexions philosophiques, de vers frappants, de mots heureux. Au lieu de cette manière brillante et laborieuse, Homère vous présente deux époux qui se retrouvent après vingt ans d'absence, et qui, sans jeter de grands cris, ont l'air de s'être à peine quittés de la veille. Où est donc la beauté de la peinture? Dans la vérité.

Les modernes sont en général plus savants, plus délicats, plus déliés, souvent même plus intéressants dans leurs compositions que les anciens; mais ceux-ci sont plus simples, plus augustes, plus tragiques, plus abondants et surtout plus vrais que les modernes. Ils ont un goût plus sûr, une imagination plus noble : ils ne savent travailler que l'ensemble, et négligent les ornements; un berger qui se plaint, un vieillard qui raconte, un héros qui combat, voilà pour eux tout un poème, et l'on ne sait comment il arrive que ce poème, où il n'y a rien, est cependant mieux rempli que nos romans chargés d'incidents et de personnages. L'art d'écrire semble avoir suivi l'art de la peinture: la palette du poète moderne se couvre d'une variété infinie de teintes et de nuances; le poète antique compose ses tableaux avec les trois couleurs de Polygnote. Les latins, placés entre la Grèce et nous, tiennent à la fois des deux manières : à la Grèce, par la simplicité des fonds, à nous, par l'art des détails. Génie du Chistianisme.

MERVEILLEUX D'HOMÈRE.

Pour ce qui regarde le merveilleux, nous signalerons, d'un côté, les beautés les plus frappantes qui ont été fournies à Homère par la mythologie, de l'autre, les défauts qui résultent de l'usage qu'il en a fait dans plusieurs endroits de ses poèmes.

Rien n'égale, dit Rollin, la beauté de la description qu'Homère fait de la marche de Neptune. Ce dieu était dans l'île de Samothrace; ses armes aussi bien que son char étaient à Aigues, ville d'Eubée ou d'Achaïe. Il ne fait que quatre pas et il y arrive. Le dieu s'arme, attelle ses chevaux et part. Rien n'est plus léger que sa course il vole sur les flots. Les vers d'Homère en cet endroit courent plus vite que ce dieu même.

> Le puissant Neptune n'exerce point une vaine surveillance : il se tient assis sur les hautes montagnes de Samothrace, couvertes de forêts, contemple avec surprise cette scène de carnage et découvre l'Ida, la ville de Priam et les vaisseaux des Grecs. (Neptune, après être sorti du sein des mers, s'arrêta sur cette

montagne ; il prit pitié des Achéens accablés par les Troyens, et s'indigna contre Jupiter.)

› Soudain il descend du sommet escarpé de la montagne en marchant d'un pas rapide: le sol et les vastes forêts tremblent sous les pieds immortels de Neptune. Il fait trois pas, et au quatrième il atteint la ville d'Aigues, terme de sa course. (Dans les abîmes de l'Océan s'élèvent ses éternels palais d'or.) Neptune place sous le joug ses rapides coursiers aux pieds d'airain et à la crinière d'or; il se revêt lui-même d'or étincelant, saisit le fouet qui est aussi en or brillant et travaillé avec art; puis il entre dans son char et s'envole sur les ondes. Les monstres marins, en reconnaissant leur roi, sortent de leurs retraites, bondissent autour de lui, et la mer entrouvre ses flots avec allégresse. Le char, emporté par les coursiers vers les navires Achéens, vole si rapidement sur l'humide surface, que l'essieu d'airain n'est pas même mouillé.

Entre Ténédos et les âpres rochers d'Imbros, est une grotte immense, située dans les profondeurs de la mer : c'est en ces lieux que Neptune arrête ses coursiers; il les dételle du char, leur jette l'ambroisie, lie leurs pieds avec des chaînes d'or qu'on ne peut ni briser ni délier, afin qu'ils puissent attendre le retour de leur maître. Neptune s'avance alors vers le camp des Grecs.». Traduction de M. Bareste.

Boileau a traduit cet endroit dans sa version de Longin :

Il attelle son char, et montant fièrement,
Lui fait fendre les flots de l'humide élément.

Dès qu'on le voit marcher sur ces liquides plaines,.
D'aise on entend sauter les pesantes baleines.
L'eau frémit sous le dieu qui lui donne la loi,
Et semble avec plaisir reconnaître son roi.
Cependant le char vole, etc.

Ces vers certainement sont admirables: cependant il faut avouer qu'ils sont beaucoup au-dessous du grec pour le nombre et l'harmonie, dont notre poésie n'est pas aussi susceptible que celle des Grecs et des Latins, parce qu'elle n'a point, comme celle de ces deux peuples, la distinction des brèves et des longues, qui forment des pieds et varient agréablement la cadence.

