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partout, devant ceux qui vous aiment et devant ceux qui vous haïssent, que votre autorité sacrée, venue de Dieu pour le bonheur des hommes, est à jamais le plus solide fondement et le plus puissant ressort du progrès des nations!

LES CROISADES.

PIE (LOUIS F.).

1815-1880.

Mgr. Pie, évêque de Poitiers, est un des Prélats qui ont le plus honoré l'épiscopat contemporain par le zèle, par la doctrine, par l'éloquence, par le talent d'écrire, dit Godefroy.

Messieurs, vous m'avez prévenu; et déjà ces guerres célèbres qui occupent une si grande place dans l'histoire de St. Louis, ces guerres que la croix de Jésus-Christ a immortalisées en leur donnant son nom, se présentent à vous sous leur véritable point de vue, c'est-à-dire comme l'énergique résistance d'un peuple qui vit de la vie de l'esprit contre les envahissements d'un peuple qui menace de tout asservir à la loi de la chair. Le sensualisme ottoman se faisant agresseur sous la bannière du croissant, le spiritualisme chrétien se défendant sous la bannière de la croix, l'islamisme se répandant comme une lave impure sur tout le sol de la chrétienté, la chrétienté allant frapper au cœur son implacable ennemi, le poursuivant dans son propre empire, jusqu'à ce qu'elle l'ait assez affaibli pour n'en plus rien craindre; voila, sous son jour le plus naturel et le plus philosophique, toute l'histoire des croisades ; combat à outrance dans lequel l'esprit est demeuré vainqueur de la chair: Non veni pacem mittere, sed gladium.

Les croisades, on nous demande de les désavouer! Eh, quoi donc ? le détracteur des croisades est-il encore chrétien? est-il encore Français? lui qui jette un outrage à dix siècles de l'histoire de France. Les croisades? Mais, sans avoir tou

jours porté ce nom, elles n'ont jamais été interrompues depuis Charles Martel jusqu'à Sobieski, et entre ces deux grands noms sont venus se ranger les noms de Charlemagne, de Godefroy de Bouillon, de Tancrède, de Philippe-Auguste, de saint Louis, et mille autres noms couronnés par ceux du grand-maître La Valette et de Don Juan vainqueur sur le golfe de Lépante. Les croisades? Mais c'est l'œuvre de la papauté et des conciles, depuis Urbain II. et son incomparable discours dans le concile de Clermont, jusqu'à saint Pie V. et son ardente prière suivie d'une céleste révélation, c'est l'oeuvre qu'ont applaudie, encouragée tous les saints, depuis saint Bernard enflammant l'ardeur de Louis le Jeune et de tous les évêques et barons assemblés dans la cathédrale de Chartres, jusqu'à saint François de Sales prèchant dans Notre-Dame de Paris l'éloge funèbre d'Emmanuel de Mercœur, le dernier des croisés français, et cherchant à rallumer dans l'âme d'Henri IV. une dernière étincelle de ce feu sacré qui allait s'éteindre. Les croisades? Je dis plus, c'est l'œuvre de Dieu, de Dieu lui-même, tranchant la question par les miracles, les prodiges les plus authentiques. Dieu le veult! Dieu le veult! s'écriaient les peuples à la voix du pontife suprême. Comment le savaient-ils, sinon parce que Dieu avait parlé? Mes Frères, c'est une grande témérité à des chrétiens de revenir sur la chose jugée, jugée dans le conseil sublime des cieux, notifiant la sentence par d'incontestables merveilles enregistrées dans l'histoire en caractères indélébiles. Au reste dans ce siècle où tous les faits sont devenus des droits et obtiennent les honneurs de l'apothéose, dans ce siècle qui affecte de sanctionner l'entraînement même le plus aveugle et le plus irréfléchi des multitudes, quelle inconséquence de renier la plue longue, la plus importante et la plus populaire des révolutions survenues en Europe et de déchirer à plaisir les plus magnifiques pages de l'histoire de notre pays.

Mais notre siècle n'est le courtisan que du succès. Or,

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les croisades, dit-on, n'ont pas réussi. Les croisades n'ont pas réussi ! Il est à cet égard une réponse célèbre : aucune n'a réussi, mais toutes ont réussi." Or, l'Esprit-Saint nous a avertis de ne juger des grands ouvrages de la Providence comme de la nature que par le résultat général et définitif, et in novissimis intelligas. Le détail des choses, mes Frères, est toujours plein de mystère et d'obscurité, la clarté brille dans l'ensemble. On ne regarde pas les longues chaînes des Alpes ou des Cordillières avec le microscope. Laissons aux fourmis leur horizon visuel. Les croisades ont été souvent malheureuses, mais quelles expéditions guerrières n'ont vu parfois fléchir la fortune, et la défaite se mêler aux triomphes! Dans la nature, par example, le combat de l'été contre l'hiver ne se compose-t-il, heure par heure, que de victoires? Si l'on prend un à un les jours de cette réaction de la lumière contre les ténèbres, de la chaleur contre le froid, dans le détail, l'été ne semble-t-il pas parfois vaincu? Les enfants le croient. Mais qu'importe? Le grand astre s'avance inexorablement, ramenant avec lui et les vives clartés et les fécondes ardeurs. Attendez avec patience; il fera son œuvre ; vous cueillerez les fruits, et vous moissonnerez la récolte et in novissimis intelligas.

