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Que j'aime à contempler cette mère adorée
De rejetons charmants avec grâce entourée !
L'un assiège son front, d'autres pressent sa main;
Tandis que le plus jeune, étendu sur son sein,
Sans bruit cherchant la place où son amour aspire
Gravit jusqu'à la bouche où l'appelle un sourire,
Mais, par l'heure averti moins que par son amour,
Leur père impatient est déjà de retour,

Il entre

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quelle image et quel moment de fête ! Immobile et charmé, sur le seuil il s'arrête.

Ne respirant qu'à peine, en silence il jouit :

Sous son feutre à longs bords son front s'épanouit; Dans ses yeux paternels la joie éclate et brille,

Et du fond de son âme il bénit sa famille.

Un père toutefois, avec austérité,

Tempère son amour par la sévérité ;

Il étend sur ses fils sa longue prévoyance;
La mère sait aimer, c'est toute sa science.
J'en atteste un seul mot par le cœur inspiré :
Une mère perdit son enfant adoré;

Son digne vieux pasteur, sur sa vive souffrance,
Versait le baume heureux d'une douce éloquence :
Ranimez, disait-il, ce courage abattu ·

Du pieux Abraham imitez la vertu.

Dieu demanda son fils, et Dieu l'obtint d'un père."
"Ah! Dieu ne l'eût jamais exigé d'une mère !"
Cri sublime, qui seul vaut les plus doctes chants!
Et comment exprimer ces transports si touchants
Qu'à l'âme d'une mère un tendre amour inspire?
Elle aime son enfant même avant qu'il respire,
Quand la raison précoce a devancé son âge,
Sa mère la première épure son langage;
De mots nouveaux pour lui, par de courtes leçons
Dans sa jeune mémoire elle imprime les sons:

Soin précieux et tendre, aimable ministère,
Qu'interrompent souvent les baisers d'une mère !
D'un utile entretien elle poursuit le cours,
Sans jamais se lasser répond à ses discours,
L'applaudit doucement et doucement le blâme,
Cultive son esprit, fertilise son âme,

Et fait luire à son œil, encor faible et tremblant,
De la religion le flambeau consolant.

Quelquefois une histoire abrège la veillée;
L'enfant prête une oreille active, émerveillée :
Appuyé sur sa mère, à ses genoux assis,

Il craint de perdre un mot de ces fameux récits.
Quelquefois de Gessner la muse pastorale
Offre au jeune lecteur sa riante morale;
Il préfère à ses jeux ces passe-temps chéris,
Et pour lui du travail le travail est le prix.

LE DERNIER MOINE DE SAINT-AUBIN.

L'abbaye de Saint-Aubin était riche. Quand vint la Révolution les moines n'émigrèrent pas. Ils étaient peu nombreux et n'occupaient qu'une aile de leur vaste monastère, où les cellules se suivaient toutes ouvertes sur le même corridor. Une nuit d'hiver, les révolutionnaires firent invasion chez ces pauvres religieux trop confiants. ́Sans autre forme de procès ils les massacrèrent, à l'exception d'un seul, le plus jeune, qui, occupant la cellule la plus éloignée, put echapper avant qu'on arriva jusqu'à lui.

Lorsqu'il eût fait quelques pas hors de la clôture, ce jeune religieux pensa qu'on le trouverait aisément, et que ce n'était pas la peine de fuir ni de conserver sa vie. Il se mit à genoux attendant les assassins. Cependant les assassins ne

vinrent pas. Au bout de quelques heures, saisi de froid et tourmenté par la faim, le moine se releva et se mit tranquillement en quête d'un refuge. Il trouva une chaumière dont les habitants le tinrent caché tout le temps de la persécution. Quand il y eut un peu de sécurité, il revint à l'abbaye. Depuis la nuit du massacre elle était restée déserte, défendue par la terreur; personne n'y avait osé entrer. Le religieux trouva les restes de ses frères où les assassins les avaient laissés. Il leur donna la sépulture. Ensuite il s'établit dans sa cellule. Il y vécut de longues années, avec quelques anciens serviteurs, revenus comme lui. Il faisait les offices monastiques et se considérait comme le seigneur et maître de tous les domaines que la communauté n'avait pas régulièrement et volontairement aliénés. Quand on chassait dans la forêt sans sa permission, il protestait contre cette violation de son droit de propriété. Gustave, étant encore jeune garçon, le vit en ce temps-là. Le dernier moine de Saint-Aubin était un homme d'aspect sévère, qui parlait peu, et riait encore moins, et que l'on voyait rarement sourire.

