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furieusement.

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Pas du tout, Monsieur. Comment: pas du

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tout? - Non, ils ne vous blessent point. — Je vous dis qu'ils me blessent, moi. Vous vous imaginez cela. — Je me l'imagine, parbleu, parce que je le sens. Chacun sait bien où son soulier le blesse, par exemple. — Cependant j'ai examiné vos vieilles chaussures, et noté les points sur lesquels s'exerce le plus souvent la pression du corps. - Vous m'impatientez; et vous mériteriez vraiment d'être traité comme le bottier de Don Carlos dans une occasion semblable.

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Quel Don Carlos? Le fils de Philippe II. Il fit manger à son cordonnier des bottes trop étroites, après les avoir coupées en pièces, et les avoir fait fricasser. Vous remporterez ces souliers et vous m'en ferez une autre paire. Je veux avoir les pieds à mon aise et ne pas être l'esclave de mes souliers. Le fait est que les souliers sont faits pour les pieds, et non pas les pieds pour les souliers. A votre service, Monsieur.

J'ai l'honneur.

LE LAPIN DE LA FONTAINE.

LIGNE (LE PRINCE DE).

Le Prince de Ligne a écrit quelques opuscules charmante des mœurs de notre époque.

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Il est connu plutôt

par ses Mémoires, écrits avec esprit, goût et facilité.

Je m'étais ennuyé longtemps, et j'en avais ennuyé bien d'autres; je voulus aller m'ennuyer tout seul. belle forêt; j'y allai un jour, ou, pour mieux

J'ai une fort dire, un soir,

pour tirer un lapin. C'était à l'heure de l'affût. Quantité de Lapereaux paraissaient, disparaissaient, se grattaient le nez, faisaient mille bonds, mille tours, mais toujours si vite, que je n'avais pas le temps de lâcher mon coup. Un ancien, d'un poil un peu plus gris, d'une allure plus posée, parut tout d'un

coup au bord de son terrier. Après avoir fait sa toilette tout à son aise (car c'est de là qu'on dit "propre comme un lapin"), voyant que je le tenais au bout de mon fusil: "Tire donc, me dit-il, qu'attends-tu ! ... Oh! je vous avoue, je n'avais jamais tiré qu'à la

fus saisi d'étonnement ! Je

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guerre sur des animaux qui parlent. Je n'en ferai rien, lui dis-je, tu es sorcier, ou je meurs. Moi, point du tout, répondit-il, je suis un vieux Lapin de La Fontaine. -Oh! pour le coup, je tombai de mon haut. Je me mis à ses petits pieds; je lui demandai mille pardons, et lui fis des reproches de ce qu'il s'était exposé. - Eh! d'où vient cet ennui de vivre ? - De tout ce que je vois. Ah! bon Dieu, n'avezvous pas le même thym, le même serpolet? - Oui; mais ce ne sont plus les mêmes gens. Si tu savais avec qui je suis obligé de passer ma vie ! Hélas! ce ne sont plus les bêtes de mon temps. Ce sont de petits lapins musqués qui cherchent des fleurs. Ils veulent se nourrir de roses, au lieu, d'une bonne feuille de chou qui nous suffisait autrefois. Ce sont des Lapins géomètres, politiques, philosophes; que sais-je! d'autres qui ne parlent qu'allemand; d'autres qui parlent un français que je n'entends pas davantage. Si je sors de mon trou pour passer chez quelque gent voisine, c'est de même : je ne comprends plus personne. Les bêtes d'aujourd'hui ont tant d'esprit. Enfin, vous le dirai-je? à force d'en avoir, ils en ont si peu, que notre vieil âne en avait davantage que les singes de ce temps-ci. — Je priai mon Lapin de ne plus avoir d'humeur, et je lui dis que j'aurais soin de lui et de ses camarades, s'il s'en trouvait encore. Il promit de me dire ce qu'il disait à La Fontaine, et de me mener chez ses vieux amis. Il m'y mena en effet. Sa Grenouille, qui n'était pas tout-àfait morte, quoiqu'il l'eût dit, était de la plus grande modestie, en comparaison des autres animaux que nous voyons tous les jours; ses Crapauds, ses Cigales chantaient mieux que nos rossignols; ses Loups valaient mieux que nos moutons.

Adieu, petit Lapin, je vais champs et à mon verger.

retourner dans mes bois, à mes J'élèverai une statue à La Fon

taine, et je passerai ma vie avec les bêtes de cet homme.

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LE TAILLEUR.

