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Si, pourtant, j'évitai l'écueil le plus fatal,
Ces chutes où périt même la conscience;
Si je discerne encor et déteste le mal

Ah; ce n'est pas un don de l'humaine science!

Des périlleux sentiers je sors triomphant,

C'est que mon cœur, toujours docile à vos prières Laisse en vos douces mains et chérit ses lisières, O ma mère ! et qu'enfin je reste votre enfant.

Oui, lorsqu'au fond du mal tombe une âme asservie
Sans retour vers l'honneur quand un homme se perd,
Cherchons à son foyer méprisable ou désert . . .
Une mère chrétienne a manqué dans sa vie.

Tout mon être est en soi trouble et tristesse amère,
Je marche sans espoir et sans force, ô Seigneur !
Mais j'ai reçu de vous bien plus que le bonheur
Vous m'avez tout donné en me donnant ma mère.

Si j'eus dans l'erreur même un culte ardent du bien,
Dès que je l'entrevois si le vrai beau m'enflamme,
Poéte, tout mon feu s'est allumé du sien:

L'éclat est sur mon front, le brasier dans son âme.

Vos jours pleins de travail, austères, soucieux,

Hors l'amour de nous deux, n'ont jamais vu de fête; Mais vous aurez aussi, ma mère, je le veux,

Du soleil et des fleurs autour de votre tête.

Sur ce lit de douleur où, le cœur résigné,

Vous souffrez vaillamment pour que Dieu nous pardonne, Avant le prix céleste au martyre assigné,

Mère, je veux aussi vous mettre une couronne.

Voici ma poésie, elle sème, en pleurant,

Ses fleurs sur votre front ceint du bandeau d'épines; Il ne m'appartient pas ce don que je vous rends: Eclose en moi, la fleur a chez vous ses racines.

Si l'homme droit et pur qui lira cette page
Essuie, en la tournant, une larme à ses yeux;
S'il trouve là son cœur de fils et s'il sent mieux
Ce qu'il doit à sa mère, et l'aime davantage,

J'aurai véçu! ma vie aura porté son fruit;

Je ne me plaindrai plus de la flamme qui m'use, Des biens communs à tous que le ciel me refuse; Je saurai le secret de mon repos détruit.

Et le monde lui-même à tout poète hostile,

Et Dieu qui mit pourtant cette fièvre à mon front, En faveur de ce chant, peut-être m'absoudront De tout mon sang usé dans une œuvre inutile.

Va donc, ô poésié, et porte-lui mes pleurs !

Porte-lui tout mon cœur saignant de son martyre. Elle en sait de ce cœur plus que tu n'en peux dire ; Va, pourtant, lui parler sur son lit de douleurs.

Au miroir de tes vers que son âme se voie

Telle que Dieu l'a faite, avec tous ses trésors; Et qu'oubliant le mal qui déchire son corps, Elle doive à son fils un quart d'heure de joie !

Puis, qu'elle prie et jette au ciel ce cri sacré,

Plus fort, ô Dieu clément, que toutes vos colères,
Ce cri qui rend le ciel obéissant aux mères,
Qui des bras de la mort, malgré vous, m'a tiré.

Afin qu'à votre esprit, Seigneur, je sois fidèle,
Que je demeure en lui ferme et pur ici-bas ;
Et pour que je sois digne, après tous nos combats,
D'aller, au sein du Christ, me reposer près d'elle.

Laprade.

LES ADIEUX DU POETE.

GILBERT (NICHOLAS).

1751-1780.

Dès son début, Gilbert s'est montré un défenseur zélé des saines doctrines morales et littéraires, ce qui lui valut la haine des Philosophes. Né dans les Vosges, de parents pauvres, il dut son élévation à son énergie et à sa religion. Son style est énergique et élevé, mais parfois dur et incorrect.

Au banquet de la vie, infortuné convive,
J'apparus un jour, et je meurs !

Je meurs, et sur la tombe, où lentement j'arrive,
Nul ne viendra verser des pleurs.

Salut, champ que j'aimais! et vous, douce verdure,
Et vous, riant exil des bois !

Ciel, pavillon de l'homme, admirable nature,

Salut, pour la dernière fois !

Ah! puissent voir longtemps votre beauté sacrée

Tant d'amis sourds à mes adieux !

Qu'ils meurent pleins de jours, que leur mort soit pleurée, Qu'un ami leur ferme les yeux !

LE NID DE FAUVETTE.

BERQUIN (ARNAUD).

1749-1791.

Berquin manque d'originalité; mais il est vraiment l'ami de l'enfance. Son style simple est à la portée des jeunes intelligences.

Je tiens ce nid de fauvette.

Ils sont deux, trois, quatre petits;
Depuis si longtemps je vous guette,
Pauvres oiseaux, vous voilà pris!

Criez, sifflez, petits rebelles,
Débattez-vous, oh! c'est en vain;
Vous n'avez pas encore d'ailes,
Comment vous sauver de ma main?

Mais quoi? n'entends-je point leur mère
Qui pousse des cris douloureux ?
Oui, je le vois, c'est leur père
Qui vient voltiger auprès d'eux.

Ah! pourrais-je causer leur peine,
Moi qui, l'été dans les vallons,
Venais m'endormir sous un chêne
Au bruit de leurs douces chansons?

Hélas! si du sein de ma mère
Un méchant me venait ravir,
Je le sens bien, dans sa misère
Elle n'aurait plus qu'à mourir.

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Soldat de profession, il a peu écrit, et ses écrits sont tous empreints de passions et de voltairianisme. Il se recommande par la pureté du style.

C'est un pays de

Un jour je voyageais en Calabre. méchantes gens, je crois, qui n'aiment personne, et en veulent surtout aux Français. De vous dire pourquoi, cela serait long; il suffit qu'ils nous haïssent à mort, et qu'on passe fort mal son temps lorsqu'on tombe entre leurs mains. Dans ces montagnes, les chemins sont des précipices; nos chevaux marchaient avec beaucoup de peine; mon camarade allant devant, un sentier qui lui parut plus praticable et plus court nous égara. Nous cherchâmes, tant qu'il fit jour, notre chemin à travers ces bois; mais plus nous cherchions, plus nous nous perdions, et il était nuit noire quand nous arrivâmes près d'une maison fort noire. Nous y entrâmes, non sans soupçons, mais comment faire? Là, nous trouvons toute une famille de charbonniers à table, où du premier mot on nous invita. Mon jeune homme ne se fit pas prier; nous voilà mangeant et buvant, lui du moins, car pour moi, j'examinais le lieu, et la mine de nos hôtes. Nos hôtes avaient bien des mines de charbonniers; mais la maison, vous l'eussiez prise pour un arsenal. Ce n'était que fusils, pistolets, sabres, couteaux et coutelas.

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