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ces demeures souterraines, pour y dormir dans la poussière, avec les grands de la terre, comme parle Job, avec ces rois et ces princes anéantis, parmi lesquels à peine peut-on la placer, tant les rangs y sont pressés, tant la mort est prompte à remplir ces places! Mais ici notre imagination nous abuse encore; la mort ne nous laisse pas assez de corps pour occuper quelque place, et on ne voit là que les tombeaux qui fassent quelque figure: notre chair change bientôt de nature, notre corps prend un autre nom; même celui de cadavre, dit Tertullien, parce qu'il nous montre encore quelque forme humaine, ne lui demeure pas longtemps; il devient un je ne sais quoi qui n'a plus de nom dans aucune langue; tant il est vrai que tout meurt en lui jusqu'à ces termes funèbres par lesquels on exprimait ses malheureux restes!

Bossuet.

LA VOCATION DES GENTILS.

Mais que vois-je depuis deux siècles? Des regions immenses qui s'ouvrent tout à coup; un nouveau monde inconnu à l'ancien, et plus grand que lui. Gardez-vous bien de croire que cette découverte ne soit due qu'à l'audace des hommes. Dieu ne donne aux passions humaines, lors même qu'elles semblent décider de tout, que ce qu'il leur faut pour être les instruments de ses desseins: ainsi l'homme s'agite, mais Dieu le mène. La foi plantée dans l'Amérique parmi tant d'orages, ne cesse pas d'y porter des fruits.

Que reste-t-il? Peuples de l'extrémité de l'Orient, votre heure est venue. Alexandre, ce conquérant rapide, que Daniel dépeint comme ne touchant pas la terre de ses pieds, lui qui fut si jaloux de subjuguer le monde entier, s'arrêta bien loin au-deça de vous; mais la charité va plus loin que l'orgueil. Ni les sables brûlants, ni les déserts, ni les montagnes, ni la distance des lieux, ni les tempêtes, ni les écueils de tant de

mers, ni l'intempérie de l'air, ni le milieu fatal de la ligne où l'on découvre un ciel nouveau, ni les flottes ennemies, ni les côtes barbares, ne peuvent arrêter ceux que Dieu envoie. Qui sont ceux qui volent comme les nues? Vents, portez-les sur vos ailes. Que le Midi, que l'Orient, que les îles inconnues, les attendent et les regardent en silence venir de loin. Qu'ils sont beaux les pieds de ces hommes qu'on voit venir du haut des montagnes apporter la paix, annoncer les biens éternels, prêcher le salut et dire: O Sion, ton Dieu règne sur toi. Les voici ces nouveaux conquérants, qui viennent sans armes, excepté la croix du Sauveur. Ils viennent non pour enlever les richesses et répandre le sang des vaincus, mais pour offrir leur propre sang et communiquer le trésor céleste.

Peuples qui les vîtes venir, quelle fut d'abord votre surprise, et qui peut la représenter? Des hommes qui viennent à vous sans être attirés par aucun motif ni de commerce, ni d'ambition, ni de curiosité, des hommes qui, sans vous avoir jamais vus, sans savoir même où vous êtes, vous aiment tendrement, quittent tout pour vous, et vous cherchent au travers de toutes les mers, avec tant de fatigues et de périls, pour vous faire part de la vie éternelle, qu'ils ont découverte. Nations ensevelies dans l'ombre de la mort, quelle lumière sur vos têtes !

A qui doit-on, mes frères, cette gloire et cette bénédiction de nos jours? A la Compagnie de Jésus, qui, dès sa naissance, ouvrit, par le secours des Portugais, un nouveau chemin à l'évangile dans les Indes. N'est-ce pas elle qui a allumé les premières étincelles du feu de l'apostolat dans le sein de ces hommes livrés à la grâce? Il ne sera jamais effacé de la mémoire des justes, le nom de cet enfant d'Ignace qui, de la même main dont il avait rejeté l'emploi de la confiance la plus éclatante, forma une petite société de prêtres, germes bénis de cette communauté.

O Ciel, conservez à jamais la source d'une grâce si abon

dante, et faites que ces deux corps portent ensemble le nom du Seigneur Jésus à tous les peuples qui l'ignorent.

Fénelon.

LA BIENFAISANCE.

BOURDALOUE (LOUIS).

1632-1704.

Bourdaloue, sans avoir le génie de Bossuet, fut son émule cependant, et même fut plus populaire que lui. "Nous espérions du Bourdaloue, dit un jour Madame Sévigné, et nous n'avons en que du Bossuet." Chose inouie, Bourdaloue parut dix fois à la cour, et toujours avec succès, et cependant quel langage ne parlait-il pas au roi et à ses courtisans! Qui peut méconnaitre le courage du fameux : Tu es ille vir! Villemain définit Bourdaloue: L'Athlète de la raison combattant pour la foi.

