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DE LEIBNIZ,

Nouvelle Edition,

COLLATIONNÉE SUR LES MEILLEURS TEXTES,
ET PRÉCÉDÉE D'UNE INTRODUCTION,

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ELOGE DE M. LEIBNIZ,

PAR

M. DE FONTENELLE.

Godefroi-Guillaume Leibniz naquit à Leipzig, en Saxe, le 23 juin 1649, de Frédéric Leibniz, professeur de morale et greffier de l'université de Leipzig, et de Catherine Schmuck, sa troisième femme, fille d'un docteur et professeur en droit. Paul Leibniz, son grand-oncle, avait été capitaine en Hongrie, et anobli pour ses services, en 1600, par l'empereur Rodolphe II, qui lui donna les armes que M. Leibniz portait.

Il perdit son père à l'âge de six ans, et sa mère, qui était une femme de mérite, eut soin de son éducation. Il ne marqua aucune inclination particulière pour un genre d'étude plutôt que pour un autre. Il se porta à tout avec une égale vivacité; et, comme son père lui avait laissé une assez ample bibliothèque de livres bien choisis, il entreprit, dès qu'il sut assez de latin et de grec, de les lire tous avec ordre, poëtes, orateurs, historiens, jurisconsultes, philosophes, mathématiciens, théologiens. Il sentit bientôt qu'il avait besoin de secours; il en alla chercher chez tous les habiles gens de son temps, et même, quand il le fallut, assez loin de Leipzig.

Cette lecture universelle et très-assidue, jointe à un grand génie naturel, le fit deviner tout ce qu'il avait lu : pareil en quelque sorte aux anciens qui avaient l'adresse de mener jusqu'à huit chevaux attelés de front, il mena de front toutes les sciences. Ainsi nous sommes obligés de le partager ici, et, pour parler philosophiquement, de le décomposer. De plusieurs Hercules l'anti

quité n'en a fait qu'un, et du seul M. Leibniz nous ferons plusieurs savants. Encore une raison qui nous détermine à ne pas suivre comme de coutume l'ordre chronologique, c'est que dans les mêmes années il paraissait de lui des écrits sur différentes matières; et ce mélange presque perpétuel, qui ne produisait nulle confusion dans ses idées, ces passages brusques et fréquents d'un sujet à un autre tout opposé, qui ne l'embarrassaient pas, mettraient de la confusion et de l'embarras dans cette histoire.

M. Leibniz avait du goût et du talent pour la poésie. Il savait les bons poëtes par cœur; et, dans sa vieillesse même, il aurait encore récité Virgile presque tout entier mot pour mot. Il avait une fois composé en un jour un ouvrage de trois cents vers latins, sans se permettre une seule élision; jeu d'esprit, mais jeu difficile. Lorsqu'en 1679 il perdit le duc Jean-Frédéric de Brunswick, son protecteur, il fit sur sa mort un poëme latin qui est son chefd'œuvre, et qui mérite d'être compté parmi les plus beaux d'entre les modernes. Il ne croyait pas, comme la plupart de ceux qui ont travaillé dans ce genre, qu'à cause qu'on fait des vers en latin on est en droit de ne point penser et de ne rien dire, si ce n'est peutêtre ce que les anciens ont dit; sa poésie est pleine de choses; ce qu'il dit lui appartient; il a la force de Lucain, mais de Lucain qui ne fait pas trop d'efforts. Un morceau remarquable de ce poëme est celui où il parle du phosphore dont Brandt était l'inventeur. Le duc de Brunswick, excité par M. Leibniz, avait fait venir Brandt à sa cour pour jouir du phosphore, et le poëte chante cette merveille jusque-là inouïe. « Ce feu inconnu à la nature même, qu'un nou» veau Vulcain avait allumé dans un antre savant, que l'eau con>> servait et empêchait de se joindre à la sphère du feu sa patrie, >> qui, enseveli sous l'eau, dissimulait son être, et sortait lumi» neux et brillant de ce tombeau, image de l'âme immortelle et » heureuse, » etc. Tout ce que la fable, tout ce que l'histoire sainte ou profane peuvent fournir qui ait rapport au phosphore, tout est employé, le larcin de Prométhée, la robe de Médée, le visage lumineux de Moïse, le feu de Jérémie enfoui quand les Juifs furent emmenés en captivité, les vestales, les lampes sépulcrales, le combat des prêtres égyptiens et perses; et, quoiqu'il semble qu'en voilà beaucoup, tout cela n'est point entassé; un ordre fin et adroit donne à chaque chose une place qu'on ne saurait lui ôter, et les

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