Les croisades n'ont pas réussi ! Mais est-ce que l'Europe a été asservie par l'islamisme? Est-ce que nos autels et nos foyers sont encore en danger? Est-ce que notre foi et notre indépendance, notre dignité religieuse et nationale sont encore menacées ? Est-ce que l'Orient, d'où nous venait autrefois la lumière, nous a ensevelis dans sa profonde nuit? Est-ce que notre civilisation est devenue la proie de ces hordes barbares? Est-ce que vos fils sont courbés sous la loi du sabre? Est-ce que vos épouses et vos filles sont tributaires du sérail, et languissent dans les prisons infectes du harem? Est-ce qu'au contraire la puissance ottomane n'a pas été tellement amoindrie et si mortellement blessée, qu'elle ne subsiste plus que par l'indulgence de la chrétienté?

Les croisades n'ont pas réussi ! Mais est-ce que les vieilles races chrétiennes ne se sont pas rajeunies sur le berceau du christianisme et retrempées dans leur propre sang sur le sol arrosé par le sang rédempteur? Est-ce que la sève surabondante et la débordante énergie de ces natures remuantes et belliqueuses, tournée par une heureuse diversion contre les mortels ennemis du genre humain, comme la foudre qui va se décharger sur le front aride de la montagne, n'a pas épuisé ainsi ses fureurs et oublié ses excès si funestes à la patrie? Est-ce que les serfs et les vassaux n'ont pas été affranchis par milliers à la veille de ces expéditions non moins utiles à l'affermissement des trônes qu'à la liberté des peuples? Est-ce que les sciences, la littérature, les arts, le commerce, l'agriculture n'ont rien rapporté de l'Orient?

Les croisades n'ont pas réussi ! Mais est-ce que le sang et l'or d'une nation sont dépensés inutilement quand ils lui assurent une gloire légitime ici-bàs et qu'ils ouvrent à ses enfants la porte du ciel? Les hommes positifs ont fait de savants calculs, et ils établissent par un chiffre exact les sommes d'argent sorties du pays pendant ces guerres. Mais l'argent n'est-il pas destiné à la circulation qui se fait par le commerce et l'échange? et le commerce n'est-il pas avantageux toutes les fois que l'on obtient des valeurs supérieures à celles qu'on abandonne? Or, avec l'argent des croisades, la France a acheté une influence qui dure après six cents ans. Malgré nos fautes et nos écarts le nom français couvre encore tout l'Orient de son prestige et de sa puissance. Ah! que nos hommes d'état et nos financiers soient plus indulgents pour les siècles qui ont consacré l'argent de la France à lui conquérir de la gloire et qu'ils réservent leur blâme pour les siècles inexcusables, si jamais il s'en trouvait de tels, qui ruineraient le pays en le déshonorant.

D'ailleurs est-ce que le chrétien peut restreindre ses vues au temps présent, et oublier l'horizon qui s'ouvre par dela la

tombe? Eh! que m'importe à moi, homme de l'autre vie, que m'importe que les croisades n'aient pas raison devant les froides et tardives supputations de nos modernes calculateurs, quand le saint abbé de Clairvaux m'assure avoir appris du ciel que cet emploi chrétien de la mammone d'iniquité a procuré à des milliers de Français les trésors permanents de la béatitude suprême? La patrie terrestre ne s'est bientôt plus aperçue qu'elle avait été appauvrie, et la céleste patrie aura été enrichie pour jamais. Hommes du temps, vous me parlez de chiffres, et moi, prêtre de l'éternité je ne connais qu'un chiffre qui m'intéresse et qui soit placé à ma hauteur, c'est le chiffre éternel des élus.

GRANDEUR DE L'HOMME.

MONSABRÉ.

1827.

Le P. Monsabré, dominicain, succéda au P. Félix dans la chaire de Notre-Dame, à Paris, en 1873, chaire qu'il occupe encore maintenant. Partant de l'existence de Dieu, il a traité les dogmes les plus profonds du catholicisme dans un style ferme et lumineux.

Votre nature est composée de deux éléments dont l'un, visible et palpable, passe comme toute matière, par des phases diverses qui l'amènent à la dissolution de ses parties. Ne tenez pas compte de celui-là; il n'a, vous le savez, qu'une vie d'emprunt, qui lui vient d'une force simple et subsistant en elle-même, d'une force pure, comme disaient les anciens, que nous avons appelé l'âme. C'est là qu'est la racine du moi, racine dont l'incorruptibilité native résiste à tous les coups du temps.

L'immortalité est si bien le fond de notre nature, Messieurs,

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