Combien demeurent

Combien de pauvres sont oubliés ! sans secours et sans assistance! Oubli d'autant plus déplorable, que, de la part des riches, il est volontaire, et par conséquent criminel. Je m'explique: combien de malheureux réduits aux dernières rigueurs de la pauvreté, et que l'on ne soulage pas, parce qu'on ne les connaît pas, et qu'on ne veut pas les connaître ! Si l'on savait l'extrémité de leurs besoins, on aurait pour eux, malgré soi, sinon de la charité, au moins de l'humanité ! A la vue de leur misère, on rougirait de ses excès, ou aurait honte de ses délicatesses, on se reprocherait ses folles dépenses, et l'on s'en ferait avec raison des crimes; mais parce qu'on ignore ce qu'ils souffrent, parce qu'on ne veut pas s'en instruire, parce qu'on les éloigne de sa présence, on croit en être quitte en les oubliant ; et quelque extrêmes que soient leurs maux on y devient insensible.

Combien de véritables pauvres que l'on rebute comme s'ils ne l'étaient pas, sans qu'on se donne et qu'on veuille se donner

la peine de discerner s'ils le sont en effet! Combien de pauvres dont les gémissements sont trop faibles pour venir jusqu'à nous, et dont on ne veut pas s'approcher pour se mettre en devoir de les écouter ! Combien de pauvres abandonnés ! Combien de désolés dans les prisons! Combien de languissants dans les hôpitaux ! Combien de honteux dans les familles particulieres! Parmi ceux qu'on connait pauvres, et dont on ne peut ni ignorer ni même oublier le douloureux état, combien sont négligés! Combien sont dûrement traités ! Combien manquent de tout, pendant que le riche est dans l'abondance, dans le luxe, dans les délices! S'il n'y avait point de jugement dernier, voilà ce qu'on pourrait appeler le scandale de la Providence, la patience des pauvres outragés par la dûreté et par l'insensibilité des riches.

LE PETIT NOMBRE DES ELUS.

MASSILLON.

1663-1742.

Sans avoir la sublimité de Bossuet, ni la dialectique de Bourdaloue, Massillon connaît le cœur humain, sait le toucher et le conduire. "Mon Père," lui dit un jour Louis XIV., "j'ai entendu de grands orateurs dans ma chapelle, et je suis toujours sorti content d'eux; mais lorsque je vous entends, je sors mécontent de moi-même." Beaucoup de critiques regardent ses sermons et ses conférences ecclésiastiques comme ses chefs-d'œuvre ; d'autres font cet honneur au Petit Carême.

Je m'arrête à vous, mes frères, qui êtes ici assemblés. Je ne parle plus du reste des hommes; je vous regarde comme si vous étiez seuls sur la terre, et voici la pensée qui m'occupe, et m'épouvante: je suppose donc que c'est ici votre dernière heure et la fin de l'univers, que les cieux vont s'ouvrir sur vos têtes, que Jésus-Christ va paraître dans sa gloire au milieu de

ce temple, et que vous n'y êtes assemblés que pour l'attendre, comme des criminels tremblants à qui on va prononcer une sentence de grâce ou un arrêt de mort éternelle; car vous avez beau vous flatter, vous mourrez tels que vous êtes aujourd'hui. Tous ces désirs de changements qui vous amusent, vous amuseront jusqu'au lit de la mort: c'est l'expérience de tous les siècles. Tout ce que vous trouverez alors en vous de nouveau sera peut-être un compte un peu plus grand que celui que vous auriez aujourd'hui à rendre; et, sur ce que vous seriez si l'on venait vous juger dans ce moment, vous pouvez presque décider de ce qui vous arrivera au sortir de la vie.

Or, je vous le demande, et je vous le demande frappé de terreur, ne séparant pas en ce point mon sort du vôtre, et me mettant dans la même disposition où je souhaite que vous entriez; je vous demande donc : Si Jésus-Christ paraissait dans ce temple au milieu de cette assemblée, la plus auguste de l'univers, pour vous juger, pour faire le terrible discernement des boucs et des brebis, croyez-vous que le plus grand nombre de tout ce que nous sommes ici fût placé à la droite? Croyez-vous que les choses du moins fussent égales? Croyezvous qu'il s'y trouvât seulement dix justes, que le Seigneur ne put trouver autrefois en cinq villes tout entières? Je vous le demande; vous l'ignorez, et je l'ignore moi-même : vous seul, ô mon Dieu, connaissez ceux qui vous appartiennent. Mais si nous ne connaissons pas ceux qui lui appartiennent, nous savons du moins que les pécheurs ne lui appartiennent pas. Or, qui sont les fidèles ici assemblés? Les titres et les dignités ne doivent être comptés pour rien; vous en serez dépouillés devant Jésus-Christ. Qui sont-ils? Beaucoup de pécheurs qui ne veulent pas se convertir; encore plus qui le voudraient, mais qui diffèrent leur conversion; plusieurs autres qui ne se convertissent jamais que pour retomber; enfin un grand nombre qui croient n'avoir pas besoin de conversion : voilà le parti des réprouvés. Retranchez ces quatre sortes de

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