Un soir, deux voyageurs, surpris par un effroyable orage, se réfugièrent à l'abbaye. Le moine, averti par ses serviteurs, vint au devant d'eux et leur rendit en personne tous les devoirs de l'hospitalité, comme il avait d'ailleurs coutume. L'un des deux voyageurs était un homme d'un certain âge, d'assez mauvaise mine, et qui paraissait préoccupé et presque craintif; l'autre était son fils, garçon de vingt ans. Après qu'ils eurent bu et mangé et qu'ils se furent réchauffés auprès d'un bon feu, le père parla de reprendre sa route. L'orage continuait, le religieux conseilla de passer la nuit. C'était l'avis et le désir du jeune homme.

"Mon père ne voulait pas entrer, dit-il en souriant, il craignait un mauvais accueil, et c'est presque malgré lui que j'ai heurté à la porte de l'abbaye. Il est vrai, reprit l'autre et je suis trés reconnaissant de la bonne hospitalité qu'on nous

donne. Néanmoins, je ne voudrais pas passer la nuit ici." Il avait l'air contraint et effaré et balbutiait avec efforts plutôt qu'il ne parlait. Le moine insista. "Vous ne gênerez point, dit-il, nous avons des chambres vides. On a fait de la place ici sous la Révolution. . . .— Oui, oui, se hâta d'ajouter le voyageur, j'ai entendu parler de cela. Mais l'orage a cessé, nous pouvons partir. . . Un coup de tonnerre et le bruit furieux du vent lui coupèrent la parole. Il pâlit. Le religieux le regardait avec attention.

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"Vous entendez, mon père, dit le jeune homme, que deviendrions-nous sur les chemins, et par ce temps et à cette heure? Quelle heure est-il donc?" dit l'homme, de plus en plus pâle.

En prononçant ces mots, il tira machinalement sa montre. Le moine étendit la main et prit avec une sorte d'autorité cette montre qu'il croyait reconnaître. C'était celle qu'il avait laissée dans sa cellule en fuyant les assassins. Il la rendit sans manifester aucune émotion. "Restez ici, dit-il au jeune homme. Couchez-vous et reposez tranquillement dans ce lit qui fut celui du dernier abbé de Saint-Aubin. Vous, ajouta-t-il en s'adressant au père, venez avec moi ; j'ai une autre chambre, où peut-être vous pourrez dormir." Il parlait d'une voix si grave et d'un ton si imposant, que l'homme à qui il s'adressait se leva, prêt à le suivre sans objecter un mot. Le moine le conduisit à l'extrémité du corridor dans sa propre cellule, celle d'où il avait fui la nuit du massacre. "Ici, dit-il au voyageur, le repos pourra vous être moins difficile. . . . Il n'y a pas eu de sang versé." L'homme tomba à génoux. Le dernier moine lui donna sa bénédiction. "Dormez, mon frère." Et il le laissa. L. Veuillot.

LA JEUNE CAPTIVE.

CHÉNIER (ANDRÉ).

1763-1794.

Ses poésies révèlent une haute grandeur d'âme avec un goût classique des plus purs. La hache révolutionnaire trancha cette existence, si pleine de belles espérances. Il rédigea la lettre par laquelle Louis XVI., après sa condamnation, réclama le droit d'appeler de la Convention au peuple.

L'épi naissant mûrit, de la faux respecté;
Sans crainte du pressoir, le pampre, tout l'été,
Boit les doux présents de l'aurore;

Et moi, comme lui, et jeune comme lui,

Quoi que l'heure présente ait de trouble et d'ennui,
Je ne veux pas mourir encore.

Qu'un stoïque aux yeux secs vole embrasser la mort,
Moi je pleure et j'espère; au noir souffle du nord
Je plie et relêve ma tête :

S'il est des jours amers, il en est de si doux !
Hélas! quel miel jamais n'a laissé de dégoûts?
Quelle mer n'a point de tempête?

L'illusion féconde habite dans mon sein.

D'une prison, sur moi, les murs pèsent en vain:
J'ai les ailes de l'espérance.

Echappée aux réseaux de l'oiseleur cruel,
Plus vive, plus heureuse, aux campagnes du ciel,
Philomèle chante et s'élance.

Est-ce à moi de mourir! tranquille je m'endors,
Et tranquille je veille; et ma veille aux remords

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