Malgré ce défaut de notre langue, le poète français a bien su dans ce vers :

D'aise on entend sauter les pesantes baleines,

faire sentir l'agilité du saut, et la pesanteur du poisson monstrueux, deux choses tout à fait contraires, heureusement exprimées par le son des mots et par la cadence du vers qui s'éléve avec légèreté et s'abaisse pesamment.

La description du combat des dieux est une des plus magnifiques de celles qui se trouvent dans Homère. Les Grecs et les Troyens étant prêts à donner la bataille, Jupiter avait permis aux dieux de descendre du ciel, de se mêler dans le combat, et de prendre chacun le parti qu'ils voudraient. « Les dieux animés de sentiments divers, se dirigent vers le champ de bataille. La belle Junon, la fière Pallas et Neptune, qui entoure la terre de ses ondes, et le bienfaisant Mercure, doué de l'esprit de sagesse, se rendent près de la flotte. Toutes ces divinités sont suivies par Vulcain, qui, plein de confiance en sa force, s'avance en boitant et en agitant avec effort ses jambes frêles et tremblantes. Au milieu des Troyens, on voit Mars au casque étincelant, Phoebus à la longue chevelure, Diane qui se plaît à lancer des flèches, la blonde Latone, le Xanthe impétueux et Vénus au doux sourire.

>> Tant que les dieux étaient restés loin des mortels, les Grecs se glorifiaient avec orgueil parce qu'Achille reparaissait au milieu d'eux, lui qui depuis longtemps s'était abstenu de combattre. Quant aux Troyens, la terreur avait brisé leurs membres : ils tremblaient de peur depuis qu'ils avaient vu que l'impétueux fils de Pélée, couvert de ses armes étincelantes, ressemblait au farouche Mars. Mais dès que les habitants de l'Olympe se furent mêlés à la foule des mortels, le puissant dieu de la guerre se leva pour exciter le peuple à combattre. Minerve fit entendre sa voix elle se tenait tantôt debout sur les bords du fossé, et tantôt elle criait avec force sur les rivages retentissants. Mars, semblable à la sombre tempête, était de l'autre côté, et il faisait entendre sa voix sonore : il exhortait les Troyens, tantôt en se plaçant au sommet de la ville, tantôt en parcourant les. rives du Simoïs et les hauteurs du Callicolone.

:

› C'est ainsi que les dieux excitent l'ardeur des deux armées; ils se joignent aux combattants et font naître un terrible combat. Du haut des airs, le père des dieux et des hommes fait gronder sa foudre. Neptune agite la terre, les sommets élevés des montagnes, la cîme et les fondements de l'Ida, ainsi que la ville des Troyens et les vaisseaux des Grecs. Dans ses retraites profondes, Pluton, le dieu des enfers, frémit: il s'élance de son trône, l'âme remplie d'épouvante, et pousse des cris terribles; car il craint que Neptune n'entr'ouvre la terre, et ne montre aux hommes et aux dieux ces demeures ténébreuses et redoutables qui font horreur aux immortels eux-mêmes. Tel est le bruit qui s'élève au commencement du combat des dieux. Le brillant Apollon, armé de ses flèches ailées, s'avance contre le puissant Neptune. Minerve, aux yeux d'azur, marche contre le fougueux dieu de la guerre. La sœur de Phoebus, Diane, déesse bruyante, qui tient un arc d'or et se plaît à lancer des flèches, résiste à la belle Junon. Le sage et puissant Mercure s'oppose à la blonde Latone, et l'on voit s'élever contre Vulcain ce fleuve impétueux appelé Xanthe par les immortels, et Scamandre par les humains. Traduction de M. Bareste. Boileau a aussi traduit une partie de ce morceau : L'enfer s'émeut au bruit de Neptune en furie : Pluton sort de son trône, il pâlit, il s'écrie; Il a peur que ce dieu dans cet affreux séjour, de son trident ne fasse entrer le jour, le centre ouvert de la terre ébranlée,

D'un coup

Et, par

Ne fasse voir du Styx la rive désolée,

Ne découvre aux vivants cet empire odieux,.
Abhorré des mortels et craint même des dieux.

il

Ces vers sont très-beaux, mais beaucoup au-dessous du grec.. Nous n'en examinerons qu'un seul : Pluton sort de son trône, pálit, il s'écrie. Le mot sortir, qui conviendrait à Pluton, s'il descendait tranquillement de son trône, est ici froid et languissant. Ce dieu ne pálit qu'après être sorti de son trône. La pâleur vient-elle si lentement, et n'est-elle pas le premier et le plus prompt effet de la crainte? Le grec a bien une autre vivacité : Epouvanté, de son trône il s'élance et s'écrie.

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