Je voudrais un habillement complet. Avez-vous de la bonne étoffe? Nous avons un assortiment complet des meilleures marchandises au marché. Lequel est préférable, le mérinos espagnol, le drap français ou la diagonale? - Cela dépend des goûts. Le drap français superfin fait un habillement très-beau pour les soirées, surtout lorsqu'il est doublé de belle et bonne soie. La diagonale va trés-bien pour un habit de tous les jours. Le mérinos n'est pas mal, et dure longtemps. Il me faut un trousseau complet. Une demi-douzaine de chemises de peau et autant de caleçons, le tout mi-soie et mi-coton; une douzaine de bas en fil d'oseille; une douzaine et demie de chaussettes en soie noire, trois paires de pantalons, deux gilets, dont l'un blanc, pour les soirées et l'autre noir; un habit, une redingote à la propriétaire, une lévite. Vous y ajouterez un assortiment de cravates et de gants. - Très-bien, Mons. nous en avons de fort beaux et de la dernière mode. Nous recevons nos provisions des manufactures les plus renommées. - Je vois, vous avez tout ce qu'il faut; votre magasin est bien assorti. A combien montera la note? Attendez, je vais faire votre compte. Vous êtes économe, Monsieur, le tout ne monte qu'à trois cent soixante-treize francs quatre-vingts centimes. — Vraiment, vous ne vendez pas cher; mais, dites-moi, croyezvous que cet habit m'aille bien? Comme a dit Molière, je défie un peintre avec son pinceau, de vous faire rien de plus juste. Veuillez vous boutonner et vous regarder dans la glace. Il fait des plis sur les côtés. - C'est l'effet du pre

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mier moment; cela disparaîtra bientôt. J'espère que Monsieur sera satisfait, et voudra bien nous garder sa pratique. Au revoir. — Monsieur, votre très-humble.

LA COLLATION.

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Ne vous en allez donc pas; on va servir la collation. Voulez-vous me faire le plaisir de découper la galette? Combien faut-il de parts? Nous sommes quatorze, je

crois. Aimez-vous la tourte aux amandes?

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Oui, beaucoup; mais j'en ai dédà mangé. Prenez-en encore; elle est délicieuse. Prendrez-vous, à present, un échaudé? — Je prendrai seulement un massepain. - Vous plaisantez; prenez au moins une tarte ou un biscuit. Allons, pour ne pas vous désobliger, je vais manger encore ce biscuit. Madame, aurai-je le plaisir de vous servir des compotes? Bien des remercîments, Monsieur; mais je ne prendrai plus rien. Vous ne me refuserez pas de la gelée de groseilles? Qui est-ce qui veut boire? Par ici, Edouard. Alphonse, ayez soin de ces demoiselles. Maman, ces demoiselles ne sont pas raisonnables, elles refusent tout ce que je leur offre. — Je crois au contraire, que c'est parce que nous sommes raisonnables que nous vous refusons quelquefois. Oui ; mais au moins vous devriez manger de ce gâteau. Madame, oserai-je vous demander de me passer la carafe? . . . que je mette un peu d'eau dans le verre de ma jeune voisine, qui ne veut pas Je n'ai pas dit cela, Monsieur. M. Beckham est un agréable voisin; vous ne le connaissez pas Il aura le devoir de reconduire ces encore; mais attendez.

boire sec.

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dames, si elles veulent bien le lui permettre.

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Echo de Paris.

INCENDIE DE MOSCOU.

SEGURE (PHILLIPE DE).

1780-1873.

Ségure, né à Paris, appartient à cette noble et ancienne famille, plus illustre encore par sa religion que par ses titres; il servit avec gloire sous Napoléon, prit part à la campagne de Russie, qu'il raconta plus tard dans son 'Histoire de Napoléon et de la grande Armée.'

L'embrasement, poursuivant ses ravages, eut bientôt atteint les plus beaux quartiers de la ville. En un instant, tous ces palais que nous avions admirés pour l'élégance de leur architecture et le goût de leur ameublement, furent consumés par la violence des flammes. Leurs superbes frontons, décorés de bas-reliefs et de statues, venant à manquer de support, tombaient avec fracas sur les débris de leurs colonnes.

Les

Églises, quoique couvertes en tôle et en plomb, tombaient aussi, et avec elles, ces dômes superbes que nous avions vus, la veille, tout resplendissants d'or et d'argent. Les hôpitaux, où se trouvaient plus de vingt mille malades ou blessés, ne tardèrent pas à être incendiés; le désastre qui s'en suivit, révoltait l'âme et la glaçait d'effroi. Consternés par tant de calamités, nous espérions que les ombres de la nuit en couvriraient l'effrayant tableau; elles ne servirent qu'à rendre l'incendie plus terrible, et à faire ressortir davantage la violence des flammes; agitées par le vent, elles s'élevaient jusqu'au ciel. On apercevait aussi les fusées incendiares que les malfaiteurs lançaient du haut des clochers; elles sillonnaient des nuages de fumée, et de loin ressemblaient à des étoiles tombantes.

Le lendemain, on ne distinguait les endroits où il y avait eu des maisons que par quelques piliers en pierres calcinées et noircies. Le vent, soufflant avec violence, formait un mugis

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